Bourbon-L’Archambault, Sainte-Chapelle (chapelle nouvelle)
La seconde chapelle de Bourbon-L’Archambault, bâtie dans l’enceinte du château entre le dernier quart du XVe siècle et la première décennie du XVIe, était formée d’une nef unique, de quatre travées de long, fermée par un chevet polygonal à trois pans et couverte de voûtes d’ogive (Gatouillat, Herlod 2011, p. 99). Outre une rose sur la façade occidentale, onze baies en éclairaient l’intérieur : une était ouverte sur le mur gouttereau nord et était accompagnée de trois baies de taille plus modeste ; trois à l’est sur les pans du chevet ; et quatre sur le mur gouttereau sud (ibid.). Malgré la disparition de l’édifice, le programme iconographique des grandes baies à vitraux nous est connu par des relevés réalisés pour François Roger de Gaignières (Paris, BnF, ms. Clairambault 640, f. 218-226), qui illustrent les scènes d’un cycle dédié à la Sainte Croix qui s’y déroulait.
Le cycle historié était accompagné par une ornementation héraldique somptueuse qui mérite une analyse plus approfondie. Les deux fondateurs de cette chapelle, Pierre de Bourbon et Anne de France, étaient représentés dans l’abside de la chapelle, et plus précisément dans le point le plus sacré de l’édifice. Leurs portraits figuraient en effet derrière le maître-autel, au pied de la baie d’axe illustrant la Crucifixion du Christ (Paris, BnF, ms. Clairambault 640, f. 219 : Collecta), priants en habits ducaux et couronnées de « cercles des comtes, perlées » (Grassoreille 1887, pp. 48-49). D’après la description que Dubuisson-Aubenay fournit de la chapelle avant sa destruction, le duc et la duchesse étaient accompagnés de leur chiffre PA (base Devise), qui ornait également, en lettre d’or, les clés de voutes du chœur, et de leurs armoiries respectives, elles-mêmes timbrées de couronnes comtales (armoiries 1a-2a). Reprenant un schéma similaire à celui du portail (voir Bourbon-L’Archambault, Sainte-Chapelle), l’emblématique du couple de commanditaires était associée à celle du roi de France, faisant ici allusion à saint Louis. Les armoiries de France, timbrées d’une couronne fleurdelisée « comme sont aujourd’hui celles des princes du sang » (Grassoreille 1887, p. 49), étaient sculptées « dans la muraille », sous le vitrail, entre deux représentations de saint Pierre et de saint Paul (armoirie 3). Elles étaient accompagnées, à leur droite (à senestre des armes), par les armes de son épouse Marguerite de Provence (armoirie 4). Les deux écus étaient associés à des tablettes inscrites les identifiant. Dubuisson-Aubenay commet sans doute une erreur lorsqu’il transcrit l’inscription accompagnant les armes de l’épouse du roi saint comme « Ysabeau de Provence, sa femme ». Il est tout à fait probable que, peut-être en raison du mauvais état de l’inscription et probablement du relief armorié (il décrit un « mi parties d’une fasce très estroite à une bordure »), il ait fait la confusion entre Marguerite de Provence, femme de saint Louis, et Isabelle, sa fille.
Ces deux ensembles armoiries-inscriptions constituaient le point de départ d’un véritable cycle généalogique, construit sur une succession d’écus armoriés, se déroulant jusqu’à l’extrémité du mur sud de la chapelle. Réalisée sur des tablettes, dont il ne nous est parvenu que de rares vestiges, cette généalogie s’étendait ainsi de saint Louis au dernier couple ducal de Bourbon, formé par Charles III, connétable de France († 1527), et sa femme Suzanne de Bourbon († 1521), dernière héritière légitime de la maison. Cette généalogie continuait ainsi, sous une vitre représentant l’Apparition de la croix à l’empereur Constantin et marquée du chiffre PA (base Devise), par les armoiries de Robert de France (†1317), fils de saint Louis et fondateur de la maison capétienne de Bourbon (armoirie 5), et de sa femme Béatrice de Bourgogne († 1310) (armoirie 6) (un mi-parti présentant « un lyon à l’orle de coquilles », d’après Dubuisson-Aubenay). À leur suite étaient figurées les armoiries de Louis Ier de Bourbon († 1341), leur fils (armoirie 7), et, sous le vitrail suivant, de Marie de Hainaut († 1354), sa femme (armoirie 8).
En respectant toujours cette logique de présentation chronologique et par couple, les hommes d’abord puis leurs épouses, la généalogie continuait avec les armoiries de Pierre de Bourbon († 1356) et d’Isabelle de Valois († 1383) (armoiries 9-10). Sous le vitrail suivant, étaient représentées les armes de leur fils Louis II de Bourbon († 1410) et d’Anne d’Auvergne († 1417) (armoiries 11-12) – « mi parties de 2 dauphins séparés par une fasce (comme si en tout l’escu il y en eust eu 4), 2 dessus, 2 dessous », nous informe Dubuisson – ainsi que celles de Jean de Bourbon († 1434) et de sa femme Marie de Berry († 1434) (armoiries 13-14). Sous le vitrail successif, toujours accompagnées d’une inscription identifiant leurs possesseurs, étaient sculptées les armoiries de leur fils, Charles de Bourbon († 1456) et de sa femme Agnès de Bourgogne († 1476) (armoiries 15-16), puis de Jean II de Bourbon († 1488) et de Jeanne de France († 1482), sa femme et fille du roi Charles VII (armoiries 17-18). Enfin, sous le dernier vitrail du mur gouttereau sud, étaient figurés les deux derniers couples de la dynastie : Pierre II de Bourbon († 1503) et sa femme Anne de France († 1522) (armoiries 1b-2b), déjà représentés en place d’honneur sur le vitrail surplombant l’autel principal, et Charles III et Suzanne de Bourbon (armoiries 19-20).
De ces armoiries et de ces tablettes généalogiques, la grande majorité disparut lors des ravages révolutionnaires et de la destruction de la chapelle en 1802. Pourtant, une partie de ce décor connut une étrange destinée : suite au passage des révolutionnaires, plusieurs tablettes généalogiques et panneaux armoriés furent récupérés par un médecin local qui les tailla en losanges et en triangles pour daller le vestibule de sa maison. Lorsque le médecin le fit redaller en marbre, un dénommé Ernest La Couture réussit à sauver certains de ces fragments et en fit don au Musée départemental de Moulins (Moulins, archives de la Société d’Émulation du Bourbonnais, fonds Musée dép. avant 1905). Les relevés du bienfaiteur, dans la lettre qui les accompagnait, datée du 5 octobre 1879, donnent une idée de l’apparence de ces singulières tablettes inscrites.
Des dix fragments enregistrés au Catalogue du Musée départemental de Moulins en 1885 (Bertrand 1885), seuls trois subsistent désormais, ainsi que trois écus armoriés en pierre d’Apremont, timbrés de couronnes. L’un d’entre eux représente les armes de Béatrice de Bourgogne (armoirie 6) (Moulins, Musée Anne de Beaujeu, inv. 96.3.1) et correspond à la description que Dubuisson-Aubenay en fait dans son récit. Un second, parti de France et de Bourbon (Moulins, Musée Anne de Beaujeu, inv. 96.2.1), pourrait être attribué à soit à Anne de France (armoirie 2b), soit à Jeanne de France (armoirie 18). Un troisième écu parti en revanche les armes de Charles le Téméraire avec celles de Bourbon : il appartenait donc à Isabelle de Bourbon, fille de Charles Ier et épouse du duc de Bourgogne (armoirie 24) (Moulins, Musée Anne de Beaujeu, inv. 2001.18.1) mais ne correspond à aucune des armoiries décrites par Dubuisson-Aubenay. Ses dimensions différentes font cependant pencher en faveur d’Isabelle de Bourbon, dont les armes sont mentionnées – comme nous le verrons tout de suite – dans un deuxième ensemble héraldique, probablement postérieur, se déroulant sur le mur nord de la chapelle. La présence de couronnes sur les trois exemplaires, malgré l’absence de description de Dubuisson-Aubenay, ouvre la possibilité que l’ensemble des écus sculptés formant cette première série fussent timbrées de même.
Des éléments héraldiques ornaient également la façade occidentale, comme la description de Dubuisson-Aubenay le laisse imaginer, même si la nature de cette nouvelle figuration armoriée demeure incertaine. Le texte, décousu, indique simplement au-dessus du portail : « La rose ? du bout de la saincte chapelle, armes, etc. escrit P.A. » (Grassoreille 1887, p. 51) (armoirie 31).
Sur le mur gouttereau nord, les ensembles armoiries-inscriptions ne sont plus organisés par ordre chronologique et répondent à une autre logique spatiale. Les trois premières baies éclairant cette façade, partant de celle dominant les orgues et le vestibule menant à l’ancienne chapelle, étaient formées de vitres bleues fleurdelisées (armoiries 32, 33, 34). La seconde figurait encore « un petit bout de cotice ou baston » (armoirie 33), ce que Dubuisson-Aubenay interpréta comme les stigmates de la foudre qui, selon la légende, aurait frappé les vitraux de la Sainte-Chapelle lors du décès du roi Henri III, ôtant la bande de gueules brisant les armes des Bourbons et augurant de leur arrivée sur le trône de France (Grassoreille 1887, p. 54). Si les indications fournies par l’érudit étaient correctes, les verrières de la chapelle auraient donc alterné les armes de France (armoiries 32, 34) à celles de Bourbon (armoirie 33) ou, comme nous le préciserons ci-dessous, de France-Bourbon (armoirie 35).
Même sur ce côté, le cycle généalogique était formé d’écus sculptés accompagnés d’inscriptions, toujours placées au-dessous des fenêtres. Procédant du vitrail le plus proche à la séparation entre la nef et le chœur (armoirie 34) vers celui jouxtant la baie d’axe (armoiries 1a-2a), étaient sculptées neuf armoiries associées à des inscriptions, représentant une fratrie, tous enfants de Charles Ier. Le groupe emblématique s’ouvrait par un ensemble de trois armoiries féminines, appartenant à Marguerite de Bourbon (armoirie 21), à Jeanne de Bourbon, princesse d’Orange (armoirie 22) et à Catherine de Bourbon, duchesse de Gueldres (armoirie 23) (Dubuisson-Aubenay donne un description de cette armoirie qui pose problème, lui attribuant un lambel qui n’avait pas raison d’être: « armes à deux lyons confrontés, un filet en pal entre deux, un lambel en chef, mi-parties de France-Bourbon »). Sous le vitrail suivant, se trouvait un autre ensemble de trois écus, aux armes d’Isabelle de Bourbon (armoirie 24), de Marie de Bourbon (armoirie 25) et de Jacques de Bourbon (armoirie 26). L’armoirie de celui-ci mettait fin à ce premier sous-groupe féminin. Le vitrail les surplombant était lui-même orné des armes « de France-Bourbon coronnée d’une coronne de perles, comme celles des comtes, entourées du collier de l’ordre et à coquille d’or, tenant par laqs d’argent la ceinture d’espérance du costé droit et le chardon du costé gauche » (Grassoreille 1887 p.88) (armoirie 35). Les devises employées, la ceinture ESPERANCE (base Devise) et le chardon (base Devise), tendent à favoriser l’attribution de cet ensemble à Pierre II de Bourbon mais il pourrait tout aussi bien s’agir des emblèmes de Jean II de Bourbon, qui avait également été commanditaire de cette chapelle. Bien qu’aucun usage de la devise du chardon ne soit connu à Jean II à ce jour, il n’est pas à exclure, en effet, qu’il en ait également fait usage, comme son père Charles Ier avant lui.
Sous le vitrail suivant étaient enfin sculptées les armes des derniers membres masculins de cet ensemble familial : celles de Philippe de Bourbon, baron de Beaujeu († 1453) (armoirie 27) ; celles de Charles II de Bourbon, cardinal et archevêque de Lyon († 1488) (armoirie 28) ; et celles de Louis de Bourbon, évêque de Liège († 1482) (armoirie 29), qui, d’après Dubuisson-Aubenay avaient la forme d’« equartelées, en tous les 4 de France-Bourbon, tymbrées d’une mytre ».
Ce second groupe généalogique, dédié aux enfants de Charles Ier, interroge sur la datation de l’ensemble du décor. Cette partie du programme aurait ainsi pu être réalisée sous l’impulsion du duc Jean II, dont les armoiries surplombent l’ensemble, afin de mettre sa fratrie à l’honneur. Pourtant, rien n’indique que les armes du vitrail soient contemporaines de ces reliefs armoriés. Au contraire, l’inscription accompagnant les armoiries de Marguerite de Bourbon (armoirie 21) signale qu’elles furent apposées « François le Ier à présent régnant » (Grassoreille 1887, p. 55), nous donnant ainsi un terminus post quem pour la réalisation de l’ensemble. Puisque François Ier n’accède au trône de France qu’à partir de 1515, le décor a donc été sans doute réalisé quelques années après la construction de l’édifice, achevé en 1508 : il ne peut donc pas résulter d’une initiative de Jean II, mort, rappelons-le, en 1488. Ce décor fut donc vraisemblablement réalisé sous l’impulsion de Louise de Savoie, qui obtient le duché de Bourbon en 1522. L’ajout de cet ensemble héraldique lui aurait ainsi permit d’insérer les armoiries de sa mère, Marguerite de Bourbon, dans cet espace de célébration dynastique, légitimant ainsi ses origines et sa nouvelle position ducale.
La mise en signe de la chapelle était complétée par le décor de l’oratoire situé sur le côté nord, entre la dernière travée du chevet et le premier pan de l’abside. Destiné aux ducs, il présentait une clôture en bois ornée du chiffre PA, de chardons et de ceintures ESPERANCE. Dans l’oratoire, sur le vitrail d’une fausse porte donnant sur le déambulatoire, Dubuisson-Aubenay décrit la présence des armes de Bourbon (armoirie 30), couronnées de fleur de lis d’or, la ceinture espérance repliée autour, avec le collier de Saint-Michel et les chiffres PA, pour Pierre et Anne, et KS, pour Charles et Susanne. La ceinture était également représentée à part, « de couleur bleue à boucles et viroles d’or et le chardon à fueilles vertes, testes et fleurs bleuastres argentées » (Grassoreille 1887, p. 90). Les armoiries, accompagnées de l’ordre, pourraient de nouveau être attribuées à Jean II, mais la présence des chiffres du connétable Charles III et de Pierre II sous-entend que la vitre fut réalisée dans les dernières phases du chantier et rend plus plausible son attribution à l’un de ces deux personnages, jouant probablement de cette proximité entre leurs armes.
Cette seconde chapelle offre donc un fascinant exemple des enjeux symboliques et politiques de l’héraldique dans un espace sacré. Les deux ensembles armoriés produisent deux discours similaires, glorifiant la noblesse des origines de leurs commanditaires. Le premier groupe généalogique en retraçant les origines de la dynastie jusqu’à saint Louis, et le second en légitimant la nouvelle position de Louise de Savoie, qui impose également sa présence dans l’ancienne sainte chapelle.