Le chœur de la chapelle Saint-Gobrienen Saint-Servant-sur-Oust remonte à la fin du XIVe siècle, construit probablement vers 1378-1387 à l’instigation du connétable Olivier de Clisson et de son épouse Marguerite de Rohan, seigneur et dame de Josselin. À cette occasion, les parties orientales furent entièrement reconstruites, et le chœur aménagé en même temps que la croisée, le portail sudet le bras nord du transept surmonté d’une tour de clocher. Long d’une douzaine de mètres, de plan rectangulaire à chevet plat, il ouvre sur la croisée par une arcade en tiers-point à deux rouleaux de grosses voussures portées par de courts et massifs piliers à chapiteaux prismatiques, le tout à arêtes simplement épanelées. Les matériaux mis en œuvre à la voussure supérieure et aux chapiteaux, un grès blanc crème et du schiste rouge, forment un contraste chromatique marqué, une allusion évidente aux émaux des armes de Clisson, de gueules au lion d’argent couronné d’or. Le même traitement est appliqué à l’autre grande arcade donnant sur la nef, et au portail sud. Malgré l’utilisation trop parcimonieuse du schiste rouge et un appareillage laborieux signalant l’action d’un atelier de second ordre, l’effet esthétique obtenu est très original. La face ouest de l’arcade, dans l’axe de la maîtresse-vitre, a été traitée avec plus de soin que le revers, de manière à améliorer l’impact visuel en alternant les claveaux blancs et rouges. Vers la même époque en Bretagne, on relève d’autres exemples d’une héraldisation de la zone des grandes arcades, le plus remarquable se situant à la chapelle Saint-Jacques de Merléac, dont les voussures furent entièrement peintes de bannières armoriéesvers 1381-1384. En revanche, on ne connaît semble-t-il pas d’autre cas où les matériaux eux-mêmes furent valorisés à des fins emblématiques. Toutefois, l’idée d’alternance visuelle des matériaux a pu être empruntée au chevet de la collégiale Notre-Dame de Lamballe, où elle fut mise en œuvre à certaines piles du chœur, sous l’action de Charles de Blois vers les décennies 1340-1350 (Gallet 2015, p. 184-185). Avec le portail sud, c’est l’un des traits les plus singuliers de Saint-Gobrien.
Saint-Servant-sur-Oust, chapelle Saint-Gobrien, grande arcade donnant sur le chœur.
Au chevet, la maîtresse-vitre, de proportion un peu décevante, a conservé son décor armorié. La verrière est insérée au sein d’un réseau rayonnant caractéristique de la fin du XIVe siècle, à quatre lancettes à tête trilobée surmontées par paires d’un quadrilobe sous une ogive, avec à la pointe quatre quadrilobes inscrits dans un grand losange à tracé curviligne. Là encore, cette composition est très nettement inspirée de Lamballe, où elle se déploie avec des raffinements à la baie d’axe de la claire-voie. Saint-Gobrien ne copie toutefois que maladroitement le modèle : le tracé est simplifié, la mouluration moins soignée, des segments d’arc se chevauchent, d’autres s’interrompent. On a l’impression d’une transcription d’un modèle régional de référence, fidèle dans l’esprit mais faible pour la technique, par un atelier n’ayant peut-être pas toute la maîtrise requise. Quoi qu’il en soit, les références multipliées à Lamballe, « manifeste politique de Charles de Blois […] destiné à soutenir le rang du comte de Penthièvre, candidat à la succession de la couronne ducale » (ibid.), ne sont pas anodines, et font écho aux ambitions d’Olivier de Clisson dans le contexte des années 1370-1380.
La verrière a été datée « vers 1400 », cependant le réexamen de la chronologie générale de la chapelle et du portail sud, joint aux comparaisons avec Notre-Dame de Lamballe, monument de référence prestigieux mais vieillissant, confirment une installation plus précoce, envisagée idéalement vers 1378-1387. Il ne reste de la verrière originale « largement restaurée et complétée […] au XIXe siècle » (Gatouillat, Hérold 2005, p. 324), qu’un saint et quelques architectures dans une lancette, et au tympan six écussons, authentiques, cantonnés de lettres M en onciale couronnées, refaites pour la plupart. Trois des écus sont aux armes d’Olivier de Clisson (armoiries 1 a-c), les trois autres à celles de sa seconde épouse Marguerite de Rohan (armoiries 2 a-c), décédés en 1407 et 1406.
Chevet et maîtresse-vitre, Saint-Servant-sur-Oust, chapelle Saint-Gobrien.
Toutes les armoiries sont montées à l’envers, comme l’indique la position contournée du lion de Clisson. L’inversion fâcheuse des quartiers des mi-partis donne l’impression fausse qu’il pourrait s’agir des armes d’Alain VIII de Rohan et Beatrix de Clisson, gendre et fille en première noce d’Olivier de Clisson. L’erreur s’insinue peut-être pour la première fois sous la plume de Duhem qui relevait en 1932 « des écussons aux armes de Rohan et Clisson » (Duhem 1932, p. 189) alors que l’identification n’avait posé aucun problème aux auteurs de la fin du XIXe siècle (Rosenzweig 1863, p. 80-81 ; André 1878, 1. 179-180 ; Le Méné 1894, p. 459). Cela suggère que l’interversion dut survenir à la repose des verres après une restauration vers la fin du XIXe ou le début du XXe siècle.
