La Sainte-Chapelle de Bourbon-l’Archambault, aujourd’hui disparue, était l’une des onze saintes chapelles réalisées en France entre le XIIIe et le XVIe siècle. Bâtis sur le modèle de la Sainte-Chapelle de Paris, elle-même inspirée de la chapelle palatine du château de Saint-Germain-en-Laye, ces édifices avaient pour fonction principale de recueillir les reliques de la Passion (Billot 1987). Suite au règne de saint Louis, ces chapelles se chargent, pour la royauté et les princes de sang, d’une fonction de célébration généalogique : destinées à commémorer le lien de parenté de leurs fondateurs avec le roi saint, ces lieux étaient conçus comme de véritables temples dynastiques, abondamment emblématisés. Les armoiries, les chiffres ou les devises y jouaient un rôle essentiel, pédagogique, en renforçant et justifiant cette filiation entre les princes – en l’occurrence les Bourbons – et leur ascendance royale.
Israel Silvestre, Sainte chapelle de Bourbon-l’Archambault.
Érigée dans l’enceinte du château de Bourbon-L’Archambault, berceau de la maison Bourbon, la Sainte-Chapelle se distingue de ses sœurs par une érection en deux phases distinctes. La première chapelle, dédiée à la Vierge, fut construite à partir de 1315, sous l’impulsion de Louis Ier de Bourbon, pour accueillir une relique de la Vraie Croix. De dimensions modestes, la chapelle était composée de deux travées droites et d’un chœur polygonal à cinq pans (Gatouillat, Herlod 2011, p. 99). Cette chapelle – la première de fondation princière – est par la suite augmentée d’une nouvelle, plus vaste, lors d’une seconde campagne de construction amorcée par Jean II de Bourbon entre 1478 et 1485. Bâtie à ses côtés et connectée par un vestibule, cette nouvelle chapelle, vraisemblablement conçue selon les plans de Marsault Rodier puis réalisée par le maître maçon Clément Mauclerc, était consacrée à la Vraie Croix et développait un vaste programme iconographique, religieux et généalogique (ibid.). Reprenant le plan typique des saintes chapelles, à nef unique, elle s’étendait sur quatre travées, fermées par un chevet orienté à trois pans (ibid.). Le chantier se poursuivit jusque sous Anne de France et Pierre II et ne prit fin qu’en 1508, cinq ans après la mort de ce dernier, alors que le duché de Bourbon revenait au connétable Charles III, mari et cousin de Suzanne de Bourbon, dernière héritière de cette maison. L’édifice fut frappé par la foudre le 27 mai 1641 puis ravagée pendant la Terreur, le 17 octobre 1793, par une délégation envoyée par le comité révolutionnaire de Moulins. Les vitraux disparurent à ce moment et le reste de l’édifice fut démoli à partir de 1802, en même temps qu’une grande partie du château (ibid.). Ces ruines furent par la suite classées sur la liste des Monuments Historiques de 1862 (base Mérimée), puis le 14 juin 1961 pour les ruines de « l’ancien château » (base Merimee).
Bourbon l’Archambault, ruines de la Sainte-Chapelle.
De l’extérieur de l’édifice, il ne nous reste qu’une gravure d’Israël Silvestre, réalisée au XVIIe siècle, et quelques dessins ; de l’intérieur, seuls des relevés et plans publiés par Achille Allier dans son Ancien Bourbonnais (Allier 1838). Ni ces relevés, incomplets et contredisant en partie les descriptions de la chapelle, ni les dessins de vitraux réalisés pour Gaignières, ne rendent compte de l’étendue du décor intérieur de l’édifice, fortement emblématisé, que nous connaissons par le biais des descriptions détaillées fournies par le voyageur Dubuisson-Aubenay, publiées par Grassoreille et Gélis-Didot (Grassoreille 1887).
Ses écrits nous permettent ainsi de nous figurer le décor du portail de la seconde Sainte-Chapelle, orné, à la manière de nombreux portails d’édifice de fondations royales ou princières (voir par exemple le couvent des Célestins à Paris), de sculptures représentant les fondateurs de l’édifice. Celles-ci étaient sculptées contre l’ébrasure de la porte d’entrée, placés de part et d’autre de cette dernière. Réalisés en pierre, « au naturel », les deux statues étaient accompagnées de leur armoiries, sculptées à leurs pieds, peut-être sur les consoles qui devaient les soutenir (armoiries 1-2). Jean II était représenté à gauche (dextre). En habit ducal, il portait le collier de l’ordre de Saint-Michel et une couronne chargée de pierreries et bordée de perles. À chaque poignet il avait un bracelet « qui boucle comme une ceinture qui se ferme à boucle et ranguillon » (Grassoreille 1887, p. 47). Ceux-ci étaient gravés de lettres parmi lesquelles Dubuisson-Aubenay reconnut un N, des I, un P et un B ou D, qu’il interpréta comme les lettres du nom du duc. À ses pieds, timbrées de la même couronne, se trouvaient les armoiries de Bourbon modernes, à trois fleurs de lis (armoirie 1). À droite, de l’autre côté du portail, se trouvait la statue d’une femme, que la critique identifie sans exceptions avec Jeanne de France († 1487), première femme de Jean II (Matteoni 2012). Celle-ci était représentée en robe, « en tenue fort serrée, la gorge close » (ibid.), couronnée comme son époux, et accompagnée de ses armoiries, que Dubuisson-Aubenay décrit de manière ambiguë comme « de France, à la petite cotice brochant sur la première des trois fleurs de lys, au reste mi parties de celles de son mary » (armoirie 2).
Reconstruction graphique de la façade de la Sainte-Chapelle de Bourbon-l’Archambault.
Il pourrait s’agir d’une erreur de blasonnement de l’auteur afin de décrire les armes parties de Bourbon et de France que Jeanne utilisait d’habitude, comme nous pouvons le voir sur certains manuscrits lui ayant appartenu (Paris, BnF, Fr. 29). Deux autres hypothèses doivent cependant retenir notre attention. Tout d’abord, ce deuxième écu aurait pu porter les armes de Jeanne de Bourbon-Vendôme, troisième femme de Jean II, mariée au duc en 1487, après le décès de Catherine d’Armagnac. Elle portait les armes de Bourbon pleines (SIGILLA) et, vraisemblablement, un mi-parti Bourbon/Bourbon-Vendôme qui, endommagé ou mal sculpté, pourrait expliquer la confusion de Dubuisson-Aubenay. Récemment, il a également été proposé qu’un fragment de statue du musée Anne de Beaujeu, orné de devises ducales, puisse provenir de ce portail (Rivoletti 2022, p. 141). Ces devises – des genettes associées par un lac d’amour à la lettre I et des fleurs de compagnon (DEVISE) – sont aussi bien attestées pour Jeanne de France (comme le prouve une pièce erratique conservée au musée de Bourbon-L’Archambault) que pour Jeanne de Bourbon-Vendôme (SIGILLA), mais cette dernière constitue la candidate privilégiée, par la cohérence chronologique de son règne avec le chantier du portail (ibid., p. 142). Une autre théorie est toutefois possible, si nous acceptons que Dubuisson-Aubenay ne s’est pas trompé dans son blasonnement et a véritablement observé un mi-parti Bourbon/Bourbon sur l’écusson accompagnant la statue en question. Or, dans l’histoire de la dynastie, seule une princesse fit usage d’une telle composition : Suzanne de Bourbon, dernière héritière légitime du duché, dont le mi-parti – aux armes de son père et de son époux, tous deux ducs – est décrit à nouveau par Dubuisson-Aubenay à l’intérieur de la chapelle nouvelle de Bourbon-L’Archambault et est également documenté par le relevé d’un des vitraux disparus de la Sainte-Chapelle de Champigny-sur-Veude, réalisé par Louis Boudan pour François Roger de Gaignières (Paris, BnF, Clairambault 640, fol. 187, num. 1 : Collecta). Il n’est par ailleurs pas à exclure que la statue du portail ait pu être réalisée sous l’autorité de Jeanne de Bourbon-Vendôme mais que l’écusson ait fait l’objet d’une reprise pour y faire figurer les armes de Suzanne à partir de 1505, date à laquelle elle épouse Charles de Bourbon.
L’ensemble sculpté était complété par une troisième statue, placée sur le trumeau du portail entre celles des deux fondateurs. Elle représentait le roi saint Louis, en habit long fleurdelisé et couronné d’un « cercle de fleur de lys, sans estre fermé et non plus ni moins que sont à présent les coronnes des princes de sang » (Grassoreille 1887, p. 48). Cet ensemble statuaire soulignait ainsi, dès l’entrée, la fonction commémorative de l’édifice et l’identité des commanditaires, dont les armoiries étaient également représentées à l’intérieur de la chapelle.
Auteur : Antoine Robin
Pour citer cet article
Antoine Robin, Bourbon-L’Archambault, Sainte-Chapelle, https://armma.saprat.fr/monument/bourbon-larchambault-sainte-chapelle/, consulté
le 09/10/2024.
Bibliographie sources
Paris, BnF, ms. Clairambault 640.
Bibliographie études
Allier, Achille, L’Ancien Bourbonnais (histoire, monuments, mœurs, statistique), gravé et lithographié sous la direction de M. Aimé Chenavard, d’après les dessins et documents de M. Dufour par une société d’artistes, Moulins 1838.
Billot, Claudine, « Les Saintes-Chapelles (XIIIe-XVIe siècle). Approche comparée de fondations dynastiques », Revue d’histoire de l’Église de France, 73, 191, 1987, p. 229-248.
Grassoreille, Georges, « Voyage de Dubuisson-Aubenay en Bourbonnais (1646) », Revue Bourbonnaise, 2, 1887, p. 41-55, 88-95, 109-120.
Gatouillat, Françoise, Herold, Michel, Les vitraux d’Auvergne et du Limousin, Rennes 2011.
Hablot, Laurent, « La ceinture ESPERANCE et les devises des ducs de Bourbon », dans F. Perrot (dir.), Esperance. Le mécénat religieux des ducs de Bourbon au XVe siècle, Souvigny 2001, p. 91-103.
Mattéoni, Olivier, Un prince face à Louis XI. Jean II de Bourbon, une politique en procès, Paris 2012.
Rivoletti Daniele, « Le fragment d’un nouveau portrait princier, vestige de la Sainte-Chapelle de Bourbon-L’Archambault ? », dans G. Longo, A . David-Chapy (dir.), Anne de France (1522-2022), Femme de pouvoir, princesse des arts, Dijon 2022, p. 141-147.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Bourbon-L’Archambault, Sainte-Chapelle. Armoirie Jean de Bourbon (armoirie 1)
(D’azur à trois fleurs de lys d’or, au bâton de gueules en bande brochant).
Position : Extérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Façade
Emplacement précis : Portail
Support armorié : Embrasure
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Bourbon-L’Archambault, Sainte-Chapelle. Armoirie Jeanne de Bourbon-Vendôme ? (armoirie 2)
(Mi-parti : au premier, d’azur à trois fleurs de lys d’or, au bâton de gueules en bande brochant (Bourbon), au deuxième d’azur à trois fleurs de lys d’or à la cotice de gueules chargée de trois lionceaux d’argent (Bourbon-Vendôme)) ou (Mi-parti : au premier, d’azur à trois fleurs de lys d’or, au bâton de gueules en bande brochant (Bourbon), au deuxième d’azur à trois fleurs de lys d’or (France)).
Attribution : Bourbon-Vendôme Jeanne de ; Valois Jeanne de (Jeanne de France)
Position : Extérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Façade
Emplacement précis : Portail
Support armorié : Embrasure
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue