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ARmorial Monumental du Moyen-Âge
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Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien

 

Dépendant de l’abbaye de Nouaillé, le prieuré bénédictin de Lusignan fut fondé vers 1025 par Hugues IV de Lusignan en face du château (« in prospectu castri ») dans la partie haute de la ville (De Monsabert 1936, p. 172-174 ; Gallia christiana 1720, col. 1162). De cette première église ne restent que quelques vestiges, que nous pouvons reconnaître dans le transept nord avec son absidiole et dans le parement des murs extérieurs de la crypte et de la nef. Reconstruit presque intégralement dans la seconde moitié du XIIe siècle, l’église fut probablement endommagée pendant la guerre de Cent Ans, à la suite des assauts menés par les anglais pour s’emparer de la forteresse toute proche (Eygun 1952, p. 378, 382-385). D’après certains (Base Gertrude), l’édifice aurait été par la suite restauré sous Jean de Berry en 1377, notamment en ce qui concerne les voûtes de la nef et le clocher, mais l’hypothèse ne semble pas trouver de confirmation dans les sources écrites. Si des contreforts auraient été également ajoutés à cet époque sur le côté nord pour rendre plus solide la structure, une nouvelle phase d’aménagement intéressa l’église quelques décennies plus tard. Vers le milieu du XVe siècle, l’état de l’édifice était en effet tellement mauvais qu’il était urgent de réaliser des aménagement d’envergure (Salvini 1934, p. 126). Dans ce nouveau chantier les couvertures des cinq premières travées de la nef furent refaites (Eygun 1952, p. 385-386).

Eglise Notre-Dame-et-Saint-Junien, Lusignan. Vue de la nef avec clefs de voûte armoriées

Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien, nef avec clefs de voûte armoriées.

Les clefs des quatre d’entre elles sont encore aujourd’hui ornées d’écus armoriés (orientés avec le chef en direction du maître autel) qui, même si insérés dans des encadrements flamboyants à la forme différente, ont été sans doute réalisés au sein du même chantier (armoiries 1-4). Nous y reconnaissons facilement l’armoirie de la famille Du Fou (armoirie 3), placée au milieu de la série. La présence des armes de la grande famille bretonne s’explique par le fait que ce lignage eut un role important dans la vie politique et artistique poitevine entre la seconde moitié du XVe siècle et la première du XVIe siècle et put vanter des liens importants avec la ville de Lusignan et son église. Si Raoul du Fou avait été de 1468 à 1511 abbé de Nouaillé-Maupertuis, de laquelle le prieuré de Lusignan dépendait, son frère Yvon († 1488) et le fils de ce dernier, Jacques († vers 1526), furent capitaines du château de Lusignan (Beauchet-Filleau 1905, p. 505 ; Favreau 2015, p. 247-253). Cette chronologie peut être resserrée davantage grâce à la présence des armes des armes d’Anne de Bretagne sculptées sur la voûte de la quatrième travée de la nef (armoirie 4). Cette armoirie situe le chantier de refection de l’église entre 1491, quand Anne devint reine pour la première fois en tant qu’épouse de Charles VIII, et 1514, année de sa mort. Il est d’ailleurs plausible que l’armoirie du roi accompagnait celle de la reine. Elle était peut-être sculptée sur la clef de voûte de la cinquième travée, la plus proche à la croisée du transept et donc à l’abside, qui a été malheureusement totalement détruite, probablement à la Révolution : ce qui rend notre hypothèse impossible à prouver.

Clef de voûte aux armes Du Fou. Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien, nef.

Sur la base de cette chronologie, François Eygun avait pensé que la clef de voûte aux armes Du Fou (armoirie 3) identifiait l’abbé Raoul (Eygun 1952, p. 386). Cependant aucune enseigne de fonction accompagne l’écu armorié, différemment de ce que l’on voit dans d’autres œuvres que celui-ci commandita en Poitou, à l’instar du logis abbatial de Nouauillé-Maupertuis et du portail du prieuré d’Availles. Nous noterons alors que l’armoirie au griffon sculptée sur la clef de voûte de la première travée de la nef (armoirie 1) peut trouver une correspondance dans l’écartelé utilisé par Yvon du Fou (voir son tombeau dans l’église Notre-Dame-la-Grande de Poitiers) et par son fils Jacques (Labory 1990, p. 348). Deux sceaux de ce dernier, datés de 1489 et de 1516, associent en effet dans un écartelé les armes Du Fou (aux 1 et 4) à une armoirie au griffon (aux 2 et 3) (Demay 1885, p. 397, num. 3738 ; Eygun 1938, p. 208, num. 335), qui demeure pour l’instant sans explication. Il est plausible que Yvon avait décidé d’écarteler l’armoirie familiale avec celles de sa mère Tiphaine de Saint-Juzel ou d’un des fiefs dont il était titulaire, en sorte de brisure valorisante (Hablot 2015, p. 234), comme il arrivait frequemment dans l’élite poitevine aux XVe-XVIe siècle. Jacques n’aurait donc que repris l’armoirie introduite par son père.

Clef de voute aux armes d'Anne de Bretagne. Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien, nef.

Clef de voûte aux armes d’Anne de Bretagne. Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien, nef.

Malheureusement, le fait de ne pas avoir réussi à identifier la deuxième armoirie de la série (armorie 2), nous prive d’éléments importants pour comprendre le fonctionnement de cette série héraldique. François Eygun soulignait sa ressemblance avec l’armoirie de la famille poitevine De la Fontenelle (Eygun 1952, p. 386) qui, d’après Beauchet-Filleau (1905, p. 470), aurait effectivement porté aussi de … à cinq étoiles d’or, posées trois en chef, deux en pointe, et un croissant d’argent en abîme. Si la coquille qui charge l’armoirie représentée à Lusignan pourrait constituer donc une brisure de l’armoirie familiale, les documents ne révèlent aucun lien ni entre les De la Fontenelle et les Du Fou, ni entre les premiers et la ville de Lusignan et son prieuré. À défaut d’autres documents, il faudra donc pour le moment conclure que les travaux de réparation des voûtes de l’église avaient été probablement financés par Jacques du Fou, entre 1491 et 1514, et que pour cela, comme il était d’habitude, celui-ci avait obtenu le droit d’exposer ses armes sur l’œuvre qu’il avait fait réaliser.

Dans ces mêmes années et probablement au sein du même chantier (Eygun 1952, p. 394-395), un porche fut accolé au collatéral sud à la hauteur de la quatrième travée, créant ainsi un nouveau accès monumental à l’église en remplacement ou en alternative au portail occidental qui, à la suite de transformations urbanistiques, avait probablement perdu d’importance. Réalisé dans les formes propres du gothique flamboyant, il est encadré par deux hauts pinacles et par une accolade semée de choux frisés qui culmine dans une croix fleuronnée. Des nervures à section prismatique marquent le portail dans sa profondeur. L’accès est formé par deux portes rectangulaires séparées par un trumeau central et était surmonté par trois statues placées sur des culs-de-lampe sculptés, insérés tout au long de l’encadrement supérieur de l’entrée monumentale : l’un dans la prolongation du trumeau, les deux autres au milieu des ouvertures latérales. Il est plausible que les consoles offraient le support aux images de la Vierge – que l’on peut imaginer au centre et mise à l’honneur par le dais qui apparaît tout en haut –, de saint Junien et d’un autre saint vénéré dans le prieuré (Ledain 1894). Des figures sont sculptées en guise de soutien des trois consoles. Celle au centre, la plus abimée, déroule un phylactère dans lequel aucune lettre n’est plus visible, tandis qu’à ses côtés se trouvent deux anges qui, les ailes déployées, tiennent dans les mains deux écus armoriés (armoiries 5-6).

Lusignan, élgise Notre-Dame-et-Saint-Junien, portail latéral sud.

Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien, portail latéral sud.

Console avec un ange tenant un écus armorié. Lusignan, Notre-Dame-et-saint-Junien, portail latéral sud.

Console avec un ange tenant un écus armorié. Lusignan, église Notre-Dame-et-saint-Junien, portail latéral sud.

L’armoirie de gauche (dextre) (armoirie 5), à la croix engrêlée, pourrait appartenir aux Lézignac (Lesignac), famille qui donna deux abbés, Guy et Louis, à l’abbaye Notre-Dame de Celles-sur-Belle (1404-56 et 1460-80), mais qui ne semble pas avoir entretenu de liens avec la communauté religieuse de Lusignan. Dans celle de droite (senestre) nous reconnaissons en revanche une armoirie, partiellement mutilée, avec une fasce accompagnée d’une étoile en chef et d’un croissant en pointe, le tout disposé sur un bâton qui traverse l’écu en correspondance de son axe (armoirie 6). Plutôt que d’un pal brochant (Eygun 1952, p. 394-395) ou d’une ancre (Cousseau 1845, p. 102), il s’agit sans doute d’une crosse abbatiale placée directement sur le champ de l’écu : il n’était pas rare en effet que les enseignes de fonction, notamment celles d’abbés et évêques, étaient directement intégrées dans l’armoirie ou passaient, comme c’est ici le cas, par dessus l’écu. Il faudra donc rappeler qu’une armoirie identique, que nous n’avons pas pu identifier pour l’instant, figure parmi celles qui ornaient jadis les stalles de l’église des Jacobins de Poitiers (XVe siècle ?) et que Guillaume Gouges de Charpaigne, évêque de Poitiers en 1441-14449, portait des armes à la fasce accompagnée de trois croissants (Sigilla), très proche donc à celle sculptée à Lusignan, si l’on considère que les deux croissants en chef pouvaient figurer dans la partie de l’écusson endommagée (L. Hablot, communication orale).

