Fondé par les moines de l’abbaye de Lesterps entre 1032 et 1095 et consacré à la Vierge vers 1140, le prieuré augustinien de Celles-sur-Belle fut érigé en abbatiale par l’évêque de Poitiers Guillaume II Adelme (Largeault 1991, p. 28) entre 1137 et 1140 (Caude 2004, p. 99).
Dès la fin des années 1420 les moines de Notre-Dame de Celles avaient adressé des suppliques au roi et au pape, pour demander leur intervention en faveur de l’abbaye, lourdement mutilée pendant la Guerre de Cent Ans. Cependant, la reconstruction de l’église n’eut lieu que sous l’abbatiat de Louis I de Lézignac (1460-1480), grâce aux libéralités de Louis XI qui avait une dévotion particulière pour la Vierge de Celles et qui, depuis 1443, s’y rendait presque touts les ans en pèlerinage (ibid., p. 47). En janvier 1470, il destina une somme d’argent à « la réparation de l’église Notre Dame de Celles » (Largeault 1991, p. 56, note 5 ; Caude 2004, p. 99). Peut-être à la suite de cette donation, l’église fut réaménagée et reconstruite entre le dernier quart du XVe et les premières années du XVIe siècle. Les travaux étaient probablement terminés en juillet 1477, lorsque les vicaires de l’évêque de Poitiers visitent l’église et prescrivent la célébration de dix fêtes, peut-être liées aux dix autels secondaires qui avaient été installés dans les chapelles nouvelles : huit se trouvaient dans les chapelles ouvertes sur les deux bas-côtés, deux dans les bras du transept (Largeault 1991, p. 73). Pillée et endommagée par les protestants en 1568 (Caude 2004, p. 100), l’abbaye fut restaurée et agrandie dans les années 1665-1682 en suivant le projet de l’architecte François le Duc, dit Toscane (Caude 2004) : furent d’abord reconstruits les piliers et les voûtes de l’église abbatiale – notamment celles de la nef et du chœur –, puis le logis du prieur et, enfin, les bâtiments conventuels.
Des nombreux éléments héraldiques – relevés par Arthur Bouneault à la fin du XIXe siècle (Niort, Bibliothèque municipale, nn. 280-291) – marquent l’abbaye et l’église et fournissent des éléments essentiels pour établir leur chronologie.
Les armes à la croix engrêlée de Louis de Lézignac, que nous connaissons d’après un sceau apposé à un acte de 1464 (Eygun 1938, p. 405, num. 1445 : base Sigilla), ornent en effet encore les clefs de voûte des chapelles ouvertes sur le côté nord de l’église (armoiries 5a-d) (seulement les trois premières sont mentionnées par Largeault 1991, p. 78). En revanche, aucun élément héraldique n’est visible dans les chapelles sur le coté sud. Déjà en ruine et partiellement écroulées lors de la visite de l’abbaye effectuée en 1661, elles furent restaurées à partir de 1669 (Largeault 1991, p. LXXII-LXXIV) ce qui entraîna probablement la perte des éléments armoriés qui pouvaient être encore présents.
Dans les voûtes des chapelles septentrionales, toutes les armoiries sont orientées avec la pointe vers l’autel (donc, vers l’est). Deux écussons – notamment ceux de la première et de la dernière chapelle (armoiries 5a, 5d) – sont accolés à une crosse abbatiale terminant en une volute ornée d’un feuillage (exécuté bien plus finement dans la première chapelle vers le clocher). En revanche, les clefs de voûte des chapelles centrales ne semblent avoir jamais porté cette enseigne de fonction. D’après le récit d’une visite effectuée en 1661, un autre écusson chargé de l’armoirie de l’abbé Louis de Lézignac se trouvait sur l’un des deux « piedz-destail » d’un autel situé dans le transept sud (« du costé de l’epistre » ), à l’époque déjà en ruine et ensuite perdu (Largeault 1991, p. XXV) (armoirie 5e).
Les travaux de reconstruction de l’église abbatiale ne s’arrêtèrent pas là. Un nouvelle campagne fut entreprise par Mathurin II Joubert de la Bastide, dernier abbé régulier de Celles-sur-Belle, qui gouverna l’abbaye entre 1494 et 1514. On rencontre ses armes d’or, à cinq fusées de gueules accolées et rangées en fasce – elles sont connues d’après un sceau apposé à un document daté 1506, conservé à La Rochelle (Largeault 1991, p. 82) – d’abord sur le mur externe de l’imposant clocher-porche qu’il fit construire intégralement. Elles apparaissent aussi à l’intérieur d’une plus vaste composition héraldique, formée de cinq armoiries (Traver 1947, p. 82), disposées selon une hiérarchie précise, qui se déroule tout autour du portail d’entrée de l’église (armoiries 1, 2, 3a-b). Les armes de l’abbé sont d’abord représentées en saillie au milieu de l’accolade qui encadre la baie, à cheval entre le tympan et l’arcade en plein cintre (armoirie 3b) : un emplacement habituellement utilisé tantôt dans l’architecture résidentielle, tantôt dans celle religieuse pour designer le commanditaire et « maître » du lieu. Surmontée d’une crosse abbatiale, l’armoirie, désormais illisible, peut être identifiée grâce au compte-rendu de la visite de 1661, qui décrit un écusson avec « des fusées, une croce au-dessoubz » (Largeault 1991, p. XXII). Cette même source permet d’identifier les autres armoiries, presque totalement érodées par les agents atmosphériques. L’écusson qui occupe la place la plus importante, en haut à gauche (dextre) (armoirie 1), n’appartient pas à l’abbaye (Traver 1947, p. 82) mais au roi (Héliot 1955, p. 107).
Abbaye Notre-Dame, Celles-sur-Belle, portail du clocher-porche avec décor héraldique.
Le texte susmentionné parle d’un écusson « de fleurs de lis » surmonté d’une couronne (et paroist y avoir heu une couronne au-dessus),et une fleur de lys y est en effet encore lisible dans la pointe. Sur le côté opposé – donc au deuxième rang par importance – se trouvait une armoirie (armoirie 2) avec « une fleur de lis et demye pour une moitié, et l’aultre moityé parsemée d’ermine », elle aussi jadis surmontée d’une couronne dont on ne conserve que des petits fragments. Il n’est pas difficile d’y reconnaître les armes d’Anne de Bretagne (Héliot 1955, p. 107), reine de France, d’abord par son mariage avec Charles VIII (6 décembre 1491-7 avril 1498), puis par celui avec Louis XII (8 janvier 1499-9 janvier 1514). En suivant l’ordre hiérarchique, on trouve, en bas à gauche, une armoirie de cinq fusées en fasce, surmontée d’une mitre et encadrée par deux fanons (armoirie 3a). Il s’agit encore de l’armoirie de l’abbé Mathurin (Héliot 1955, p. 107) qui se répétait deux fois sur la façade de l’abbaye, comme l’indiquait à la fin du XIXe siècle l’abbé Largeault (Largeault 1991, p. 83). Enfin, sur la droite du portail, nous trouvons un écusson presque totalement illisible (armoirie 4) qui, d’après le récit de 1661, présentait « deux croces en croix avecq quattre fleurs de lis » et, selon l’abbé Largeault (1991, p. 138), deux clefs. L’identité de cette armoirie demeure incertaine : Largeault affirmati que l’écusson, déjà très abîmé dès la seconde moitié du XVIIe siècle à cause des intempéries, portait une forme simplifiée de l’armoirie de pape Léon X (voir aussi Trever 1947, p. 82), tandis qu’Héliot y voyait un insigne de l’abbaye de Celles-sur-Belle (Héliot 1955, p. 107, n. 44). En réalité, cette armoirie appartenait sans doute à un haut prélat comme la mitre avec deux fanons qui la timbre l’indique. La trace encore visible d’une fleur de lis et d’un élément qui traversait l’écu en diagonale laisseraient penser que l’écu portait les armes de Jean de Bellay (d’argent à la bande de fusées de gueules accompagnée de six fleurs de lys d’azur rangées en orle), évêque de Poitiers en 1462-1479, mais il reste difficile de comprendre pour quelle raison ses armes auraient été reproduites à cet endroit plusieurs années après sa mort.
