La chapelle Saint-Gobrien s’élève au centre du village auquel elle a donné son nom, tout près de la rivière Oust, à moins d’un kilomètre au nord du bourg de Saint-Servant-sur-Oust, entre Josselin et Ploërmel. Son bon état de préservation, son ancienneté, la qualité du bâti et du mobilier, en font l’une des plus importantes chapelles du Morbihan. Pour la parure héraldique, l’édifice conserve quelques pièces de charpente armoriées du XVIe siècle dans le bras sud du transeptet deux écussons frustes en façade de la nef, d’un intérêt limité. Ce sont surtout des vestiges de la fin du XIVe siècle qui retiennent l’attention. Au chevet, la maîtresse-vitreest ornée des devises et armes du connétable Olivier de Clisson et de son épouse Marguerite de Rohan, décédés en 1407 et 1406. L’élément le plus remarquable, passé presque inaperçu, est une file de chapiteaux armoriés à un piédroit du portail sudde la croisée, qui peut être considéré sans réserve comme exceptionnel.
Plan annoté de la chapelle Saint-Gobrien en Saint-Servant-sur-Oust, dressé en 1921.
Long d’un peu moins de quarante mètres, l’édifice présente un plan en croix latine, développant une nef à vaisseau unique, un transept à deux bras asymétriques et un chœur à chevet plat. La nef, accolée au nord d’une maison passant pour avoir été celle du chapelain (Lagneau 2008 cité par Baizeau 2017, p. 12) ou un hôpital (Le Méné 1982, 2, p. 459), est présumée remonter au XIe siècle (Duhem 1932, p. 188 ; Lagneau 2008 cité par Baizeau 2017, p. 12), bien qu’elle soit « difficile à dater » (Danigo 1968, p. 148). Tout le reste fut construit en trois campagnes distinctes. La première, menée à la fin du XIVe siècle, est une quasi-réidification. On aménagea la partie orientale de l’ancienne nef, qui fut raccourcie afin d’y substituer une ample croisée ouvrant sur un bras nord de transept surmonté d’une tour de clocher carrée, et sur un chœur à chevet plat, indexé sur la largeur de la nef. Par ces opérations, le monument se trouva à peu près doublé en longueur, avec une élévation rehaussée de plus du tiers. Chantier de bien moindre envergure, on réédifia plus tard la façade de la nef, à une date indéterminée au XVe siècle. Enfin, en 1548-1549 d’après une inscription portée sur une plaque sculptée, on ajouta une chapelle formant un bras sud du transept, un peu plus profond que son homologue au nord, développant des formes de la première Renaissance.
Recontextualiser le décor héraldique de la maîtresse-vitreet du portail sudnécessite de redéfinir le chantier du XIVe siècle, dont l’historiographie donne une appréciation approximative et en partie fautive. Pour commencer, l’ampleur exacte du projet n’a pas été bien comprise, en étant réduite au chœur et à la seule arcade de communication de la croisée avec la nef. En donnant crédit à l’idée que le transept entier « relevait d’une campagne ultérieure » (Danigo 1968, p. 149) confondue avec la reconstruction du bras sud en 1548-1549, on a postulé qu’à cette occasion « le chœur fut rehaussé […], le mur diaphragme côté chœur fut probablement élevé à cette époque […] et que sur le croisillon nord le clocher [fut] élevé quelques années après ces transformations » (Lagneau 2008, cité par Baizeau 2017, p. 12). Cette approche doit être invalidée : un rapide examen atteste que les travaux du XVIe siècle ne portèrent que sur la chapelle sud et l’arcade de communication avec la croisée. Le bras nord remonte au XIVe siècle comme en attestent les maçonneries extérieures de raccord, la modénature des contreforts semblables à ceux du chœur, et surtout les formes et l’appareillage de la grande arcade, identique à celles donnant sur la nef et le chœur. Seule la fenêtre du pignon semble effectivement plus tardive. Le portail sud, que l’on a pu croire ajouté « dans le courant du XVe siècle » (ibid.), doit lui aussi être formellement rattaché aux campagnes de la fin du XIVe. Sa structure et ses formes relèvent de grands modèles régionaux du XIVe siècle et l’appareillage est identique à celui des trois grandes arcades. Convenablement redéfini, le chantier englobait toutes les parties depuis le mur diaphragme de séparation avec la nef, n’étant même pas exclu qu’un croisillon sud ait pu peut-être précéder celui du milieu du XVIe siècle, dont il ne resterait plus trace.
Vue de la croisée vers l’est, Saint-Servant-sur-Oust, chapelle Saint-Gobrien.
De bonne heure, on mit à contribution les armes d’Olivier de Clisson et Marguerite de Rohan sur la maîtresse-vitreà des fins de datation, malheureusement sans une relecture croisée de la biographie de ces hauts personnages, et du bâti. Il résulte une chronologie flottante, rendue élastique par leur longévité comme seigneur et dame de Josselin de 1378, date supposée de leur mariage, à 1407, année de la mort du connétable. Le chantier fut ballotté tour à tour « au XIVe siècle » (Danigo 1968, p. 148), « vers 1400 » (Bonnet 2002, p. 464), « à la fin du XIVe siècle et au début du XVe siècle » (Lagneau 2008 cité par Baizeau 2017, p. 12), « au XVe siècle » (Rosenzweig 1863, p. 136) voir même « au XVIe siècle » (Le Méné, 2, p. 459 ; Duhem 1932, p. 188). La pose de la maîtresse-vitre constituant un terminus, la mise en regard de la vie tumultueuse du sire de Clisson permet d’affiner la datation. Son « arrestation dramatique » (Huchet 2019, p. 61) par le duc Jean IV au château de l’Hermine à Vannes à l’été 1387, l’écornement de sa fortune consécutif au quasi-séquestre de ses possessions bretonnes, sa fuite à Paris au service du roi avant sa disgrâce en décembre 1392, enfin la lutte armée qui l’opposa au duc jusque l’automne 1395, marquent une période manifestement peu propice à la construction. Après cet intervalle, ce sont le style et les comparaisons qui font opposition. Saint-Gobrien relève d’une esthétique qui commençait déjà de se démoder, en témoignent la forme des chapiteaux, les allèges de la maîtresse-vitre ou les masques sculptés au-dessus de la grande arcade entre la nef et la croisée. La paix et sa fortune retrouvées, Olivier faisait embellir « vers 1400 » (ibid., p. 73) son château et l’église Notre-Dame-du-Roncier à Josselin, et y aménager un superbe oratoire orné d’un cycle peint, par un maître d’œuvre chevronné. Au contraire les travaux à Saint-Gobrien furent confiés à un atelier local dont la maîtrise technique était inférieure, comme le dénote l’appareillage chaotique des arcades. Ses inspirations, puisant aux monuments régionaux du XIVe siècle, étaient plus anciennes. En conséquence, on placerait idéalement le chantier vers les décennies 1370-1380.
Détail du piédroit gauche du portail sud, Saint-Servant-sur-Oust, chapelle Saint-Gobrien.
En supposant qu’après l’acquisition de Josselin en 1370, l’attention du connétable ait pu être accaparée au tout début par la prise en main de la seigneurie et la mise en chantier de sa nouvelle forteresse, puis par son remariage avec Marguerite de Rohan, on affinerait la fourchette vers 1378-1387. Olivier localement tout puissant était alors en position de force et le premier personnage du duché. En 1373, il avait en outre reçu de Charles V l’importante seigneurie de Guillac, immédiatement limitrophe de Saint-Gobrien, alors que le duc en difficulté s’exilait en Angleterre jusque 1379. En 1378, il épousait Marguerite de Rohan, scellant une entente solide avec sa puissante belle-famille. Situer entre 1378 et 1387 la construction de Saint-Gobrien redonnerait toute leur portée au monument et à son décor héraldique : on les comprendrait non plus comme un chantier périphérique au crépuscule de la vie du connétable, mais comme un acte de prise de possession ostentatoire juste après un très beau mariage. Suite au retour d’exil de Jean IV, la tension resta vive. L’hypothèse d’un chantier après 1379 pose une vraie tension dramatique : à équidistance de la place forte d’Olivier à Josselin et de la ville ducale de Ploërmel, les deux cités étant à peine séparées de douze kilomètres, le décor emblématique de l’édifice ressemble un peu à un coup de menton en direction des remparts ducaux. En appui des éléments héraldiques subsistants et des fresques disparues qui ne devaient pas manquer de les multiplier, le squelette de l’édifice participait au jeu emblématique. La bichromie prononcée au portail, aux chapiteaux et aux claveaux des arcades, entre le blanc crème d’un grès clair et les schistes rouges de Monteneuf, est un écho évident aux émaux d’argent et de gueules des armes de Clisson, qui sont par ce biais matriciellement empreintes à la construction.
Merléac, chapelle Saint-Jacques, détail du cycle héraldique couvrant l’intrados des arcades de la nef.
Cette remise en perspective rapide du chantier de Saint-Gobrien et de son cycle héraldique sous la main d’Olivier de Clisson probablement vers 1373-1387, pose un jalon nouveau dans la compréhension des logiques d’influence au sein de l’héraldique monumentale en Bretagne à la fin du XIVe siècle. Les yeux se tournent vers la chapelle Saint-Jacques de Merléac, monument important au tournant du siècle, œuvre des Rohan parachevée vers 1402 par le vicomte Jean Ier, son fils Alain VIII et l’épouse de ce dernier Beatrix de Clisson, beau-père, gendre et fille du connétable. Saint-Gobrien apparaît comme une source d’inspiration, qui y fut transcendée : le remarquable cycle de bannières armoriées aux grandes arcades de Merléac est une sorte d’aboutissement des couleurs héraldiques aux claveaux de pierre maladroitement appareillés de Saint-Gobrien, la maîtresse-vitre est amplifiée, le monument est plus vaste avec une nef à trois vaisseaux, de construction homogène, etc. Dépassé par ses alliés et sa belle-famille à Merléac, Olivier de Clisson ne creusa pas dans la suite son investissement sur la chapelle au bord de l’Oust. Saint-Gobrien et son décor héraldique n’en demeurent pas moins un très intéressant témoignage des joutes emblématiques au sein du duché tout juste récupéré par Jean IV de Montfort.
Auteur : Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Saint-Servant-sur-Oust, chapelle Saint-Gobrien, https://armma.saprat.fr/monument/saint-servant-sur-oust-chapelle-saint-gobrien/, consulté
le 21/11/2024.