Datée de la première Renaissance, la maison dite des Juste (17, rue Paul-Louis-Courier) est formée d’un corps de bâti sur rue de trois étages dont la façade est percée de fenêtres présentant des linteaux et piédroits ornés et, à l’origine, sans doute aussi des meneaux en croix. Bien conservée, malgré les modifications réalisées au XVIIIe siècle, elle a été inscrite aux Monuments Historiques en 1948 (base POP). Le linteau de la porte principale, qui donne accès à un couloir menant à la cour située à l’arrière de l’immeuble et à l’escalier en vis reliant les étages (Monumentum), est orné d’une frise de rinceaux, timbrée en son centre d’une armoirie au lion (armoirie 1). L’ornementation végétale, ainsi que la forme de l’écu en chanfrein, typique de l’art héraldique de la Renaissance italienne, invite à reconnaître la présence une influence transalpine qui permet de dater cet élément architectural de la première moitié du XVIe siècle.
Tours, Hôtel dit des Juste, porte d’entrée armoriée.
D’après la tradition locale, cet écu serait aux armes des frères italiens Giusti (dont le nom a été francisé en Juste), sculpteurs florentins installés à Tours dès les premières années du XVIe siècle (Boudon-Machuel 2012, p. 197). Charles de Grandmaison, membre de la Société archéologique de Touraine, est le premier à rapprocher l’écu du linteau des armes des Juste (« Communications » 1903, p. 90), qui araient porté à son avis un lion dans leurs armoiries originaires, et à attribuer ainsi la construction de la maison et la réalisation du linteau à Juste de Juste, né à Tours en 1505, sans toutefois apporter aucune preuve documentaire au soutien de ses propos. Son fils Louis va encore plus loin, en blasonnant la supposée armoirie de Juste de Juste comme un « coupé de sable et d’or, au lion de l’un en l’autre » (Grandmaison 1929, p. 117). Nous ignorons cependant d’où il pouvait tirer ces informations : surement pas de l’observation du relief en question qui à son époque était déjà dépourvu de toute trace de couleurs, comme le confirme une photographie datée de 1911 (Paris, BnF, dép. Est. et photo., VA-37(6)-FOL), donc d’avant que la façade ne soit restaurée. A cette époque l’attribution de l’armoirie au lion était encore contrastée : le rédacteur de la légende de cette photographie l’attribue en effet aux Lopin, famille de laquelle est issue Françoise, épouse de Juste de Juste. Cette grande famille bourgeoise de Tours, dont certains membres ont été maires de la ville à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, portait néanmoins « d’argent, à trois œillets de gueules, 2 et 1, tigés et feuillés de sinople » (Busserolle 1867, p. 588). Cette piste ne sera d’ailleurs pas retenue par historiographie successive, qui a plutôt privilégié l’identification fournie par Grandmaison. C’est le cas d’abord de Denis Jeanson (1973, p. 299), puis de Bernard Toulier qui date aussi la construction de l’hôtel vers 1520 (Toulier 1980, p. 90).
Tours, Hôtel dit des Juste, porte armoriée, détail de l’armoiries au lion.
Pour voir plus clair dans l’attribution de cette armoirie, nous devons donc comprendre sur quelle base les Grandmaison père et fils avait formulé leur hypothèse. Bien qu’ils n’aient jamais révélé leurs sources, il est hautement probable qu’ils avaient consulté la monographie publiée en 1866 par Giovanni Francesco Baroni sur l’église San Martino à Mensola. Selon cet ouvrage, les Juste possédaient leur propre chapelle dans cette église proche de Florence, où Giusto Betti (1416-1486/1487), le premier membre connu de la famille, avait décidé, conformément à son testament du 27 avril 1482, d’établir une chapelle dédiée à saint Antoine (Baroni 1866, p. 29). Giusto avait fait remanier un retable de Taddeo Gaddi pour y insérer son portrait et celui de sa femme et représenter sur la prédelle ses armoiries, qui auraient été figurées aussi sur les murs de la chapelle (ibid., p. 31) et, d’après d’autres, également reproduites sur la clef de voûte de la même chapelle et sur les ventaux d’une armoirie de la sacristie (Bardati, Mozzati 2012, p. 216). Malheureusement, ces informations ne peuvent pas être vérifiées : même si le retable attribué à Taddeo Gaddi est toujours conservé dans l’église San Martino (photothèque Fondazione Federico Zeri), les armes des Giusti semblent avoir en effet disparu sans laisser de trace, probablement parce qu’elles ont été grattées ou recouvertes à une époque indéterminée. Baroni (1866, p. 31) enrichit toutefois sa description d’une reproduction des armes à son époque encore visibles dans la chapelle, qui sont en tout point identiques à la description fournie par Louis de Grandmaison plus d’un demi-siècle plus tard. Bien que l’armoirie soit en noir et blanc, les hachures que la caractérisent correspondent bien aux émaux or et sable décrit par l’érudit tourangeau.
Armoirie de Giusto Betti dans l’église San Martino à Mensola, dans Baroni 1866, p. 31.
Bien que l’armoirie au lion de l’hôtel tourangeau puisse donc appartenir réellement aux Juste, elle semble fournir un indice trop faible pour attribuer, avec Grandmaison, la construction de cet hôtel particulier à la famille des sculpteurs florentins. Si la présence à Tours de Juste de Juste est effectivement prouvée dès les années 1520 par une quittance de 1522 (Tours, AD Indre-et-Loire, 3E1/26), dans laquelle Ysabeau de Pasche, mère du sculpteur, est mentionnée pour le fait d’avoir acheté une maison dans la ville, celle-ci ne correspond sans doute pas à l’hôtel dont nous nous occupons. Cette maison aujourd’hui disparue, dans laquelle Yasabeau vécut avec son fils, s’élevait en effet dans l’ancienne rue de la Guerche, à savoir l’actuelle rue Manceau, située 500 mètres plus au nord de la rue Paul-Louis-Courier.
Auteur : Sarah Héquette
Pour citer cet article
Sarah Héquette, Tours, Hôtel dit des Juste, https://armma.saprat.fr/monument/tours-hotel-dit-des-juste/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Tours, AD Indre-et-Loire, 3E1/26.
Bibliographie études
Bardati Flaminia, Mozzati Tommaso, « Jérôme Pacherot et Antoine Juste : artistes italiens à la cour de France », Studiolo, 9, 2012, p. 209-254.
Baroni Giovanni Francesco, La parrocchia di S. Martino a Mensola. Cenni storici, Florence 1866.
Boudon-Machuel Marion, « Antoine, Jean et André Juste », dans B. de Chancel-Bardelot, P. Charron, P.-G. Girault, J.-M. Guillouët (dir.), Tours 1500 : capitale des arts, catalogue de l’exposition (Tours 2012), Paris 2012, p. 197-199.
Carré de Busserolle Jacques-Xavier, Armorial général de Touraine, Tours 1867.
« Communications », Bulletin de la Société archéologique de Touraine, 14, 1903-1904, p. 82-90.
Grandmaison Louis de, « La maison de Jeanne d’Arc à Tours », Bibliothèque de l’école des Chartes, 90, 1929, p. 108-128.
Jeanson Denis, Sites et Monuments du Grand Tours, Tours 1973.
Toulier Bernard, « Les hôtels », dans Id. (dir.), L’architecture civile à Tours des origines à la Renaissance, catalogue de l’exposition (Tours 1980), Tours 1980 (Mémoires de la Société archéologique de Touraine, 10), p. 81-94.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Tours, Hôtel dit des Juste. Armoirie Juste ? (armoirie 1)
(Coupé ?) de (sable ?) et d’(or ?), au lion de (l’un en l’autre ?).