La famille Jouvenel des Ursins, qui avait son hôtel particulier sur l’Île de la Cité, avait élu sa sépulture dans la cathédrale Notre-Dame et plus précisément dans la chapelle Saint-Rémi (actuelle chapelle Saint-Guillaume), située à la sixième travée du déambulatoire du chœur, sur le côté sud (Guillhermy 1873, p. 61). A la fin du XIXe siècle, la chapelle abritaient encore la tombe de Guillaume des Ursins († 1472) et celle de François des Ursins († 1547) et de sa femme, Anne l’Orfèvre (voir ci-dessous). Le mausolée de Jean Jouvenal des Ursins († 1431), prévôt des marchands de Paris (Demurger 1997, p. 34 et s.), et de sa femme, Michelle de Vitry († 1456), avait été en revanche déjà démantelé. Seulement les statues des deux défunts, représentés en prière, avaient été sauvegardées : initialement déposées à Versailles, elles ont pu regagner leur emplacement d’origine dans l’église Notre-Dame en 1955, installées sur un socle qui suggère leur emplacement surélevé originaire (les têtes des deux priants ont été refaites aux XIXe siècle).
Un dessin de Louis Boudan contenu dans la collection de François Rogier de Gaignières (Paris, BnF, dép. est. et photo, RESERVE PE-9-FOL, f. 96 : Collecta) conserve l’image de ce tombeau perdu. En 1443 Michelle de Vitry avait obtenu le droit de sépulture dans la chapelle par le chapitre pour elle et pour sa postérité : une concession plus qu’extraordinaire, à cette époque, pour des laïcs. Elle avait ainsi obtenu l’autorisation à faire « au joignant dudit mur une voute en façon de sepulture (un enfeu, donc), et dessus une représentation sur une tombe eslevée, où seroient mises et apposees les representation en images dudit feu seigneur et de la dite dame, et de faire peindre a leur plaisir le dist costè du mur, et faire changer les verrieres d’iceluy, se bon leur sembloit » (doc. cit. par Demurger 1997, p. 41). Michèle put alors faire rapatrier le corps de son mari, qui était mort à Tours, et réaliser le tombeau que devait accueillir sa dépouille et celle de son conjoint. Le dessin de Boudan permet en effet de constater que les portraits des deux époux, représentés à genoux devant un prie-Dieu sur lequel se trouvait un livre ouvert, étaient installés sur un sarcophage orné de trois écus : l’armoirie mi-partie aux armes des époux (mi-parti Jouvenel-Vitry) était représentée au milieu (armoirie 1), côtoyée de part et d’autre de deux écus aux armes des Ursins (armories 2a-b). Une épitaphe était gravée sur le bord de la dalle qui scellait le sarcophage et fournissait le support aux deux sculptures. Nous remarquerons d’ailleurs que Jean Jouvenel, habillé de son armure, portait un surcot à ses armes, aujourd’hui repeint dans des couleurs noir et rouge qui ne respectent pas la polychromie d’origine Un deuxième dessin réalisé par Boudan laisse penser que le sarcophage était effectivement placé à l’intérieur d’un enfeu ou qu’il était encadré par une arcade (Paris, BnF, dép. est. et photo, RESERVE PE-9-FOL, f. 96) : on y voit un tympan – placé « au dessus » du tombeau, informe une note manuscrite – orné d’un écu penché aux arme des Jouvenel des Ursin, tenu par deux oursons collectés et enchaînés – l’ours, emblème parlant, faisait partie de la panoplie héraldique de Jean depuis les années 1390 (voir son sceau de 1393 : Sigilla) – et timbré par un heaume chargé d’un cimier à de grandes ailes (armoirie 3). Nous noterons que cette composition héraldique rappelle de près celle que l’on peut voir sur un sceau attribué à Jean Jouvenel, petit-fils de Jean et de Michelle de Vitry, daté de 1491 (Sigilla) : il est toutefois impossible de dire, à ce stade, si ce cimier avait été déjà adopté par d’autres membres de la famille.
La famille Jouvenel des Ursins. Paris, Musée de Cluny (jadis Notre-Dame, chapelle Jouvenal des Ursins).
La mise en signe de la chapelle était complétée par un tableau (165 x 350 cm), réalisé entre 1445 et 1449, représentant Jean et sa femme en compagnie de leurs onze enfants. Reproduite par Louis Boudan, quand encore elle se trouvait dans son emplacement d’origine (Paris, BnF, dép. est. et photo, RESERVE OA-15-FOL, f. 30 : Collecta), la peinture avait été transportée en 1795 au Musée des Monuments français, d’où elle fut transférée, en 1829, au Musée du Louvre. Elle fut finalement déposée en 1985 au Musée de Cluny (inv. RF 9618), où elle est encore conservée de nos jours. Représentés sur le fond d’un tissu ouvragé, tendu entre deux colonnes, les personnages de la famille sont tous identifiés par des légendes, tracées dans la marge inferieur de la peinture, qui en donnent les noms et les qualités. Le groupe est ouvert par Jean et Michelle, représentés en prière devant leurs prie-Dieu : le mari, comme les enfants mâles du couple qui n’avaient pas embrassé la carrière ecclésiastique, sont habillés d’un surcot aux armes de la famille. La composante héraldique de ce tableau est d’ailleurs assez importante et permet d’en situer l’exécution dans le cadre du « chantier » qui avait conduit à la réalisation du tombeau de Jean et Michelle. Les armes du couple sont en effet représentées sur des écus en formes de targes (armoiries 4a-c, 5), soutenus par des anges « accrochés » aux clefs pendantes des voûtes de la chapelle s’ouvrant sur le fond de l’image : si trois écus portent les armes plaines des Jouvenel des Ursins (armoiries 4a-c), celle qui se trouve à la verticale de Michelle de Vitry porte celles mi-parties Jouvenel-Vitry facilitant ainsi l’identification de la dame en prière (armoirie 5).
Dans les décennies suivantes, la chapelle devient le lieu de sépulture des Jouvenel des Ursins. Les dessins de la collection Gaignières documentent ainsi les tombeaux perdus d’autres membres de la famille. On y trouvait la tombe de cuivre de Guillaume († 1472), capitaine des gens d’armes du roi, conseilleur au parlement de Paris à Poitiers et garde des sceaux et chancelier de France (Paris, BnF, dép. est. et photo, RESERVE PE-9-FOL, f. 94 : Collecta), connu aussi pour le portrait peint par Jean Fouquet (Paris, Louvre, inv. 9619). La sépulture était placée sur le marchepied de l’autel à gauche dans la chapelle. Guillaume était représenté, sur la gauche, habillé de sa tenue de membre du Parlement. Au-dessus de sa tête sont gravés une boîte à sceaux et le bonnet à mortier de velours noir utilisé par le président du Parlement, à fin d’indiquer les plus hautes charges occupées par Guillaume durant sa vie. Ce tombeau présente toutefois un deuxième portrait, resté longtemps mystérieux. L’arcade de droite encadre en effet un chevalier en armure, revêtu d’un surcot aux armes de la famille des Ursins et portant un poignard et une épée à la ceinture. Il a été traditionnellement identifié avec Louis Jouvenel, frère de Guillaume qui était né en 1393 (la date de son décès n’est pas connue), mais sans apporter des arguments décisifs (Bouchot 1891, p. 75, num. 4299). Il nous semble également improbable que Jean, fils de Guillaume, ait trouvé sépulture avec son père, étant décédé seulement en 1492. Par ailleurs, le nom de l’un comme de l’autre n’apparaissent pas dans l’épitaphe gravé sur la dalle funéraire et ils ne sont jamais mentionnés par les érudits qui ont traité des sépultures réunies dans la chapelle. Ce détail ne peut pas surprendre. Dans son testament, Guillaume affirme d’avoir déjà fait réaliser pour soi une tombe en cuivre sur laquelle il demande que « les jour et an de mon trespas soient taillez et escriptz » (Paris, BnF, ms. Dupuy 673, f. 58r, cité par Lewis 1992, p. 264). Nous comprenons ainsi que Guillaume avait fait préparer son tombeau de son vivant et pour lui seul. Il est donc plausible que le deuxième portrait ne représente autre que le même Guillaume, comme le confirme le double portrait figurant dans une enluminure d’un célèbre manuscrit (Giovanni Colonna, Mare historiarum) lui ayant appartenu (Paris, BnF, ms. Lat. 4915, f. 21r). Avec ce double portrait Guillaume voulait donc mettre en évidence sa double carrière, en tant qu’homme d’armes et politicien et, peut-être, humaniste (Lewis 1992, p. 265 ; Reynaud 1992). Concernant le dispositif héraldique et emblématique figurant sur la plate tombe, nous remarquerons que des oursons – emblème de la famille qui, avec muselière et chaîne, tapissent également les folios du livre d’Heures de Guillaume (Paris, BnF, NAL ms. 3226 ; Reynaud 1999) – figuraient aux pieds des portraits du défunts, tandis que les armes des Jouvenel des Ursins étaient gravées d’une part et d’autre de leurs visages (armoiries 6a-d), aux deux côtés des jambes de celui en armure (armoiries 6e-f) et, suivant le schéma traditionnel, à l’intérieur de la bordure portant l’épitaphe, insérés dans des encadrements polylobés (armoiries 6g-h).
Au milieu de la chapelle se trouvait également la tombe de cuivre (Paris, BnF, dép. est. et photo, RESERVE PE-9-FOL, f. 93 : Collecta) de François Jouvenel des Ursins († 1547) et de sa femme, Anne L’Orfèvre d’Orfeuil († 1561) (Paris, BnF, dép. est. et photo, RESERVE PE-9-FOL, f. 92 : Collecta). Le mari était représenté en armure, habillé d’un surcot aux armes de la famille et avec un ourson à ses pieds. Les portraits des deux défunts étaient encadrés par des pilastres sur plinthe soutenant un linteau sur lequel étaient gravés, à dextre, un écu aux armes des Jouvenel des Ursins (armoirie 7) et, à senestre, un autre aux armes mi-parties Jouvenel-L’Orfèvre (armoirie 8) ; les deux écussons étaient tenus par deux oursons. L’ensemble était complété par la plate tombe en pierre de Louis († 1520), chanoine de Paris et archidiacre de Champagne, placée à l’entrée de la chapelle. Le défunt était représenté avec un manipule sur le bras gauche, encadré par une arcade ornée de sculptures et culminant dans une accolade portant l’image du Sein d’Abraham (Paris, BnF, dép. est. et photo, RESERVE PE-9-FOL, f. 97 : Collecta). Deux écus aux armes de la famille étaient gravés d’une part et d’autre du gisant dans la bordure qui contenait l’épitaphe (armoiries 9a-b).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Paris, Notre-Dame (chapelle Jouvenel des Ursins), https://armma.saprat.fr/monument/paris-notre-dame-chapelle-jouvenel-des-ursins/, consulté
le 10/11/2024.
Bibliographie sources
Paris, BnF, Département des estampes et de la photographie, RESERVE PE-9-FOL.
Bibliographie études
Bouchot, Henri, Inventaire des dessins exécutés pour Roger de Gaignières et conservés aux départements des estampes et des manuscrits, Paris 1891.
Demurger, Alain, « La famille Jouvenel. Quelques questions sur un tableau », Annuaire-Bulletin de la Société de l’Histoire de France, 1997 (1999), p. 31-56.
Guilhermy, Ferdinand de, Inscription de la France du Ve au XVIIIe, t. 1. Ancien diocèse de Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1873.
Lewis, Peter S., « The Chancellor’s Two Bodies: Note on a Miniature in BNP lat. 4915 », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 55, 1992, p. 263-265.
Reynaud, Nicole, « Sur la double représentation de Guillaume Jouvenel des Ursins et sur ses emblèmes », Revue de la Bibliothèque Nationale, 44, 1992, p. 50-57.
Reynaud, Nicole, « Les Heures du chancelier Guillaume Jouvenel des Ursins et la peinture parisienne autour de 1440 », Revue de l’Art, 126, 1999, p. 23-35.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Paris, Notre-Dame (chapelle Jouvenel des Ursins). Armoirie Michelle de Vitry (armoirie 1)
Mi-parti : au premier, bandé d’argent et de gueules de six pièces, au chef d’argent soutenu d’or, chargé d’une rose de gueules, boutonnée d’or (Jouvenel des Ursins), au deuxième, d’azur, à la fasce losangée de trois pièces d’or, accompagnée de trois merlettes du même (Vitry).
Attribution : Vitry Michelle de
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chevet ; Déambulatoire
Emplacement précis : Chapelle
Support armorié : Tombeau
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Paris, Notre-Dame (chapelle Jouvenel des Ursins). Armoirie Michelle de Vitry (armoirie 5)
Mi-parti : au premier, bandé d’argent et de gueules de six pièces, au chef d’argent soutenu d’or, chargé d’une rose de gueules, boutonnée d’or (Jouvenel des Ursins), au deuxième, d’azur, à la fasce losangée de trois pièces d’or, accompagnée de trois merlettes du même (Vitry).
Tenant : un ange.
Attribution : Vitry Michelle de
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chevet ; Déambulatoire
Emplacement précis : Chapelle
Support armorié : Mur ; Tableau peint ou sculpté
Structure actuelle de conservation : Paris, Musée de Cluny
Paris, Notre-Dame (chapelle Jouvenel des Ursins). Armoirie Anne L’Orfèvre (armoirie 8)
Mi-parti : au premier, bandé d’(argent) et de (gueules) de six pièces, au chef d’(argent) soutenu d’(or), chargé d’une rose de (gueules), boutonnée d’(or) (Jouvenel des Ursins) ; au deuxième, d’(or) à l’écusson de (sable) en cœur, à la bande de (gueules) brochant sur le tout (L’Orfèvre).
Tenant : deux oursons.
Attribution : L'Orfèvre Anne
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chevet ; Déambulatoire
Emplacement précis : Chapelle ; Sol
Support armorié : Plate-tombe
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue