Merléac, chapelle Saint-Jacques (cycle de la Passion)
Aux côtés du programme héraldique des arcades (vers 1380) et de la mise en signe de la maîtresse vitre (1402), l’église Saint-Jacques de Merléac intègre également une très belle scène de dévotion figurant les armoiries de la famille de Rohan et que l’on peut dater des années 1410-1420 (armoiries 1-3). Cette scène présente les Rohan en donateurs face à la Vierge et introduit un important cycle peint de la Passion du Christ, déployé sur les murs intérieurs de l’église (Hablot 2019, p. 57-58).
La Passion de Jesus Christ, détail. Merléac, chapelle Saint-Jacques, nef (mur nord) (<lavieb-aile.com>).
Située à la droite de l’autel et donc à la place d’honneur, presque en contact avec la maitresse verrière aux armes de la famille, cette scène figure de droite à gauche, sous un décor d’arcature formant un édifice, une Vierge à l’Enfant trônant, l’enfant Jésus bénissant (ou donnant ?) une bannière semée de neuf macles jaunes (la couleur du champ a aujourd’hui disparue mais le gueules qui la teintait est conservé au centre des macles) (armoirie 1a) tenue par un saint militaire nimbé et paré d’une cotte d’armes à la croix de gueules et figurant sans doute saint Georges. Celui-ci pose la main sur l’épaule d’un chevalier agenouillé à ses pieds devant un prie-Dieu sur lequel repose son armet, les mains jointes en signe de dévotion et d’hommage, et qu’il présente à la sainte famille. Vêtu de son armure de plates, la tête coiffée de la cervelière (ou de longs cheveux), il porte une cotte d’armes de gueules aux armes de Rohan (les macles sont bien lisibles) (armoirie 1c). Derrière lui, une fine colonnette le sépare d’une femme agenouillée devant un prie-Dieu en cotte hardie ouverte dont la robe semble partie de deux armoiries sur champ de gueules (Rohan et ?) (armoirie 2). Elle est présentée par une sainte nimbée et vêtue elle aussi d’une cotte hardie couverte d’un ample manteau posant la main droite sur son épaule et tenant de la gauche une fleur dressée (une marguerite ?). Derrière elles se tiennent un autre saint militaire (saint Maurice ou saint Julien ? (Hablot 2012), nimbé et vêtu d’une longue cotte rouge à la croix jaune, tenant une seconde bannière aux armes de Rohan (dans le même état que la précédente) (armoirie 1b). Celui-ci pose la main sur l’épaule d’un très jeune chevalier agenouillé à ses pieds devant un prie-Dieu sur lequel repose son bacinet, les mains jointes, vêtu de son armure de plates. Tête nue, coiffé au bol, il porte lui aussi une cotte aux armes de Rohan (les macles sont bien lisibles) (armoirie 1d). Derrière eux se tient une femme agenouillée devant un prie-Dieu, en cotte hardie dont la robe visible porte les armes (parties ?) de Rohan (armoirie 3). Elle est présentée par une sainte nimbée, vêtue d’une simple robe, posant la main droite sur son épaule et tenant de la gauche une croix dressée (saint Marguerite).
Les Rohan présentés à la Vierge par des saints. Merléac, chapelle Saint-Jacques (<lavieb-aile.com>).
Les éléments de contexte et le style général de la scène invitent à la dater du premier tiers du XVe siècle. Il reste toutefois difficile de garantir l’identification des personnages car seuls saint Georges et sainte Marguerite sont assurément identifiés à leurs attributs. Certains auteurs (Cordier 2017), se fondant sur l’attribut floral de la première sainte identifiée comme sainte Marguerite, y reconnaissent Alain IX (1382-1462) qui a succédé en 1429 à son père Alain VIII, et son épouse Marguerite de Bretagne († 1428) suivis par leur fils Alain de Porhoët (1408-1449) et leur fille Marguerite de Rohan († 1496). Cette attribution nous situerait a priori avant la mort de Marguerite de Bretagne en 1428. Cependant, à cette époque, Alain IX n’était pas encore le vicomte en titre (il le sera en 1429) et le couple avait pourtant eu deux autres enfants, Jeanne née en 1415, et Catherine, née en 1425, qui ne sont pas figurés ici. Enfin la redondance de sainte Marguerite avec deux attributs différents interroge.
