Le château de Brie-Comte-Robert fut construit à la fin du XIIe siècle, pendant la seigneurie de Robert Ier de Dreux († 1188), frère de Louis VII. Entouré de lices et de douves, doté de tours circulaires à chacun des angles et de tours carrées surmontant les deux portes d’entrée, cette forteresse contenait, à l’intérieur de la courtine qui l’enserrait, des édifices résidentiels. Ceux-ci furent réaménagés par Jeanne d’Evreux († 1371), épouse de Charles IV, qui tenait la châtellenie de Brie-Comte-Robert de sa mère, Marguerite d’Artois († 1311). A la mort de son mari en 1328, Jeanne se retira dans ce château où, comme ses registres de comptes l’indiquent, elle fit notamment transformer le logis seigneurial et aménager une chapelle, dédiée à saint Denis, dans une des tours (Amis du vieux château 1997). La guerre de Cent Ans endommagea lourdement cette forteresse, portant à la destruction totale des aménagement réalisés au XIVe siècle.
Des campagnes de fouilles très méticuleuses, réalisées depuis plusieurs années, ont permis de récupérer les vestiges de cette résidence seigneuriale et de documenter, entre autres, les éléments qui participaient à son décor. Des carreaux glaçurés ornés aussi d’armoiries et des fragments de vitraux portant les éléments qui composaient un écu armorié ont été retrouvés au cours de ces fouilles. Il s’agit d’une découverte majeure, parce qu’elle permet d’avoir une documentation matérielle (et en bon état) d’éléments qui étaient très communs dans l’habitat aristocratique de l’époque en Ile-de-France mais dont on trouve désormais trace presque seulement dans les sources d’archives (voir, à Paris, l’hôtel Saint-Pol, l’hôtel des Tournelles ou celui de Bourbon).
Carreaux de pavement armoriés. Brie-Comte-Robert, château.
Les carreaux de pavement ont été retrouvés dans des remblais, datant de la fin du XVe siècle, situés dans la tour est, dans la cour devant le logis seigneurial et dans une zone correspondant à une salle de celui-ci (Aymard, Béon 2009, p. 226). Parmi les carreaux estampés bicolore (jaune et rouge), certains sont ornés d’éléments tirés du répertoire du blason, comme des fleurs de lys, des lions ou des aigles, par exemple. Sans vouloir attribuer à ces pièces une véritable valeur héraldique, ces figures étant assez fréquentes dans l’ornementation aux XIIIe-XIVe siècles, nous remarquerons quand même que la présence des fleurs de lys n’est pas anodine dans une résidence occupée par les membres d’une branche cadette de la maison de France (armoirie 1).
La valeur héraldique d’autres carreaux, chargés d’écus armoriés, est bien plus évidente. Toujours axés sur la diagonale, ils devaient à l’origine former un programme qu’il est actuellement impossible de recomposer : nous n’avons pas en effet d’indications ni sur la salle ou les salles auxquelles les carreaux étaient destinés, ni sur l’emplacement originairement occupé par chaque pièce. Nous y retrouvons (ibid., p. 227-230) tout d’abord des écus aux armes écartelées d’Evreux et de Navarre (armoirie 2), de Navarre (armoirie 3) et de France (armorie 4). Ces dernières sont présentées dans la forme ancienne d’un semé de fleurs de lys – ce qui peut nous donner un premier repère chronologique avant la fin du XIVe siècle – et sont accompagnées d’un côté et d’autre par deux écussons de plus petite taille : l’un, à dextre, porte une armoirie à deux fasces (armoirie 5), l’autre, à senestre, une armoirie à trois chevrons (armoirie 6). Nous trouvons ensuite des écus aux armes des Malet de Graville, qui devaient vraisemblablement appartenir à deux ensembles distincts, même si contemporains (cf. Aymard, Béon 2009, p. 236-237) : dans un cas l’écu est en effet encadré dans un quadrilobe (armoirie 7), dans l’autre il est présenté sans encadrement (armoirie 8). La série est complétée par des écu portant une armoirie inconnue formée par une croix ancrée et par une bordure chargée de neuf (ou dix) châteaux (armoirie 9). Il nous semble en revanche de pouvoir exclure la présence d’une autre armoirie partie de France et de … à la bande de …, documentée sur un seul carreau (Aymard, Béon 2009, p. 230). Particulièrement abîmé, celui-ci porte en effet la même composition aux armes de France accompagnées par deux écus anonymes que l’on vient de décrire (armoiries 4-6) : il est probable que l’écusson au milieu présentait initialement lui aussi un semé de fleurs de lys.
Carreau de pavement aux armes de France accompagnées par deux armoiries anonymes.Brie-Comte-Robert, château.
La difficulté de recomposer le programme originaire entrave l’interprétation de cet ensemble qui, pourtant, semble très homogène pour style, format et technique. La présence des armes de Navarre et d’Evreux-Navarre (armoiries 2-3), faisant référence à l’époque dans laquelle la maison d’Evreux-Navarre occupa le trône du royaume ibérique, permet de situer la réalisation de cet ensemble entre 1328 (début du règne de Philippe III) et 1441 (mort de Blanche Ière qui régna toutefois avec son mari Jean II d’Aragon), ou plutôt 1425 (mort de Charles III). L’association de ces armoiries avec celles de France (armoirie 4) suggère cependant de restreindre la fourchette chronologique avant la mort de Jeanne d’Evreux (donc, avant 1371), qui garda le fief de Brie-Comte-Robert toute sa vie durant (Surget 2008, p. 44). Non seulement cette dernière avait été reine de France, mais les trois armoiries susmentionnées s’inscriraient bien dans un programme héraldique conçu dans la longue phase opposant la maison d’Evreux à celle de Valois en raison des prétentions de Philippe, frère de Jeanne, au trône de France après la mort de Charles IV en 1328 et, plus dans le détail, de ses droits sur le comté de Champagne et de Brie (sur cette controverse voir Surget 2008). Philippe, roi de Navarre depuis 1328 par le biais de son mariage avec Jeanne II, fut en effet le premier à adopter l’écartelé France-Navarre (Hablot 2011), qu’il fut par la ensuite adopté également par son fils Charles, dit le Mauvais, après sa succession au trône en 1349 (Sigilla). Quelques indications plus précises pourraient d’ailleurs provenir de la présence de l’armoirie des Mallet de Graville (armoiries 7-8), qui pourrait faire référence à Jean III. Il avait été lieutenant du roi de Navarre en Picardie en 1352, après avoir servi Louis de la Cerda, connétable de France, en 1340 (Borel d’Hauterive 1841, p. 389-391). Comme d’autres seigneurs normands, Jean avait porté son soutien à Charles le Mauvais qui cherchait à détrôner Jean le Bon, dont il avait pourtant épousée la fille, Jeanne, en 1352. Il participa ainsi à l’assassinat de Charles de la Cerda en 1354. La mort par décapitation en 1356 de Jean III Mallet de Graville, capturé avec d’autres conspirateurs à Rouen (Cuttler 1981, p. 150, 160-162), constituerait donc le terminus ad quem plus probable pour la réalisation de ces carreaux de pavement.
D’autres indications pour fixer la chronologie de l’œuvre pourraient venir de l’identification de deux écus accompagnant les armes de France (armoiries 5-6) et de celui à la bordure chargée de châteaux (armoirie 9). Ces armoiries demeurent pour le moment anonymes. Nous nous limiterons donc à relever (avec Aymard, Béon 2009, p. 237-238) que l’armoirie à la croix et à la bordure chargée de château (armoirie 9) rassemble de près aux armes de la famille Malevente (ou Malevende, Maluenda) (Garcia 2004, p. 149, note 9), originaire de Burgos mais installée en Normandie au moins depuis le début du XVIe siècle (Dergny 1863, p. 268). A ce moment, aucun lien entre ce lignage et la famille d’Evreux n’est toutefois documenté.
Fragment de vitrail armorié. Brie-Comte-Robert, château.
A la mise en signe héraldique du château participaient également les vitraux apposés aux fenêtres, comme le prouvent les fragments retrouvés en fouilles dans la fosse de latrines (armoirie 10). La reconstitution de l’ensemble d’origine (17 x 20 cm) a fait penser que l’armoirie de Aliénor de Saint-Valery, épouse de Robert III de Dreux, était représentée sur cette verrière (Aymard 2004). La femme, morte en 1250, portait en effet un frété semé de fleurs de lys qui rassemble de près à l’écusson reconstitué. Toutefois le style des lys figurés sur le vitrail de Brie-Comte-Robert ne semble pas convenir à une datation aussi précoce. La forme déjà carrée de la fleur suggère en effet, à notre avis, une chronologie plus tardive, au XIVe siècle (voir Poitiers, Tour Maubergeon). Nous ne devrons pas oublier, d’ailleurs, que dans la composition des vitraux aux armes de France, les fleurs de lys pouvaient être représentées dans des pièces en forme de losanges, reliées entre elles par d’autres pièces en forme de parallélogramme. Tel procédé est bien visible dans le vitrail héraldisé de l’abbaye Saint-Pierre d’Orbais (vers 1250-1260 : Courajod 1873, pl. 9), dans la Marne, tout comme dans le vitrail d’Alphonse de Poitiers dans l’église Sainte-Radegonde à Poitiers. Il serait naturel de mettre en relation le vitrail armorié aux travaux réalisés par Jeanne d’Evreux en 1336. Les registres de compte notent dans cette année des dépenses pour des vitraux mis « en la tour devers la ville » et « pour voires mis ès fenêtres des dictes galeries » (Michel 1902, p. 321, 323). Cependant, nous n’excluons pas la possibilité que ce vitrail soit un peu plus tardif et que sa réalisation s’inscrive dans la pratique, bien documentée dans la deuxième moitié du XIVe siècle, d’orner les maisons des proches du roi de vitraux ou d’autres éléments du décor aux armes fleurdelisées (voir, à Paris, l’Hôtel du prévôt, appartenant à Louis d’Orléans, ou celui de Bourbon, construit par Louis II de Bourbon). Pour conclure, nous pouvons imaginer que la fenêtres devait être formée par des vitres transparent portant au milieu l’écu armorié, comme on le voit, par exemple, dans certaines enluminures illustrant l’Hôtel Saint-Pol à Paris.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Brie-Comte-Robert, château, https://armma.saprat.fr/monument/brie-comte-robert-chateau/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
Amis du vieux château, Les comptes de la reine Jeanne d’Evreux à Brie-Comte-Robert, Brie-Comte-Robert 1997.
Aymard, Jérome, Béon, Charlotte, « Les carreaux de pavement médiévaux du château de Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne) », dans J. Chapelot, O. Chapelot et B. Rieth (dir.), Terres cuites architecturales médiévales et modernes en Ile-de-France et dans les régions voisines (Bourgogne, Centre, Champagne-Ardennes, Franche-Comté, Basse-Normandie, Picardie), Caen 2009, p. 227-242.
Aymard, Jérome, Discussion autour du vitrail aux armes d’Aléonor de Saint-Valéry ou Robert III fut-il seigneur de Brie ?, rapport 2004, s.l., s.d.
Borel d’Hauterive, André, Revue historique de la noblesse, t. 2, Paris 1841.
Courajod, Louis, « Les armoiries des comtes de Champagne au XIIIe siècle », Mémoires de la société nationale des antiquaires de France, s. 4e, 4, 1873, p. 382-402.
Cuttler, S.H., The law of treason and treason trials in later medieval France, Cambridge 1981.
Cuvilier Jean-Marie, Piechaczyk M., « Le vitrail-blason du château de Brie-Comte-Robert », dans Id. (dir.), Le château de Brie-Comte-Robert. Bilan des recherches archéologiques 2004, Brie-Comte-Robert 2004, annexes.
Dergny, Dieudonné, Les cloches du pays de Bray, Paris-Rouen 1863.
Garcia, Alejandro, « Análisis arqueológico de la cripta de la capilla de las Once Mil VÍrgenes en el convento de San Pablo de Burgos », Bolskan, 21, 2004, p. 145-154.
Hablot, Laurent, « Le sceau et la devise à la fin du Moyen Âge : une nouvelle identité sigillaire ? L’exemple de la Navarre », dans J.-L. Chassel, M. Gil (dir.), Pourquoi les sceaux ? La sigillographie, nouvel enjeu de l’histoire de l’art, Lille 2011, p. 311-328.
Michel, Edmond, Histoire de la ville de Brie-Comte-Robert, Paris 1902.
Surget, Marie-Laure, « Mariage et pouvoir : réflexion sur le rôle de l’alliance dans les relations entre les Evreux-Navarre et les Valois au XIV siècle (1325-1376) », Annales de Normadie, 58, 1-2, 2008, p. 25-56.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Brie-Comte-Robert, château. Armoirie roi de France (armoirie 1)
Fleur de lys.
Attribution : Roi de France
Position : Intérieur
Étage : Inconnu
Pièce / Partie de l'édifice : Inconnue
Emplacement précis : Sol
Support armorié : Carreau
Structure actuelle de conservation : Déplacée dans le même monument
Brie-Comte-Robert, château. Armoirie Charles d’Evreux-Navarre (armoirie 2)
Écartelé : au 1 et 4 d'(azur) semé de fleurs de lys d'(or) à la bande componée d'(argent et de gueules) (Evreux), au 2 et 3 de (gueules) aux chaînes d'(or) posées en orle, en croix et en sautoir (chargées en cœur d’une émeraude au naturel) (Navarre).
Attribution : Evreux-Navarre Charles de ; Navarre Charles II de
Position : Intérieur
Étage : Inconnu
Pièce / Partie de l'édifice : Inconnue
Emplacement précis : Sol
Support armorié : Carreau
Structure actuelle de conservation : Déplacée dans le même monument