Situé en plein cœur du centre historique de Tours, à quelques mètres de l’église Saint-Julien, cet hôtel particulier, édifice emblématique de la Renaissance tourangelle, est étroitement lié à la personnalité de Jacques de Beaune (v. 1455-1527). Baron de Semblançay, surintendant des finances de François Ier, Jacques de Beaune est une figure majeure de la bourgeoisie financière de la ville, qui se distingua comme l’un de ses mécènes les plus actifs.
Adoptant une forme en U ouverte à l’est, l’hôtel se compose de plusieurs corps de bâtiments qui ont été érigés et reliés entre eux au cours de plusieurs campagnes qui se sont déroulées aux XVe-XVIe siècles. Un premier logis perdu, établi dès 1468, formait la partie nord-ouest de la structure finale de l’hôtel. Il appartenait à Jean de Beaune († 1490) (Charenton-le-Pont, MAP, E/81, notice IA00071322, p. 1), qui en fit don en 1486 à son fils, Jacques. Celui-ci fit agrandir l’ensemble vers l’ouest et, en 1511, il fit construire une fontaine armoriée de style Renaissance, connue sous le nom de fontaine de Beaune-Semblançay. Quelques années plus tard le complexe architectural fut davantage agrandi. En 1517, Louise de Savoie, mère de François Ier, fit don de son hôtel de Dunois à Jacques de Beaune en signe d’amitié, compte tenu de la proximité entre Jacques de Beaune et le roi (Spont 1895, p. 146). L’hôtel Dunois, voisin de celui de Jacques de Beaune, fut alors relié à celui-ci par une galerie, formant ainsi l’aile nord de l’ensemble résidentiel. Élevée sur deux niveaux, composé de cinq travées à fenêtres à meneaux et ornée de pilastres décorées de losanges, la galerie témoigne du goût du commanditaire pour les innovations architecturales, et illustre ainsi le style de la première Renaissance. Construite à partir de 1518, comme l’atteste la date gravée sur l’un des chapiteaux du second niveau, elle marque le début des campagnes de constructions promues par Jacques de Beaune qui permirent d’agrandir davantage l’aile ouest et la compléter avec une loggia en retour d’équerre qui vient terminer l’édifice au sud. Tandis que le premier niveau est composé d’arcades retombant sur des colonnes ioniques, le second où se trouvait la chapelle, est percé de baies trilobées caractéristiques de l’architecture gothique.
Vue de l’hôtel de Beaune d’après un dessin de Jacquemin. Tours, AM.
Cette phase de construction s’arrêta cependant déjà en 1525, quand le surintendant des finances fut accusé de ne pas avoir voulu verser l’argent nécessaire à l’armée royale et, reconnu comme créancier du roi François Ier, fut condamné à mort et finalement pendu en 1527 (Ibid., p. 261). Même si aucune intervention significative à la structure de l’hôtel n’est à signaler pendant les siècles successifs, l’hôtel de Beaune a quand même profondément souffert du passage du temps et des actions de l’homme. Après une première restauration dans les années 1860 (Grandmaison 1868-1870, p. 183), l’hôtel est ravagé par un incendie en 1940, déclenché par les bombardements allemands. Les dégâts étaient tels qu’il fut décidé d’abattre totalement l’hôtel Dunois et l’aile ouest de l’hôtel de Beaune strictement dit, celle composée du logis de Jean et de celui de Jacques. Peu de temps après, en 1941, ce qui restait de l’hôtel de Beaune fut classé au titre des Monuments historiques (base POP). Aujourd’hui, seuls les vestiges de la façade sud de la galerie nord subsistent, ainsi que la loggia au sud.
Tours, hôtel de Beaune, loggia.
Ces destructions nous empêchent d’avoir une connaissance de l’entièreté des décors héraldiques qui ornaient ce complexe architectural que nous pouvons imaginer avoir été orné par Jacques de Beaune avec ses armoiries et ses emblèmes, comme cela était courant dans les hôtel particuliers de l’époque. Néanmoins, les vestiges subsistants, ainsi que le relevé réalisé par l’architecte Jean-Bernard-Abraham Jacquemin au début du XIXe siècle et certaines photographies anciennes (Paris, BnF, dép. estampes et photo.) permettent de reconstituer en grande partie le discours emblématique affiché à l’extérieur de l’ancien hôtel particulier. Celui-ci se déployait sur les façades des logis édifiés entre 1518 et 1525, en se concentrant notamment sur l’aile ouest et la loggia sud. Il est surprenant de constater que, à notre connaissance, le riche décor de l’aile nord, qui allait jusqu’à l’hôtel Dunois, n’avait pas été enrichi des armes du commanditaire. Hormis sur la fontaine de Beaune, ses armoiries semblent avoir été présentes uniquement au niveau du passage en arcade reliant l’hôtel du XVe siècle de Jean de Beaune à la nouvelle construction de Jacques de Beaune (armoirie 1). L’armoirie, déjà visible dans sa forme générale sur le dessin de Jacquemin, a été identifiée par Charles Louis de Grandmaison, membre de la Société archéologique de Touraine, qui a pu observer l’hôtel de son vivant bien avant les destructions de 1940 (Grandmaison 1868-1870, p. 183). Situées entre l’arcade en plein cintre et la balustrade du passage, les armoiries de Beaune, probablement soutenues par des lions comme l’indique le dessin, étaient disposées à un emplacement stratégique, se trouvant au-dessus de la porte principale de l’hôtel. Il est alors probable que les mêmes armes aient orné le revers extérieur du même passage donnant sur la rue, dont nous ne possédons malheureusement pas de reproductions ou de descriptions.