Il est donc possible de proposer d’y reconnaître plutôt Alain VIII († 1429) et son épouse Béatrix de Clisson (circ. 1336-1448), l’un présenté par saint Georges et l’autre par sainte Béatrice (serait-ce cette sainte martyre des premiers siècles dont les attributs iconographiques restent fort mal connus figurée ici comme une noble dame tenant un objet ressemblant à une fleur ?). Le parti rouge de la robe de la dame (armoirie 2) se prête mieux aux armes de Clisson (de gueules au lion d’argent, armé, lampassé et couronné d’or), qu’aux armes de Bretagne d’hermine plain qui exigent un fond blanc. Ils seraient alors suivis par leur fils unique Alain, comte de Porhoët, futur Alain IX, et sa jeune femme Marguerite de Bretagne qu’il épouse en 1407, âgé de 25 ans. Cette proposition situerait la facture de ce cycle entre 1407 et 1428 et plutôt vers 1410 compte tenu de l’âge figuré des jeunes gens. Le style des costumes et des armes ne s’y oppose pas, mais l’absence des armes de Bretagne sur la robe de la jeune épouse peut néanmoins surprendre compte tenu de l’importance politique et sociale de cette prestigieuse union. Elle s’explique peut-être par l’état de dégradation des peintures qui ont pu faire disparaître un éventuel semé d’hermines sur la robe ?
Les Rohan présentés à la Vierge par des saints, détail. Merléac, chapelle Saint-Jacques (<lavieb-aile.com>).
On comparera utilement cette scène avec le portrait de Marguerite de Clisson, sœur de Béatrix et épouse de Jean de Blois, figuré dans les Heures de Marguerite de Clisson (Paris, BnF, ms Fr. 10528, f. 29) daté de 1415. La scène, qui évoque ce thème des portraits de famille armoriés des années 1400-1440 (voir celui jadis figurant dans la chapelle des Jouvenel des Ursins à Notre-Dame de Paris) peut encore être rapprochée du si célèbre diptyque Wilton (Londres, National Gallery, inv. NG 4451) peint vers 1395 et sur lequel l’enfant Jésus dans les bras de la Vierge donne et béni la bannière d’Angleterre à Richard II présenté par les deux saints rois fondateurs de l’Angleterre (Edouard et Edmond) et saint Jean-Baptiste.
A l’instar de ce célèbre tableau, le vicomte de Rohan, reçoit ici son fief en foi et hommage directement du Christ, un message de prétention très audacieux pour ce grand vassal des ducs de Bretagne qui se pose quasiment ici comme un prince souverain égal de son seigneur.
Auteur : Laurent Hablot
Pour citer cet article
Laurent Hablot, Merléac, chapelle Saint-Jacques (cycle de la Passion), https://armma.saprat.fr/monument/7993/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
Barral I Altet, Xavier, « Décor peint et iconographie des voûtes lambrissées de la fin du Moyen Âge en Bretagne », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 131, 3, 1987, p. 524-567.
Hablot, Laurent, « Aux armes saint Maurice ! Saint Maurice et l’emblématique à la fin du Moyen Age », dans N. Broccard et al. (dir.), Autour de saint Maurice. Politique, société et construction identitaire, Saint-Maurice-Besançon 2012, p. 275-287.
Hablot, Laurent, « La concorde par les armes. Le programme héraldique de la chapelle Saint-Jacques de Merléac, un discours de paix civile dans la Bretagne des XIVe-XVe siècle », dans X.-L. Salvador (dir.), Paroles et images sur le commencement : le discours des peintures de la chapelle de Merléac, Caen 2019, p. 45-60.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Merléac, chapelle Saint-Jacques (cycle de la Passion). Armoirie Rohan (armoiries 1a-b)