Montbrison, collégiale Notre-Dame d’Esperance
La collégiale Notre-Dame de Montbrison est fondée le 5 juillet 1223, par le comte Guy IV de Forez, en l’honneur de la Vierge Marie (« ad honorem Dei et beate semper virignis Marie ») (Chartes du Forez 1973, p. 176). L’édifice, de 42 mètres de haut pour 67 mètres de long et 33 mètres de large, est de plan allongé, sans transept, à trois vaisseaux, clos par une abside polygonale à cinq pans. Incessamment modifiée et agrandie par plusieurs générations de ducs successifs, la collégiale, inscrite aux Monuments Historiques sur la liste de 1840 (base POP), abrite près d’une centaine d’éléments armoriés médiévaux, réalisés après l’annexion du comté de Forez à la principauté bourbonnaise, à la suite de l’union, en 1371, du duc Louis II de Bourbon et d’Anne-Dauphine, dernière héritière du comté. Réparties sur l’ensemble de l’édifice, les armoiries représentent aussi bien la famille ducale que les grandes familles d’officiers au service de celle-ci, dont l’ascension sociale au sein de l’administration bourbonnaise se manifeste dans le décor des nombreuses chapelles latérales.
L’occupation héraldique de la collégiale permettait aux ducs de Bourbon de s’inscrire symboliquement dans la continuité du pouvoir des anciens maîtres de la région : une politique d’association qui s’observe également, par exemple, sur la tour du clocher, où se côtoient les armes de Forez et de Bourbon, ou sur la porte de la Madeleine, au nord de la cité. La politique d’occupation spatiale des Bourbons n’est donc pas invasive : bien qu’il ne reste aujourd’hui plus rien du mobilier ou des vitraux médiévaux et qu’il soit en l’état difficile de dresser un portrait fidèle de l’aménagement emblématique originel de la collégiale, les vestiges des décors encore en place semblent indiquer que les ducs ne marquèrent de leurs emblèmes que les parties qu’ils firent agrandir ou bâtir eux-mêmes.
Les Bourbons avaient par ailleurs déjà investi la collégiale avant l’union entre le duc Louis II et Anne-Dauphine. En effet, les armes de la comtesse douairière Jeanne de Bourbon († 1402), épouse du comte Guigues VII de Forez et tante du duc Louis II, étaient gravées en bas-relief sur plusieurs sièges du chœur de la collégiale, « comme au-deffus de la place du Doyen (armoirie 1a), & au-deffus de celle du Maitre du chœur, où cet ecuffon a pour support deux anges (armoirie 1b) ». Il était également peint « sur le quatrième fiège qui suit la place du chantre dans ce même chœur de ladite églife (armoirie 1c), & dans la nef d’icelle auprès de la chapelle de Notre-Dame de Pitié (armoirie 1d) » (La Mure 1868, t. 1, p. 471).
D’autres armoiries sont d’ailleurs à signaler dans le chœur. Les notes du chanoine Jean-Marie de La Mure († 1675) font par exemple mention de « carreaux portant de gueules à l’église d’or » (Durand, Huguet 1887, p. 232) autour de l’une des vitres du chevet (armoirie 2), qu’il identifie comme donnant peut-être la première forme des armes du chapitre collégial. Nous savons cependant que le chapitre a d’abord employé les figures de la Vierge et de l’agneau pascal sur ses sceaux (La Mure 1868, t. 1, p. 216) avant d’adopter sous les Bourbons une composition de gueules, semé de fleurs de lis d’or, au dauphin du même, unissant les éléments principaux des armes comtales et ducales (jadis représentée sur la porte d’Ecotay).
L’héraldique apparait également sur plusieurs monuments funéraires de la collégiale. Le gisant du comte Guy IV de Forez († 1241) repose dans le chevet. Bien qu’il ne présente aucun écusson à proprement parler, le fourreau de son épée est chargée des dauphins (armoirie 3). La pierre tombale de Jean de Vigènes († 1393), originellement située dans la chapelle Sainte-Marguerite, où il fut inhumé dans la dernière décennie du XIVe siècle, était gravée de quatre écus armoriés (armoiries 4a-d) (Renon 1847, p.116) : déplacée plus tard derrière l’autel principal, côté sud, elle a disparu depuis, probablement à la suite de la réfection de cette partie de l’édifice en carreaux de ciment (Monnet, Guibaud, Mermet 2008a). Un autre gisant est à mentionner dans la septième travée. Il s’agit du tombeau en enfeu de Pierre du Vernay († 1363), chanoine de la collégiale au XIVe siècle, qui fit l’objet de destructions lors des guerres de Religion ou de la Révolution et fut restauré à deux reprises, en 1844 et 1900-1901 (Monnet, Guibaud, Mermet 2008b). Le lion qui soutenait les pieds du gisant fut alors remplacé par une levrette et les armoiries du chanoine (armoirie 5) ainsi qu’une inscription funéraire furent gravées sur l’avant de la tombe (ibid.). La véracité historique de ce décor – et plus spécifiquement de ses couleurs – doit être questionnée. En effet, si la composition héraldique gravée lors de la restauration correspond bien à la description des armes de la famille du Vernay au XVIe siècle, donnée par La Mure (1674, p. 353), elle ne coïncident cependant pas tout à fait avec les armes du Vernay telles qu’elles figurent dans l’armorial Revel, au XVe siècle, montrant un champ d’azur et non de gueules (Paris, BnF, ms. Fr. 22297, p. 454). Dans le bas côté sud de la même travée, un autre élément héraldique funéraire ornait autrefois le mur du chœur (armoirie 30a). Ce décor aux armes de Mathieu de Bourbon, fils aîné des bâtards du duc Jean II, était accompagnée d’étendards de guerre et répondait à une autre plaque funéraire héraldique placée au-dessus de sa sépulture, en face, dans la chapelle des Paparin, où il fut inhumé à sa mort en 1505.
En 1396, le duc Louis II et son épouse Anne-Dauphine engagent une première campagne d’agrandissement, allongeant la collégiale d’une travée supplémentaire (Guibaud, Monnet, Mermet 2008a), et apposent leurs armes sur les chapiteaux des colonnes de la nef principale (les plus hautes à l’intérieur de l’édifice) : au sud, les armes du duc (armoirie 6a), inscrites dans un quadrilobe à redent ; au nord, celles de la duchesse, mi-parties aux armes semées de fleurs de lis de son époux (armoirie 7). La différence d’encadrement (l’un dans un quadrilobe, l’autre non) et la disparité dans le traitement des fleurs de lis invitent à envisager la possibilité que ces écussons furent réalisés à des dates différentes, par deux ateliers différents, ou que l’armoirie d’Anne-Dauphine, dont la composition semble bien plus moderne (avec le contour de l’écu légèrement en saillie), puisse avoir fait l’objet d’un remaniement tardif.
La présence héraldique de cette duchesse ne se limitait d’ailleurs pas à cet écu. Elle fait également réaliser dans le chœur un autel accueillant une statue de la Vierge, qu’elle fait orner de la ceinture Espérance (base DEVISE) et de ses armoiries, que La Mure décrit comme un mi-parti, au 1, de Bourbon à trois lis et, au 2, écartelé de Forez et du Dauphiné d’Auvergne (armoirie 8) (La Mure 1868, t. 2, p. 118 ; Durand, Huguet 1887, p. 232). Cette composition diffère donc légèrement de celle employée sur le chapiteau de la nef principale, échangeant le semé de lis des premières armes ducales pour la version trinitaire, dont la date d’adoption par les ducs de Bourbon reste encore à définir clairement. En effet, si ce changement n’est attesté que tardivement par les sceaux, les occurrences monumentales, les enluminures et l’orfèvrerie témoignent de premières expérimentations avec le modèle à trois lis, sur le modèle du roi Charles V (Prinet 1911, p. 469, 488), dès les années 1370 (Robin à paraître B).