Tours, hôtel de Beaune, loggia, frise armoriée, détail.
En outre, le logis de Jacques de Beaune, situé dans la partie gauche de l’aile ouest, présentait un décor emblématique en l’honneur de François Ier. Bien que la façade ait été restaurée dans les années 1860 et que la qualité de la photographie de 1911 (Paris, BnF, dép. est. et photo, VA-37(3)-FOL, H126493) ne nous permet pas de réaliser une fine critique d’authenticité, il est vraisemblable que ces décors dataient du temps de Jacques de Beaune. En effet, la devise de la salamandre (Fourrier, Parot 2022) et le F couronnés de François Ier, visibles au niveau des deux tympans trilobés des lucarnes gauches de ce corps de bâtiment, sont conformes, sur le plan formel, aux mêmes motifs sculptés simultanément au château de Chambord (Fourrier, Parot 2014, p. 243). À ces devises royales s’ajoutent les armes de France (armoiries 2a-c), sculptées sur les pilastres et l’entablement qui encadrent la lucarne à l’extrême-gauche. Au-dessous de la baie à meneaux, un écu aux armes de France couronné (armoirie 2d), encadré de deux salamandre adossées, également couronnées, était sculpté en bas-relief au milieu de flammes et faisait clairement encore allusion à la personne du roi. L’authenticité de l’ensemble semble en tout cas confirmée par le vocabulaire ornemental des pilastres qui, peuplés de rinceaux, témoignent à nouveau d’une inspiration de la Renaissance italienne et rappellent les formes expérimentées au château de Chambord (Fourrier, Parot 2010, p. 34-35). Ainsi, Jacques de Beaune, en tant que surintendant des finances de François Ier et proche de Louise de Savoie, avait certainement souhaité exprimer sa fidélité au roi.
Ecu aux armes de François Ier accosté de deux salamandres. Tours, hôtel de Beaune, façade.
La galerie sud, en revanche, semble avoir été spécifiquement dédiée à Louise de Savoie, mère du roi. Au-dessus des quatre arcades, rythmées par des médaillons à l’antique, qui retombent sur des colonnes ioniques, est sculptée une frise à ses emblèmes. Nous y retrouvons notamment une cordelière, étendue sur l’entièreté du relief, qui a été rapprochée de sa célèbre devise (Lecoq 1987, p. 416-421 ; Hablot 2004, p. 61-62). Elle apparaît ici avec deux styles de cordages bien distincts : d’une part elle présente le nœud de Savoie, une devise familiale établie par le comte de Savoie Amédée VI, caractérisée par un nœud en huit, que Louise réutilise ; d’autre part, elle s’apparente à la cordelière franciscaine, ornée de nœuds, d’une boucle et d’un gland, possiblement en hommage à son fils François. Cette cordelière est très souvent employée en association avec l’emblème des ailes, rappelant phonétiquement la lettre L de Louise, que l’on trouve en effet répété à plusieurs endroits de la frise de l’hôtel de Beaune. À quatre reprises au-dessus des médaillons, la cordelière est aussi associée à un vol (les ailes emblématiques) et aux lis au naturel liés par une couronne, emblèmes qui étaient également peints au plafond de la galerie extérieure de la tour Château-Renault (vers 1515-1519), au château de Blois (Une reine 2015, p. 34), ainsi que sur plusieurs chapiteaux du donjon du château de Chambord (Fourrier, Parot 2015, fig. 48, 49). D’après les interprétation qui ont été données de cette devise, les lis liés à une couronne auraient permis d’élargir davantage l’hommage offert par Jacques de Beaune à la famille royale, puisque on a voulu y reconnaître soit une référence à Louise avec ses deux enfants, ainsi que François, Marguerite et la reine Claude, soit un rappel aux trois fils du roi, François, Henri et Charles (ibid., par. 9).
Ce riche discours emblématique intègre aussi quatre écus sculptés, également situés sur la frise, au-dessus des claveaux des arcades de la loggia, tous probablement bûchés à la Révolution (armoiries 3a-d). Deux d’entre eux, situés dans les deuxième et quatrième travées, ont néanmoins été restaurés dans la deuxième moitié du XIXe siècle par l’architecte Thomas Despelozen (Présidence 1868, p. 92) avec les armes de Jacques de Beaune (armoiries 1b-c) (citées dans Guillaume 2012, p 101). Cependant, cette intervention a vraisemblablement été exécutée de manière incorrecte, comme l’avait déjà souligné Grandmaison (Grandmaison 1868-1870, p. 183), car les ornements entourant les écus suggèrent davantage une attribution des armoiries originaires à Louise de Savoie. En effet, tous les écus sont couronnés et entourés de la cordelière (armoiries 3a-d), qui sont les emblèmes traditionnellement associés aux armoiries de la mère de François Ier. Des exemples analogues sont fréquents, notamment aux châteaux de Blois et de Chambord (Brioist, Fagnart, Michon 2015), mais également dans les collections lapidaires de la Société archéologique de Touraine (inv. HG9480080001 CG), où un fragment provenant du couvent des Cordeliers de Tours et daté de la première moitié du XVIe siècle présente un écu triangulaire aux armes de Louise de Savoie, entouré de la cordelière et de la couronne. Par ailleurs, cette hypothèse est renforcée par toutes les composantes emblématiques de la loggia de l’hôtel de Beaune qui célèbrent Louise de Savoie. Il semble que Jacques de Beaune, à travers cette commande, ait manifestement cherché à rendre hommage à sa bienfaitrice, qui lui avait fait don de l’hôtel Dunois quelques années auparavant.
Auteur : Sarah Héquette
Pour citer cet article
Sarah Héquette, Tours, Hôtel de Beaune-Semblançay, https://armma.saprat.fr/monument/tours-hotel-de-beaune-semblancay/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Charenton-le-Pont, MAP, E/81, notice IA00071322.
Bibliographie études
Brioist Pascal, Fagnart Laure, Michon Cédric (dir.), Louise de Savoie (1476-1531), Tours 2015.
Fourrier Thibaud, Parot François, « Qu’est-ce que Chambord ? étude du décor sculpté et nouvelles interprétations », Mémoires de la société des sciences et lettres du Loir-et-Cher, 65, 2010, p. 21-55.
Fourrier Thibaud, Parot François, « L’iconographie de Chambord et l’emblématique de François Ier », Réforme, Humanisme, Renaissance, 79, 2014, p. 225-246.
Fourrier Thibaud, Parot François, « L’enjeu dynastique à travers le décor sculpté de Chambord : rôle et place de Louise de Savoie », dans P. Brioist, L. Fagnart, C. Michon (dir.), Louise de Savoie (1476-1531), Tours 2015, p. 167-181.
Fourrier Thibaud et Parot François, « La salamandre, devise de François d’Angoulême », dans M. Ferrari, L. Hablot, M. Metelo de Seixas (dir.), Devises, lettres, chiffres et couleurs : un code emblématique, 1350-1550, Lisbonne 2022, p. 309-330.
Grandmaison Charles-Louis de, « Notice sur l’hôtel de Beaune-Semblançay », Bulletin de la Société archéologique de Touraine, 1, 1868-1870, p. 179-186.
Guillaume Jean, « Les débuts de l’architecture de la Renaissance à Tours », dans B. de Chancel-Bardelot, P. Charron, P.-G. Girault, J.-M. Guillouët (dir.), Tours 1500 : capitale des arts, catalogue de l’exposition (Tours 2012), Paris 2012, p. 90-104.
Hablot Laurent, « Pour en finir, ou pour commencer, avec l’ordre de la Cordelière », dans D. Lepage (dir.), Pour en finir avec Anne de Bretagne, actes du colloque (Nantes 2002), Nantes 2004, p. 47-70.
Lecoq Anne-Marie, François Ier imaginaire: symbolique et politique à l’aube de la Renaissance française, Paris 1987.
« Présidence de M. Grandmaison. Séance du 27 mai 1868 », Bulletin de la Société archéologique de Touraine, 1, 1868-1870, p. 90-93.
Spont Alfred, Semblançay (?-1527). La bourgeoisie financière du début du XVIe siècle, Paris 1895 .
Une reine sans couronne ? Louise de Savoie, mère de François 1er, catalogue de l’exposition (Ecouen 2015), Paris 2015.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Tours, Hôtel de Beaune-Semblançay. Armoirie Jacques de Beaune ? (armoirie 1a)
(De gueules au chevron d’argent accompagné de trois besants d’or).
Attribution : Beaune Jacques de
Tenants / Supports : Deux...
Position : Extérieur
Étage : Rez-de-chaussée
Emplacement précis : Arc
Support armorié : Mur
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue