Plouescat, chapelle de Kerzéan (chapelle latérale nord)
En dépit de proportions modestes, la chapelle Notre-Dame de Kerzéan déployait avant la Révolution un décor héraldique important, réparti dans tout l’édifice, dont il ne subsiste plus aujourd’hui que quelques vestiges dans le chœur. La teneur en est cependant bien connue grâce au témoignage du Bref estat des préminences du marquis de Kerman…, remarquable manuscrit de prééminences aquarellé composé en 1614 par le peintre morlaisien Jean Bourriquen (Le Guennec 1932, p. 37).
Les seigneurs de Kermavan étant fondateurs, ils détenaient les prééminences au tympan de la maîtresse-vitre, ainsi qu’au fleuron et à l’oculus surmontant la porte de la façade occidentale. Leurs armes étaient encore en supériorité dans les fenêtres de deux chapelles latérales disparues dépendant de seigneuries vassales issues des Kermavan : celle au nord successivement aux vocables de Saint-Laurent puis de Saint-Nicolas, relevait du fief de Kergoal, et celle au sud de Kerliviry.
Plouescat, chapelle de Kerzéan, vue du flanc nord avec traces d’arrachement correspondant à l’ancienne chapelle des Kergoal.
La chapelle de Kergoal avait déjà disparu lors du relevé du cadastre en 1837 (AD Finistère, 3 P 186/1/4), mais les maçonneries de la paroi nord conservent des traces d’arrachement et le départ d’une arcade de communication. À l’examen, on ne saurait dire si la chapelle était symétrique de son homologue au sud et si les deux formaient un véritable transept. Il semble qu’elle était moins profonde et en léger décrochage avec le chevet et la chapelle sud, signalant peut-être une campagne différenciée. Quoi qu’il en soit, Jean Bourriquen y a relevé deux éléments armoriés, une verrière surmontant l’autel au mur oriental, et un enfeu aménagé au pignon.
La fenêtre à trois lancettes qu’il dessina présentait un réseau flamboyant datable de la deuxième moitié du XVe ou du tout début du XVIe siècle. Les deux écussons qui ornaient l’ajour sommital n’étaient pas antérieurs au XVIe siècle, eu égard à leur forme en bannière très en vogue à cette époque et à un collier de l’Ordre de Saint-Michel. Jean Bourriquen a signalé qu’« en la vitre sont les armes de K/man Dourdu » : au plus haut, les armes de Kermavan (armoirie 1a) étaient là comme au seigneur supérieur, coiffant dans le même soufflet celles prêtées aux Bois du Dourdu (armoirie 2a), dont l’attribution pose difficulté.
Jean Bouricquen, vue de la verrière en la chapelle disparue des Kergoal dans le Bref estat… de 1614, calque du XXe, Rennes, Service de l’Inventaire.
Ici, les relevés de Bourriquen doivent être croisés avec une description faite à l’occasion de la vente de la seigneurie de Kergoal en 1662. La chapelle y est dénommée « de Sainct Nicolas » (ADCA, 123 J 9) et il est précisé que « nous estants acheminés dans l’eglize tresvialle de Kerezean despandantes de la dite paroisse de Plouezcat y a ledit de la Fosse induit ledit seigneur acquereur dans la possession de la chapelle y estante du costé de l’évangille prés le grand autel et a faict voir dans la seulle vittre qui est sur l’autel de la ditte chapelle appelée de Sainct Nicolas deux escussons, le plus hault armoiés des armes de la maison de Kerman, le second parti au premier d’argent audit lion d’azur et chicquetté d’or et de gueulle, et dans le pignon oriental de la ditte chapelle au dedans d’icelle une arcade armoiée en pierre dans la chef de sa voute d’un party d’un lion, et d’un eschiquier, surmonté d’un timbre avecque ses lambrequins et une teste de licorne en cimier, qu’il a dit estre les armes de la dite seigneurie de Dourdu et les avoir en ladite chapelle à cause de ladite seigneurie de Kergoual » (ibid.).
Les seigneurs du Dourdu, dont le patronyme est du Bois, ont pour armes d’or au lion d’azur armé et lampassé de gueules, mais ne sont entrés en possession de la seigneurie de Kergoal qu’au milieu du XVIe siècle par alliance de Morvan du Bois du Dourdu avec Philippe Kerlezroux, héritière de Kergoal, décédée vers 1564. La seigneurie était déjà tombée en quenouille vers 1450 par le mariage d’Yvon de Guernisac, cadet du Band en Plouzévédé avec Amice, héritière de Kergoal (AD Finistère, 151 J 404/530). On en conclue que l’alliance au premier quartier des écussons de Kergoal sur la verrière et à l’enfeu ne représentent pas les armes des Du Bois du Dourdu, mais celles des seigneurs primitifs de Kergoal, transmises sur plusieurs générations par les lignages qui leur succédèrent.
Plounévez-Lochrist, chapelle de Lochrist, placître, pierre armoriée aux armes mi-parties d’un cadet de Kermavan et de Kergournadec’h, vers la fin du XIVe siècle.
Une pierre armoriée de réemploi provenant des décombres de la chapelle de Lochrist en Plounévez-Lochrist, et scellée dans le mur de clôture de son placître, en témoigne avec précision. Au premier quartier, on distingue sur l’épaule du lion la tour roulante des Lesquélen, identifiant les armes des Kermavan dans leur version antérieure à 1450 environ, avant que ne soit adopté l’écartelé de Lesquélen et de Kermavan. Sculpté entre les deux pattes antérieures du lion, un croissant signale une brisure de cadet, tandis que les armes au second quartier sont aisément attribuables aux Kergournadec’h. Il faut donc identifier cette alliance pour celle d’un cadet de Kermavan avec une Kergournadec’h et la dater probablement vers la fin du XIVe siècle. Les armoiries se sont ensuite transmises aux familles qui possédèrent successivement Kergoal.
L’enfeu du pignon, au témoignage de Bourriquen, ménageait une cavité en plein cintre soulignée de deux voussures à mouluration torique continue. À la clé, les armes mi-parties des anciens seigneurs de Kergoual (armoirie 2b) étaient sculptées sur un écu penché sommé d’un casque à volet ayant pour cimier une tête licorne. Bourriquen n’a pas représenté la tour roulante sur l’épaule et le croissant entre les pattes du lion, qui n’y figuraient peut-être pas, en revanche il semblerait que les émaux sur l’écu étaient visibles. On a envie de reconnaître la sépulture en propre du cadet de Kermavan et de sa femme née de Kergournadec’h, cependant la forme découpée du lambrequin à pointes arrondies oriente la datation au courant du XVe siècle.
Jean Bouricquen, vue de l’enfeu disparu des seigneurs de Kergoal dans le Bref estat… de 1614, calque du XXe, Rennes, Service de l’Inventaire.
Sur la paroi au-dessus, les armes de Kermavan (armoirie 1b) sur un écu en bannière entouré du collier de l’Ordre de Saint-Michel, étaient peintes comme du seigneur supérieur. Elles sont datables du XVIe siècle, et ont donc été ajoutées par après.
Il faut remarquer que la pierre armoriée de Lochrist provenait dans ce monument de l’enfeu des Kerliviry, attesté par des textes, cependant que d’autres sources apprennent qu’ils avaient pour brisure une étoile entre les pattes du lion. Ces éléments, ajoutés à la position relative des deux chapelles disparues de Kerzéan, celle des Kergoal du côté de l’évangile – réputé plus honorifique – et celle des Kerliviry à l’épître, font émettre l’hypothèse que les deux familles seraient issues de l’alliance du cadet de Kermavan avec une Kergournadec’h. L’aîné aurait donné la branche de Kergoal et un cadet dut se marier à l’héritière de Kerliviry, produisant la branche de Kerliviry qui reprit le lion avec une autre brisure.
En résumé, les anciennes prééminences des Kergoal dans la chapelle à l’aile nord de Notre-Dame de Kerzéan, bien que disparues, constituent un témoignage majeur pour aider à reconstituer la généalogie de plusieurs familles nobles parentes en Haut Léon, et attestaient la filiation des seigneurs primitifs de Kergoal. Enfin, elles enrichissent le corpus des cimiers bretons médiévaux d’un rare exemple de tête de licorne, une figure par ailleurs anecdotique dans le duché.
Auteur : Marc Faujour
Pour citer cet article
Marc Faujour, Plouescat, chapelle de Kerzéan (chapelle latérale nord), https://armma.saprat.fr/monument/plouescat-chapelle-de-kerzean-chapelle-laterale-au-nord/, consulté
le 09/10/2024.
Bibliographie sources
Brest, AD Finistère, 3 P 186/1/4, Plouescat. Cadastre napoléonien, section B du Gorré, 1837, échelle 1 / 2500e.
Quimper, AD Finistère, chartrier de la seigneurie de Kerouzéré, 151 J 404, art. 530, dossier “Seigneurie de Kergoal”.
Rennes, AD d’Ille-Et-Vilaine, fonds Couffon, 24 J 77, René Couffon, Copie sur papier du Bref estat des préminences du marquis de Kerman… par Jean Bouricquen en 1614, vers le milieu du XXe siècle.
Saint-Brieuc, AD Côtes d’Armor, 123 J 9, chartrier du Bourg Blanc, procès-verbal de vente de la seigneurie de Kergoal, 30 septembre 1662 et prise de possession du 4 octobre 1662.
Bibliographie études
Le Guennec, Louis, « Prééminences de la famille de Carman », Bulletin archéologique de l’Association bretonne, 44, 1932, p. 98-137.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Plouescat, chapelle de Kerzéan (chapelle latérale nord). Armoirie de Kermavan (armoirie 1a)
Écartelé, aux 1 et 4 : d’azur à une tour d’argent portée sur une demi-roue de même (de Lesquélen) ; aux 2 et 3 : d’or au lion d’azur (de Kermavan).
Ornement extérieur : collier de l’ordre de Saint-Michel.
Attribution : Kermavan famille de
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle latérale nord
Emplacement précis : Mur est
Support armorié : Verrière
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Plouescat, chapelle de Kerzéan (chapelle latérale nord). Armoirie de Kergoal (armoirie 2a)
Mi-parti, au 1 : d’or au lion d’azur [chargé sur l’épaule d’une tour d’argent portée sur une demi-roue de même, au croissant d’… entre les pattes antérieures] (un cadet de Kermavan) ; aux 2 et 3 : échiqueté d’or et de gueules (de Kergournadec’h).
Attribution : Kergournadec'h famille de ; Kergoal seigneurs de ; Kermavan cadet de la famille de
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle latérale nord
Emplacement précis : Mur est
Support armorié : Verrière
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Plouescat, chapelle de Kerzéan (chapelle latérale nord). Armoirie de Kergoal (armoirie 2b)
Mi-parti, au 1 : d’or au lion d’azur [chargé sur l’épaule d’une tour d’argent portée sur une demi-roue de même, et accompagné d’un croissant d’… entre les pattes antérieures] (un cadet de la famille de Kermavan) ; aux 2 et 3 : échiqueté d’or et de gueules (de Kergournadec’h).
Timbre : un heaume avec lambrequin posé de profil, cimé d’une tête de licorne.
Attribution : Kergournadec'h famille de ; Kergoal seigneurs de ; Kermavan cadet de la famille de
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle latérale nord
Emplacement précis : Enfeu
Support armorié : Clef d'arc
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue