Situé au nord de la place de la Halle, l’hôtel de la rue des Deux-Ponts est datable de la première moitié du XVIe siècle (Foltran 2016, t. 3, p. 433). Il se compose de trois corps de bâtiments organisés autour d’une cour intérieure quadrangulaire. Les différents niveaux sont desservis par un escalier en vis, placé dans l’angle sud-ouest de la cour. Même si les élévations extérieures sont recouvertes d’un enduit de ciment limitant la lecture du bâtiment, il semblerait que l’édifice possédait à l’origine un encorbellement sur deux niveaux, probablement démoli au XVIe siècle au moment où la façade aurait été reconstruite. Le rez-de-chaussée est divisé en deux espaces qui, à l’origine, devaient former un seul et même espace. Celui-ci était couvert d’un plafond peint qui a été partiellement dégagé au nord-est à l’occasion de travaux d’aménagement en octobre 2013 et dont des fragments de closoirs et de couvre-joints ont été utilisés en remploi pour le faux plafond.
L’ensemble se composait à l’origine d’au moins quatre poutres, dont deux déposées, qui supportaient trois travées de onze solives. Au total, 45 closoirs ont été découverts, parmi lesquels deux ont été déposés à la Maison du patrimoine de Lagrasse. Les 26 autres closoirs qui faisaient à l’origine partie du plafond ont été mutilés ou ont disparu. Des baguettes en quart-de-rond et des planchettes peintes de formes géométriques complètent l’ensemble. Elles sont accompagnées de couvre-joints et de faux couvre-joints ornés de motifs floraux et d’inscriptions présents en sous-face du plancher. Les autres niveaux de l’hôtel particulier conservent des plafonds à la structure similaire, qui sont toutefois encore recouverts de faux plafonds en plâtres et de badigeon rendant impossible de reconnaître la présence d’un éventuel décor peint (Sarret 2016, p. 63).
Bien que très lacunaire, le plafond présente encore 28 closoir « héraldisés » : seize portent des écus armoriés en forme de targe, de chanfrein ou carrés, toujours accostés de branche d’arbre et d’éléments circulaires ornementaux ; douze des marques de marchands. Les autres closoirs sont peints d’êtres hybrides et de dragons. Les armoiries se répartissent principalement sur les deux faces de la troisième poutre. Bien que la plupart de celles-ci n’ont pas pu être identifiées faute de source (armoiries 1, 2, 4, 6, 9, 10, 11, 12, 13), plusieurs remarques ont pu être émises. La présence des armoiries du roi de France (armoirie 7) et de celles d’un membre de la famille des Médicis, augmentées aux armes de France par concession de Louis XI à Pierre de Médicis en 1465 (armoiries 3a-b), timbrées des attributs papaux a permis de fixer la réalisation des peintures aux années 1513-1515, à savoir entre l’élection pontificale de Léon X et à la mort du roi Louis XII.
À côté de ces armoiries, les armes de la famille Lévis ont pu être identifiées (armoiries 8a-b). Présentes dans plusieurs plafonds de Lagrasse à la même période (voir ceux des maisons au 9, rue des Cancans et au 6, rue Foy), elles peuvent évoquer l’influence exercée par cette famille dans la région, ou renvoyer à un membre spécifique de ce lignage ayant eu un rôle spécifique dans l’histoire de la ville, comme l’abbé de Lagrasse, Philippe de Lévis (1502-1537), ou son frère Jean V de Lévis, seigneur de Mirepoix et sénéchal de Carcassonne (v. 1490-1512) (Navelle 1993, p. 242-243 ; Martin 2007, p. 30-31). L’armoirie palée peinte à deux reprises (armoiries 5a-b) est également visibles dans les plafonds de l’ancien presbytère de Lagrasse (vers 1492) et de la maison au 6 rue Foy (1500-1502). Elle trouve une comparaison possible avec celle de la famille Brochard de la Rochebrochard (Jougla de Morenas 1938, p. 268), originaire du Poitou, mais qui n’est pas connue pour avoir eu de liens avec le Languedoc. Par ailleurs, les armoiries peintes à Lagrasse sont légèrement différentes de celles de la famille poitevine, puisqu’elles présentent quatre pals d’azur au lieu des deux habituels, détail qui laisserait penser à une brisure d’une branche cadette implantée localement. En tout état de cause, il est toutefois bien plus plausible que cette armoirie appartienne à une famille importante de Lagrasse ou de ses environs, pour laquelle nous n’avons pas gardé de traces. Il en est de même vraisemblablement pour l’armoirie à trois couronnes: identique à celle attribuée au roi Arthur et à celle employée par les rois de Suède, elle correspond également à celle utilisée par la famille Bazin de Bezons qui, au XVIIe siècle, fournit un intendant du Languedoc (Claude Bazin, 1653-1673) et, au XVIIIe siècle, un évêque de Carcassonne (Armand, 1730-1778) qui fut aussi abbé commanditaire de Lagrasse (1721-1778). Si elle évoque des armes bien connues aux héraldistes, aucune d’entre elles ne semble toutefois appropriée au plafond peint de la maison de Lagrasse.
La plupart des armoiries visibles de ce plafond sont des exemples uniques et présentent pour certaines des éléments stylistiques inédits dans les plafonds peints, comme les besants et les tourteaux représentés de manière à donner l’impression d’un objet en relief (armoirie 12). En outre, ce programme héraldique côtoie un nombre important de marques reprenant des codes stylistiques similaires. La présence en rez-de-chaussée de ce plafond nous conduit à supposer qu’il était destiné à orner l’étal d’un commerce. Or, l’état des sources pour cette période ne nous permet malheureusement pas de connaître l’identité du propriétaire de la maison, ni de l’élite marchande de Lagrasse. De plus, le dégagement partiel de ce plafond limite d’autant plus son observation.
Auteur : Marion Ortiz
Pour citer cet article
Marion Ortiz, Lagrasse, hôtel (12-14, rue des Deux-Ponts), https://armma.saprat.fr/monument/lagrasse-hotel-12-14-rue-des-deux-ponts/, consulté
le 16/10/2024.
Bibliographie études
Foltran Julien, Les monastères et l’espace urbain et périurbain médiéval en Pays d’Aude : Lagrasse, Alet et Caunes, thèse de doctorat, Université Toulouse Jean Jaurès, 2016.
Jougla de Morenas Henri, Grand armorial de France, t. 2, Paris 1975.
Martin Georges, Histoire et généalogie de la Maison de Lévis, Lyon 2007.
Navelle André, Familles nobles et notables du Midi toulousain au XVe et XVIe siècles, généalogie de 700 familles présentes dans la région de Toulouse avant 1550, t. 6, Fenouillet 1991.
Sarret Jean-Pierre, « Inventaire des plafonds peints », dans Rapport intermédiaire du Programme Collectif de Recherche sur Lagrasse (Aude), l’abbaye, le bourg et le terroir, s.l. 2013, p. 61-66.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Lagrasse, hôtel (12-14, rue des Deux-Ponts). Armoirie inconnue (armoirie 1)
De gueules à deux burelles ( ?) d’argent ( ?) accompagnées de neuf mouchetures d’hermines d’or, posées 3, 3 et 3.