Paris, Hôtel du Prévôt (de la Poterne ou du Porc-Epic)
Cet hôtel princier dérive son nom du fait que, à cet endroit, avait habité Hugues Aubriot, le prévôt de Paris qui avait fait construire la Bastille à partir de 1370. Celui-ci avait pris sa résidence dans un logis datant du XIIIe siècle (appelé la Maison des Marmousets, en raison de deux figures grotesques en pierre qui l’ornaient : Sellier 1910, p. 34 ; « ad quadam domum, ubi sunt duo marmoseti lapidei » : De Poerck 1959, p. 617), appartenu auparavant à Jacques de Pacy, conseiller du roi au Parlement (Sellier 1910, p. 35). Située à quelques pas seulement de l’hôtel royal Saint-Paul, cette demeure fut embellie et augmentée par Aubriot. Elle fut finalement achetée, après d’autres passages de propriété, le 16 décembre 1397 par Louis d’Orléans avec deux autres maisons (ibid., p. 43). Le duc lança rapidement des travaux visant à aménager les espaces et à en augmenter le prestige. Selon une pratique assez courante pour l’époque parmi les grands seigneurs installés dans la capitale, il ne garda pourtant longtemps cette propriété. Il l’échangea en effet en juin 1404 avec Jean de Berry, son oncle, contre celle des Tournelles. Le duc de Berry, à son tour, donna l’hôtel à Jean de Montagu qui, en 1401, venait d’être nommé grand maître de France. Agrandi par ce dernier jusqu’à incorporer une section des anciens remparts de la ville, après sa mort violente, il passa dans les mains de Guillaume, duc de Bavière, puis dans celles de Jean de Bourgogne et de son épouse, Jacqueline de Bavière (Sauval 1724, p. 81). Dans les années suivantes cet hôtel ne cessa de changer des propriétaires : Philippe le Bon, Arthur de Richemont, Robert d’Estouteville († 1479), prévôt de Paris (Sellier 1910, p. 47 et ss.), se succédèrent dans ses salles. Des vestiges de cet hôtel, partagé en deux au début du XVIe siècle et fortement transformé au fil du temps, subsistaient encore au début du XXe siècle dans l’Hôtel de Jassaud, détruit en 1908 (Ribera-Perville 1980, p. 38). Des gravures et des tableaux montrent la tourelle d’escalier qui, avec ses mouluration gotiques, à l’origine devait se terminer par une voûte sculptée remplacée par la suite par un plancher plafonné (Sellier 1910, p. 31-32).
Truschet et Hoyau, plan de Paris (1552), détail avec l’Hotel du Prévôt et l’Hotel Saint-Pol.
Malgré la perte de tout vestige, les descriptions anciennes permettent d’avoir une idée de l’articulation de cette demeure, formée par un ensemble d’édifices composites, de ses espaces et de leur ornementation. Sans surprise, les éléments héraldiques et emblématiques étaient omniprésents dans le décor monumental des salles et de différentes parties de l’hôtel. Les informations que nous possédons à ce sujet concernent essentiellement l’emblématique de Louis d’Orléans, dont la devise du Porc-Epic était à tel point diffusée dans la résidence que celle-ci en prit le nom. Si nous pouvons seulement imaginer qu’elle était représentée, peut-être en association aux armes de Louis d’Orléans (Ribera-Perville 1980, p. 38), sur la porte d’entrée de l’hôtel, les documents d’archives informent que la panoplie emblématique du duc figurait bien sur les vitraux peints de plusieurs pièces de l’hôtel. Celles-ci, probablement organisées sur deux étages, étaient reliées entre elles par des galeries et des escaliers à vis dont on trouve des traces dans les documents (Ribera-Pevillé 1980, p. 39).
Comme dans d’autres hôtels parisiens et, sans doute, comme dans la plupart des résidences aristocratiques de l’époque, les vitres des fenêtres – équipement de luxe de l’espace domestique, représentant le prestige et la richesse du commanditaire – étaient donc un support privilégié du discours emblématique, portant les armes du propriétaire et de ses conjoints ou alliés, parfois accompagnées par leurs devises (voir à ce propos les vitraux réalisés pour la chambre du roi et pour celle de la reine au Louvre vers 1365). Dans l’Hôtel du Prévot les fenêtres des « galeries neuves » avaient été ainsi dotées, entre janvier et mars 1400, de 74 panneaux « de verre neuf […] où sont les armes du seigneur et sa devise » (armoirie 1) (Sellier 1910, p. 44 ; Ribera-Pevillé 1980, p. 58, num. Vf). Les panneaux de verre avaient été livrés par le verrier Claux le Loup, avec de nombreux autres, souvent armoriés. C’est le cas de deux panneaux destinés à « un petit retrait, près les galereis neuves », ils présentaient l’un l’image d’un loup, l’autre celle d’un porc-épic (Laborde 1852, p. 187, num. 5911 ; Ribera-Pevillé 1980, p. 39 et p. 58, num. Vf). Le même verrier avait d’ailleurs fourni, en 1397, des vitraux « avec armes et devises du roy et du duc, bordé de couleurs » (ibid., p. 152, num. 5809) (armoiries 2, 3). Dans la chambre du duc, située à l’étage et accessible par un escalier à vis, six panneaux, toujours « de verre neuf » étaient en revanche ornés des armes du roi (armoirie 4) et de celles du duc (armoirie 5), accompagnés par deux autres chargés de la devise de Louis d’Orléans (Sellier 1910, p. 44 ; Ribera-Pevillé 1980, p. 39 et p. 58, num. Vf).
Le même Claux le Loup avait réalisé en 1400 de nombreux autres vitraux armoriés. Les armes du roi et celles du duc, associées à leurs devises, étaient représentées, dans les bordures de « dix panneaux de verre neuf » dans la chambre de parement (armoiries 6-7), elle aussi située à l’étage (Ribera-Pevillé 1980, p. 39 et p. 60, p. Vi). Dans une autre salle la série d’armoiries se faisait bien plus nourrie. Dans des vitraux de la chambre de « Mons. de Flourigny », six écus portaient les armes du roi (armoirie 8), de Louis d’Orléans (armoirie 9), de Philippe de Florigny (armoirie 10) (dont l’armoirie est connue par son sceau – Sigilla – et par le relevé de son enfeu jadis dans l’abbatiale Notre-Dame de l’Estrée : Paris, BnF ms. Clairambault 995, f. 404r) et de Jean de Roussay (armoirie 11) (Ribera-Pevillé 1980, p. 60, p. Vi ; sur le personnage et ses armes voir Jacomet 2003, p. 202), ses premiers chambellans (Rihvage) qui, justement, avaient chacun une chambre privée dans l’hôtel de la Poterne (Gonzalez 2004, p. 170). Les armes ducales se trouvaient ensuite représentées, toujours parait-il dans des bordures de vitraux, sur six écus dans la chambre d’Ogier de Nantouillet (armoiries 12a-f), capitaine de Pierrefonds et premier écuyer de corps du duc ; dans la chambre de l’armurerie, que Louis avait transformé dans une salle de parement (armoirie 13) ; et, encore, dans le retrait de cette dernière chambre, où les armes ducales (armoirie 14) étaient accompagnées par des « fillatières », à savoir par des lambrequins (Mérindol 2001, p. 330, num. 265 ; DMF), et par la devise d’Orléans (Ribera-Pevillé 1980, p. 39 et p. 61, num. Vi). Devant la chambre d’Ogier de Nantouillet, une autre chambre présentait trois vitraux chargés de trois écus aux armes de Louis d’Orléans (armoiries 15a-c) (Ribera-Pevillé 1980, p. 60, p. Vi). Deux panneaux aux armes du duc, renouvelés par Claux le Loup en 1400, se trouvaient, en fin, dans la grande vis qui permettait de monter à la grande salle du premier étage (armoiries 16a-b) (Ribera-Pevillé 1980, p. 58, num. Vf).
Si nous ignorons la nature des peintures réalisée par Colart de Laon « en la librairie neuve, nouvelement faicte en l’ostel dudit seigneur » (Laborde 1852, p. 151, num. 5805) – il est toutefois plausible que les armes ducales étaient représentées même à cet endroit –, il ne faudra pas oublier qu’une ornementation emblématique mobile allait compléter souvent le décor héraldique monumental. Dans la chambre « de velours bleu », se trouvait par exemple aussi un tapis d’azur aux fleurs de lys d’or et aux armes du duc, tout comme un écu à ses armes était tenu par un homme sauvage sur une autre tenture (Mérindol 2001, p. 330, num. 265).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Paris, Hôtel du Prévôt (de la Poterne ou du Porc-Epic), https://armma.saprat.fr/monument/paris-hotel-du-prevot-de-la-poterne-ou-du-porc-epic/, consulté
le 06/12/2024.
Bibliographie études
De Poerck, Guy, « Marmouset. Histoire d’un mot », Revue belge de philologie et d’histoire, 37, 3, 1959, p. 615-644.
Gonzalez, Elisabeth, Un prince et son Hôtel : les serviteurs des ducs d’Orléans au XVe siècle, Paris 2004.
Laborde, Léon, Les ducs de Bourgogne, t. II-3. Preuves, Paris 1852.
Jacomet, Humbert, « Saint-Jacques : une image à la française ? L’iconographie suscitée par la création de l’Hôpital Saint-Jacques-aux-Pèlerins (à Paris) et ses prolongements (XIVe-XVe siècles) », dans A. Rucquoi (dir.), Saint Jacques et la France, actes du colloque (Paris 2001), Paris 2003, p. 85-262.
Mérindol Christian de, La maison des chevaliers de Pont-Saint-Esprit, t. 2. Les décors peints : corpus des décors monumentaux peints et armoriés du Moyen âge en France, Pont-Saint-Esprit 2001.
Ribera-Pevillé, Claude, « Les hôtels parisiens de Louis Ier d’Orléans (1372-1407) », Bulletin de la société d’histoire de Paris et de l’Île-de-France, 107, 1980, p. 23-70.
Sauval, Henri, Histoire et recherches des Antiquités de la ville de Paris, t. 2, Paris 1724.
Sellier, Charles, Anciens hôtels de Paris. Nouvelles recherches historiques, topographiques et artistiques, Paris 1910.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Paris, Hôtel du Prévôt (de la Poterne ou du Porc-Epic). Armoirie Louis Ier d’Orléans (armoirie 1)
(D’azur, semé de fleurs de lys d’or au lambel d’argent).
Devise : porc-épic ?
Attribution : Orléans Louis Ier de
Position : Intérieur
Étage : Inconnu
Pièce / Partie de l'édifice : Galerie
Emplacement précis : Fenêtre
Support armorié : Verrière
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue