Le précieux manuscrit aquarellé du Bref estat des préminences de Kerman ainsi que des mentions contenues dans quelques aveux seigneuriaux permettent de restituer avec une grande précision la parure héraldique de la chapelle Notre-Dame de Kerzéan, révélant une richesse insoupçonnable au premier abord. Le décor de la maîtresse-vitre aux armes de Kermavan, de la façade occidentale, d’une chapelle disparue au nord dépendant de la seigneurie de Kergoal, et d’une autre chapelle elle aussi disparue au sud dépendant de Kerliviry, méritent un examen dédié.
Statue sur une console armoriée d’un écu vierge, mur du chevet, Plouescat, chapelle de Kerzéan.
L’édifice conserve enfin quatre pierres tombales et deux consoles armoriées, concentrées vers le chevet, pour partie dans leur état d’origine et pour partie déplacées. Plusieurs écus présentent des armoiries au lion qui posent un sérieux problème d’attribution, les trois principales familles prééminencières blasonnant de cette figure. Les Kermavan étaient seigneurs supérieurs. Les familles de Kergoal et Kerliviry, qui tenaient respectivement les chapelles au nord et au sud, étaient issues des Kermavan, probablement au XIVe siècle, et portaient un lion d’azur avec brisure. Enfin, les Du Bois du Dourdu, autre famille issue des Kermavan, portaient également un lion d’azur, et entrèrent en possession de Kergoal au milieu du XVIe siècle.
Statue reposant sur une console armoriée d’un écu au lion, Plouescat, chapelle de Kerzéan.
Au nord du maître-autel, scellée au mur du chevet, une console supportant une statue de saint Éloi est sculptée d’un écusson vierge (armoirie 1). De par sa position, il montrait probablement les armes des Kermavan, ou de l’une des familles ayant tenu la terre de Kergoal, dont dépendait la chapelle disparue au nord. À l’angle de la longère nord et du chevet, une autre console portant une statue de sainte Marguerite est ornée d’un écu au lion (armoirie 2), dont la mouluration et la forme orientent la datation vers la fin du XVe ou le début du XVI siècle, sans certitude. Pour les mêmes raisons que précédemment, les armes ne peuvent être attribuées formellement, cependant les Du Bois du Dourdu sont les meilleurs candidats en tant que seigneurs de Kergoal, dont la chapelle prohibitive s’ouvrait immédiatement au nord. Les pierres tombales armoriées posent elles aussi difficulté, certaines ayant pu être déplacées. Il y a un siècle, Louis Le Guennec signalait « quelques dalles armoriées » (Le Guennec 1979, p. 272), cependant une de ses notes manuscrites, indique en 1900 que le pavage avait été refait et qu’il ne s’y trouvait que deux tombes (AD Finistère, 34 J 45). Peut-être les deux autres tombes subsistantes étaient-elles simplement masquées par du mobilier.
Tombe armoriée engagée dans le mur nord, Plouescat, chapelle de Kerzéan.
Une première tombe est à-demi engagée dans le mur nord, en légère surélévation du sol, où elle est réemployée comme banc. On ne distingue sur la moitié visible de l’écu en son centre, inscrit dans un quadrilobe à redents, que les deux pattes antérieures et le genou d’un lion, sans brisure apparente (armoirie 3). De par sa position, elle relevait presque certainement de la chapelle de Kergoal, et doit probablement être attribuée à la famille primitive de Kergoal, ce qui paraît compatible avec une estimation dans une fourchette chronologique large entre la fin du XIVe et le XVIe siècles. La pierre, très épaisse et présentant un bord chanfreiné taillé avec soin, devait être relevée par rapport au niveau du sol et aurait pu peut-être s’abriter sous l’enfeu des Kergoal signalé dans la chapelle nord disparue.
Plate-tombe armoriée d’un écu au lion au sud du chevet, Plouescat, chapelle de Kerzéan.
Une plate-tombe à l’angle du chevet et du mur méridional porte un écusson au lion, difficilement attribuable (armoirie 4). La forme de l’écu à pointe écrasée, et celle du lion, dont les membres antérieurs sont presque croisés en sautoir avec la tête et le torse, renvoient vers la fin du XVe ou au début du XVIe siècle.
Les deux autres plates-tombes armoriées sont accolées contre le mur nord. Les armes sur l’écusson au centre de la première (armoirie 5), coincée sous le support d’une chaire à prêcher, ne peuvent être reconnues, bien qu’on y déchiffre un relief. L’autre dalle porte un écusson sculpté en relief chargé de trois tours couvertes (armoirie 6). Louis Le Guennec y reconnaissait les armes des Crec’hquérault ou des Audren de Kerdrel (Le Guennec 1979, p. 272 ; AD Finistère, 34 J 45). Les premiers doivent être écartés car ils portaient des tours crénelées mais non couvertes (Le Borgne 1667, p. 67 ; Potier de Courcy 2000, t. 1, p. 312 ; D’Hozier 1977, t. 1, p. 345, 442). La piste des Audren est plus intéressante, cette famille ayant détenu la terre de Kervinot en Plounévez-Lochrist, à seulement un kilomètre de distance.
Plate-tombe aux armes probables des Coetnempren de Creac’hingar, Plouescat, chapelle de Kerzéan.
Depuis la fin du XIXe siècle et la publication des éditions successives du Nobiliaire et armorial de Bretagne, on leur attribue des armes à trois tours couvertes (Potier de Courcy 2000, t. 1, p. 24), qui résultent apparemment d’une confusion. Plusieurs sources originales, recopiées par des nobiliaires ou armoriaux contemporains, s’accordent en effet sur des tours crénelées et parfois douvées (D’Hozier, t. 1, p. 224 ; Paris, ms. fr. 32235, p. 626 ; Guérin de la Grasserie 1845, p. 7-8 ; Du Refuge 1863, p. 24 ; Kerviler 1886, t. 1, p. 351-352 ; de L’Estourbeillon 1891, p. 228, 231), ou sans qualificatif (Arrêt de la Réformation de la noblesse de 1669).
Il faut proposer une nouvelle attribution, à la famille de Coëtnempren. Ses armes à trois tours crénelées sont attestées d’à peu près tous les nobiliaires et armoriaux bretons, anciens et modernes. Cependant, la branche cadette des seigneurs de Creac’hingar en Tréflaouenan, dont le manoir est implanté à environ deux kilomètres et demi de Kerzéan, brisait de trois tours couvertes, ainsi qu’en attestent deux écussons, l’un sur le manteau de cheminée dans le logis du manoir, l’autre au culot d’une statue du XVIIe siècle conservée dans l’église paroissiale de Tréflaouenan. Le détail des prééminences de Creac’hingar n’étant pas connu, il faut présumer qu’ils avaient acquis des droits d’inhumation à Kerzéan à une époque indéterminée, mais probablement dès la fin du XVe ou au XVIe siècle.
En conclusion, si les vestiges armoriés subsistants dans la chapelle Notre-Dame de Kerzéan sont modestes, leur étude n’en est pas moins instructive, presque caricaturale des difficultés posées par une spécificité de l’héraldique bretonne, la multiplication au sein de territoires restreints de groupes héraldiques endogames formés par de lignages nobles aux armoiries quasi-identiques.
Auteur : Marc Faujour
Pour citer cet article
Marc Faujour, Plouescat, chapelle Notre-Dame de Kerzéan (chœur), https://armma.saprat.fr/monument/plouescat-chapelle-notre-dame-de-kerzean/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Archives privées, Bref estat des preminences du marquis de Kerman et conte de Seszploe…, 1614.
Paris, BnF, ms. Fr. 32235, Armorial général de France dressé en vertu de l’édit de 1696.
Quimper, AD Finistère, 34 J 45, Fonds Le Guennec, « Plouescat », note manuscrite du 24 septembre 1900.