Les M couronnés sont pour la plupart des restitutions, mais quelques uns, authentiques, attestent de leur disposition originelle aux écoinçons des écus. Il a été proposé de reconnaître une référence explicite à Marguerite de Rohan (André 1878, p. 179-180 ; Gatouillat, Hérold 2005, p. 324), mais l’analyse a décliné cette hypothèse et démontré la signification mariale de cet emblème (base Devise ; Cordier 2017), à l’appui d’un jeton attribué à Olivier de Clisson, qui associe le M couronné à la légende « Maria g(ratia) plena » (de La Tour 1899, p. 84). D’autres personnages importants firent emploi de la même devise mariale, comme Marie de Blois, et on la retrouve aux bordures de la maîtresse-vitre de Saint-Jacques de Merléac en 1402 (Cordier 2017). Olivier de Clisson fit un usage emblématique de la lettre M, parfois associée au mot Pour ce qu’il me plest depuis au moins 1370, huit ans avant son remariage avec Marguerite de Rohan. Elle figure à cette date en décor de fond sur son petit signet (Sigilla), puis plus tard sur deux sceaux différents en 1387 (Sigilla) et 1397 (Sigilla). Pour l’héraldique monumentale, il a déjà été remarqué que cette devise, associée ou non au mot emblématique et aux armoiries pleines ou mi-parties de Rohan, figurent ou figuraient dans la plupart des monuments qui bénéficièrent du mécénat d’Olivier de Clisson et de son épouse, au château et à la basilique Notre-Dame-du-Roncier à Josselin, au château de Blain, à la chapelle Notre-Dame de la Fontaine en Saint-Brieuc, ainsi qu’au superbe Hôtel de Clisson à Paris.
Tympan de la maîtresse-vitre : détail des écussons et des devises au M couronné, Saint-Servant-sur-Oust, chapelle Saint-Gobrien.
Enfin, il faut remarquer des traces de chaux blanche et d’ocre rouge au réseau de la maîtresse-vitre, attestant que celui-ci était entièrement peint aux couleurs héraldiques de Clisson. Le chœur de Saint-Gobrien offrait sans doute au regard la palette complète des emblèmes du connétable : après avoir passé la grande arcade de la croisée alternant des claveaux de pierre blanche et rouge, des écussons aux armes pleines, en alliance et des M couronnés ornaient le tympan de la maîtresse-vitre, dont le réseau était aux émaux. Aux parois, des fresques dont il ne reste plus qu’un fragment d’enduit près de l’arc de communication du bras nord, devaient encore multiplier ces marques symboliques incluant peut-être le heaume cimé présent au signet de 1370 et en façade de l’Hôtel de Clisson. Une utilisation originale des matériaux, les moellons des murs masqués par de riches peintures, les faiblesses d’atelier camouflées par une mise en couleur hardie, tout cela manifestant une profusion emblématique : l’effet d’ensemble, à la gloire du plus puissant seigneur en Bretagne, devait être extrêmement convaincant.
Auteur : Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Saint-Servant-sur-Oust, chapelle Saint-Gobrien (chevet), https://armma.saprat.fr/monument/saint-servant-sur-oust-chapelle-saint-gobrien-chevet/, consulté
le 09/10/2024.
André, Auguste, « De la verrerie et des vitraux peints dans l’ancienne province de Bretagne », Mémoires de la Société archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, 12, 1878, p. 7-100.
Bonnet, Philippe, « Saint-Servant, chapelle Saint-Gobrien », dans : Bretagne. Dictionnaire-guide du patrimoine, Paris 2002, p. 464.
Gallet, Yves, « L’église Notre-Dame de Lamballe », Congrès archéogique de France, 173e session, 2015, Monuments des Côtes d’armor, Paris 2016, p. 175-189.
Gatouillat, Françoise, Hérold, Michel, Corpus vitrearum. Les vitraux de Bretagne, Rennes 2005.
Lagneau, Jean-François, Étude préalable de restauration générale de la chapelle Saint-Gobrien, 2008.
De La Tour, Henri, Catalogue de la collection Rouyer léguée en 1897 au département des médailles et antiques, 1, Paris 1899.
Le Méné, Joseph-Marie, Histoire archéologique, féodale et religieuse des paroisses du diocèse de Vannes, Vannes 1894 (rééd. 1982).
Rosenzweig, Louis, Répertoire archéologique du département du Morbihan, Paris 1863.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Saint-Servant-sur-Oust, chapelle Saint-Gobrien (chevet). Armoirie Olivier V de Clisson (armoiries 1 a-c).