Celles-sur-Belles, abbaye, portail, armoirie de Anne de Bretagne.
Quoi qu’il en soit, cet ensemble héraldique fixe une première fourchette chronologique pour la construction du clocher aux années 1494-1514, voire aux années 1494-1498, c’est-à-dire au début de l’abbatiat de Mathurin et à l’époque du premier mariage d’Anne de Bretagne. En 1484, Charles VIII avait en effet confirmé « certains octroiz, privileges, franchises et concessions » que son père, Louis XI, avait déjà accordé à l’abbaye (Largeault 1991, p. CXV-CXVI) parmi lesquels l’octroi « de toute justice et juridictions haute, moyenne et basse » (Largeault 1991, p. XIII, octobre 1472). Le décor héraldique se chargeait ainsi de valeurs multiples : il montrait les mérites du roi dans le financement, même si indirect, de la reconstruction de l’église (Traver 1947, p. 34-36) ; il déclarait la fidélité de l’abbé et de sa communauté au roi, après les contrastes éclatés au début des années 1480 au moment de l’élection du successeur de Louis de Lézignac (ibid., p. 35) ; il plaçait l’abbaye sous la protection directe du roi.
Les armes de l’abbé Mathurin II se répètent dans d’autres emplacements significatifs du clocher, mettant en exergue ses mérites dans la construction de l’imposante structure : sur la clef de voûte de la travée placée sous le clocher (armoirie 3c), qui relie le portail à l’ancien qui s’ouvrait dans la façade romane ; au-dessus de la porte qui, du coté de la nef, donne accès, par un escalier, aux étages du clocher (armoirie 3d); sur la clef de voûte de la salle au premier étage du clocher, dédiée à Saint-Michel (Largeault 1991, p. 83) (armoirie 3e).
Abbaye Notre-Dame, Celles-sur-Belle, église abbatiale, porte du clocher avec armoirie de l’abbé Mathurin II.
Enfin, l’abbé Mathurin fit construire la chapelle du Saint-Sacrement en prolongeant le transept sud, avec lequel elle communique par le biais d’une porte (Héliot 1955, p. 111). Utilisée comme salle capitulaire, elle reliait à l’origine l’église abbatiale à l’église paroissiale Saint-Hilaire, dont il ne reste que la crypte (Traver 1947, p. 77-78). Elle se compose de deux travées voûtées d’ogives à quatre quartiers, dont les clefs de voûte sont ornées de l’armorie, à cinq fusées en fasce, de Mathurin (armoirie 3f) ; l’écusson qui décore la travée sud est accolé à une crosse (armoirie 3g).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Celles-sur-Belle, abbaye Notre-Dame (église), https://armma.saprat.fr/monument/abbaye-notre-dame-celles-sur-belle-eglise-abbatiale/, consulté
le 06/12/2024.
Bibliographie études
F. Eygun, Sigillographie du Poitou jusqu’en 1515, Poitiers 1938.
E. Traver, Histoire de la commune de Celles-sur-Belle, Melle 1947.
P. Héliot, « Les églises abbatiales de Saint-Maixent, de Celles-sur-Belle et l’architecture poitevine », dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 4, 2, 1955, p. 1-145.
A. Largeault, Histoire de l’abbaye de Celles-sur-Belle, Paris 1991 (ed. or. 1900-1902).
E. Caude, « Une reconstruction gothique au cœur de l’âge classique : l’abbatiale de Celles-sur-Belle », dans Congrès Archéologiques de France. Monuments des Deux-Sèvres, Paris 2004, p. 99-110.
L. Hablot, « La mise en signe héraldique de la cathédrale », dans La cathédrale Saint-Pierre de Poitiers. Enquêtes croisées, sous la dir. de C. Andrault-Schmitt, Poitiers 2013, p. 112-113.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Celles-sur-Belle, abbaye Notre-Dame (église). Armoirie roi de France (armoirie 1)