 

Auteur : Matteo Ferrari

Pour citer cet article

Matteo Ferrari, Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien, https://armma.saprat.fr/monument/eglise-notre-dame-et-saint-junien-nef-lusignan/, consulté le 01/04/2025.

 

Bibliographie sources

Gallia christiana in provincias ecclesiasticas distributa, t. 2, Parisiis 1720.

P. de Monsabert (éd.), Chartes de l’abbaye de Nouaillé, Poitiers 1936 (Archives historiques du Poitou, t. 49).

Bibliographie études

A. Cousseau, Mémoire historique sur l’église de Notre-Dame de Lusignan, Poitiers 1845.

G. Demay, Inventaire des sceaux de la collection Clairambault à la Bibliothèque Nationale, t. 1, Paris 1885.

H. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 3, Poitiers 1905.

J. Salvini, «Notice sur la confrérie de la Visitation à Lusignan », Archives historiques du Poitou, 48, 1934, p. 126-127.

F. Eygun, Sigillographie du Poitou jusqu’en 1515, Poitiers 1938.

F. Eygun, « Notre-Dame de Lusignan », dans Congrès archéologique de France, 109, Poitiers (1951), Paris-Orléans 1952, p. 378-396.

G. Labory, « Essai d’une histoire nationale au XIIIe siècle : la chronique de l’anonyme de Chantilly-Vatican », Bibliothèque de l’École des chartes, 148, 2, 1990, p. 301-354.

L. Hablot, « Poitiers à la fin du Moyen Âge, une capitale artistique ? Le mécénat des frères du Fou, de Jean Mérichon et de quelques autres amateurs éclairés du XVe siècle », dans Les mécènes, leurs demeures et leurs jardins (XVe-XXe siècle), Poitiers 2015 (Revue historique du Centre-Ouest, 12, 2), p. 227-242.

R. Favreau, «La famille du Fou », dans Les mécènes, leurs demeures et leurs jardins (XVe-XXe siècle), Poitiers 2015 (Revue historique du Centre-Ouest, 12, 2), p. 243-254.

Photographies du monument

Armoiries répertoriées dans ce monument

Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien. Armoirie Morillon ? (armoirie 1)

D'(or) au griffon de (gueules).

  • Attribution : Morillon famille
  • Position : Intérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Nef
  • Emplacement précis : travée Ière ; Voûte
  • Support armorié : Clef de voûte
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Sculpture en pierre polychrome
  • Période : 1476-1500 ; 1501-1525
  • Dans le monument : Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien

Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien. Armoirie inconnue (armoirie 2)

De … au croissant de … surmonté d’une coquille de …, le tout accompagné de cinq étoiles de six rais de …, posées trois en chef, deux en pointe.

  • Attribution : Armoirie inconnue
  • Position : Intérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Nef
  • Emplacement précis : travée IIème ; Voûte
  • Support armorié : Clef de voûte
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Sculpture en pierre polychrome
  • Période : 1476-1500 ; 1501-1525
  • Dans le monument : Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien

Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien. Armoirie Du Fou (armoirie 3)

D’azur à la fleur de lys d’argent, soutenant deux tiercelets d’argent, affrontés, becqués et membrés d’or.

  • Attribution : Du Fou, famille ; Du Fou, Jacques ; Du Fou, Raoul
  • Position : Intérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Nef
  • Emplacement précis : travée IIIème ; Voûte
  • Support armorié : Clef de voûte
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Sculpture en pierre polychrome
  • Période : 1476-1500 ; 1501-1525
  • Dans le monument : Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien

Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien. Armoirie France/Bretagne (armoirie 4)

Mi-parti : au 1, d’azur à trois fleurs de lys d'(or) (France) ; au 2, d’hermine plein (Bretagne).

  • Attribution : Bretagne, Anne de
  • Position : Intérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Nef
  • Emplacement précis : travée IVème ; Voûte
  • Support armorié : Clef de voûte
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Sculpture en pierre polychrome
  • Période : 1476-1500 ; 1501-1525
  • Dans le monument : Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien

Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien. Armoirie inconnue (armoirie 5)

De … à la croix engrêlée de …

  • Attribution : Armoirie inconnue
  • Tenants / Supports : Un ange
  • Position : Extérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Porche
  • Emplacement précis : Porte latérale
  • Support armorié : Console
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Sculpture en pierre
  • Période : 1476-1500
  • Dans le monument : Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien

Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien. Armoirie inconnue (armoirie 6)

De… à la fasce de … accompagnée d’une ? étoile de huit rais de … en chef et d’un croissant de … en pointe, à la crosse ? de … brochant sur le tout.

  • Attribution : Armoirie inconnue
  • Tenants / Supports : Un ange
  • Timbre : Une crosse épiscopale/d'abbé
  • Position : Extérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Porche
  • Emplacement précis : Porte latérale
  • Support armorié : Console
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Sculpture en pierre
  • Période : 1476-1500
  • Dans le monument : Lusignan, église Notre-Dame-et-Saint-Junien

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