Ce dernier, qui passa la plus grande partie de son principat en captivité en Angleterre après sa capture à Azincourt, ne semble avoir ordonné la réalisation d’aucun décor dans la collégiale. Son fils et successeur, le duc Charles Ier († 1456) et son épouse Agnès de Bourgogne († 1476), ordonnèrent en revanche d’importants agrandissements entre 1453 et 1459 (Monnet, Guibaud, Mermet 2008a). A cette occasion fut vraisemblablement réalisé l’écu aux armes ducales à trois lis, partiellement endommagé, sculpté sur le chapiteau sud de la deuxième travée de la nef principale (armoirie 9a). A ses pieds, un bénitier armorié, souvent identifié comme datant du XVIIe siècle, montre deux armoiries accolées et très endommagés. Nous y distinguons néanmoins quelques éléments permettant de confirmer la description faite par Félix Thiollier (1889, p. 264), qui lisait dans les armes de senestre, jamais identifiées, une colombe à la tête contournée, posée sur une branche accostée de deux croisettes et surmontée d’un croissant (armoirie 10) et, à dextre, celles parlantes du chanoine de Vinols, d´or au cep de vigne de sinople, au chef de gueules chargé de trois coquilles d´or (Thiollier 1889, p.264). La présence plus plausible de tourteaux nous porte cependant à retenir la lecture de Steyert (Steyert 1860, p.5), qui y lisait les armoiries de la famille Audoin, d’or à trois tourteaux de gueules, au chef d’azur chargé de trois étoiles d’or (armoirie 11).
Le portail de la collégiale, achevé en 1459 (Monnet, Guibaud, Mermet 2009), portait autrefois les armoiries du couple ducal. Aujourd’hui, seuls restent en place, sur le gâble du portail, les vestiges mutilés de l’écu aux armes de Charles Ier (armoirie 9b), jadis cerclé d’une ceinture que le chanoine La Mure identifiait comme portant la devise Espérance (La Mure 1868, t.2, p. 188), faisant ainsi écho au vocable de l’édifice, changé en « Notre-Dame d’Espérance » sous les Bourbons (Mattéoni 2012, p. 162). La mise en scène des armoiries et devises ducales, souvent associées à des images religieuses évoquant le vocable de l’édifice, s’observe par ailleurs sur les portails de plusieurs autres églises fondées ou réappropriées par les ducs (Robin, à paraître A), comme à Notre-Dame de L’Annonciation, à Moulins ; Notre-Dame des Marais, à Villefranche-sur-Saône ; ou à la Sainte-Chapelle de Bourbon-L’Archambault. Un écu aux armes de la duchesse Agnès de Bourgogne était également autrefois visible sur le côté gauche du trumeau du portail (armoirie 12), mais il a été détruit à la fin du XVIIIe siècle (La Mure 1868, t.2, p. 188 ; Vincent, Huguet 1887, p. 233). Enfin, la mise en signe du portail était complété par une grande rosace fleurdelisée, brièvement décrite par un prix-fait daté du 23 février 1639, pour la réfection de la « grande vitre en fleur de lys, ferrures et panneaux de fil d’archal qui est au-dessus le grand portail » (Durand 1884, p.358).
En outre, des décors héraldiques funéraires furent réalisés à la mort du duc et de la duchesse. Ils étaient encore visibles du vivant du chanoine La Mure qui décrivait de nombreux « écuffons funéraires » ornant « plufieurs piliers & colonnes » de la collégiale (La Mure 1868, t. 2, p. 189). Les couples princiers suivants perpétuèrent cette pratique. A l’occasion des funérailles de la duchesse Catherine d’Armagnac, seconde épouse du duc Jean II, le 29 mars 1487, « parurent huit douzaines d’ecuffons émaillés des armes de cette Ducheffe » dans l’église (ibid., p. 355). A la mort du duc Jean II, dix douzaines d’écussons émaillés à ses armes furent également exhibés dans la collégiale (ibid., p. 360) et le décès de son frère et successeur, le duc Pierre II de Bourbon, en 1503, fut également l’occasion d’un large déploiement héraldique, pour lequel « parurent plus de cent écuffons émaillés de fes armes » (ibid., p. 466).
Dans la collégiale l’ornementation héraldique monumentale était complétée de nombreux éléments textiles et mobiliers armoriés ou emblématisés. Selon La Mure (La Mure 1868, t.2, p. 80), à son retour de voyage, en 1393, le duc Louis II aurait fait réaliser un tapis « à la mode des tapis qu’on appelle communément de barbarie » orné de fleurs de lis et d’un cerf ailé (base DEVISE), portant au cou une banderole chargée du mot Espérance, mais la présence conjointe de ces deux devises laisserait plutôt entendre une datation à la fin XVe-début XVIe siècle, sous Pierre II († 1503) ou Charles III († 1527), qui firent un usage marqué de cette composition emblématique. L’édifice conservait également un parement d’autel, mentionné par Renon, tissé aux armes des Puy et des Verd accompagnées de lettres P (Renon 1847, p. 556) ; une chasuble violette aux armes parties de Forez et du Dauphiné d’Auvergne, brodée de fleurs de lis couronnées ; ainsi qu’un bénitier en ivoire, à l’anse sculptées de deux dauphins et de fleurs de lis (La Mure 1868, t. 2, p. 118-119).
Le duc Charles Ier commanda également un certain nombre d’objets liturgiques armoriés à l’occasion de la fondation d’une messe en 1441 : « un calice, une paix, deux buyerettes à mettre vin et eaue, deux chandelliers d’argent, une chasuble, aube et amict, estolle et phanon, messes, courporaux et touailles d’autel, un couffre bien fermant à clief […] aussy une lampe devant l’autel où sera célébrée la messe. Toutes les choses dessusdictes armayées à nos armes » (Renon 1847, p. 141). L’inventaire du trésor du 7 mars 1541 mentionne également l’existence de plusieurs pièces d’argenterie et des ornements gravés de la devise de la ceinture Espérance (Durand, Huguet 1887, p. 234) ainsi que d’un grand poêle de drap d’or aux armes de France, tenues par des porcs-épics, devise du roi Louis XII. Cette profusion héraldique était complétée par un devant d’autel de brocatelle aux armes du roi, également tenus par deux porcs-épics et accompagnés du monogramme royal, un L couronné (ibid.) ; par les « sièges des celébrants » aux armes de la duchesse Anne de France (armoiries 13a- ?) (La Mure 1868, p. 502) ; ainsi que par un piédestal d’argent, orné de six écussons aux armes de Forez, chargé de recevoir et d’exhiber la Rose d’Or autrefois offerte par le pape Clément VI au comte Guigues VII, puis offerte à son tour en 1372 à la collégiale par sa veuve, la comtesse Jeanne de Bourbon (Renon 1847, p. 98).
Près d’une centaine d’autres décors héraldiques peuvent également s’observer dans le reste de l’édifice, sur la tour du clocher ainsi que dans les nombreuses chapelles latérales où se côtoient les armoiries des ducs et de leurs officiers. Des armories d’époque médiévale et du début de la Renaissance se trouvent plus spécifiquement dans : la chapelle d’Eustache de Lévis ; la chapelle d’Etienne Renaud ; la chapelle des Manillier ; la chapelle de Louis de la Vernade ; la salle capitulaire ; la chapelle Paparin ; la chapelle de Claude de Saint-Marcel ; la chapelle de Jacques Robertet ; la chapelle de Jean Robertet ; et la chapelle Notre-Dame-de-Pitié.