Plouvien, chapelle Saint-Jean Balanant
À un kilomètre et demi à l’est du bourg de Plouvien, au flanc d’un vallon traversé par une rivière, se dresse la chapelle Saint-Jean Balanant, frôlée par les voitures de la route départementale 38. Datant du XVe siècle, elle est le seul bâtiment subsistant d’un prieuré des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem dépendant de la commanderie de La Feuillée, sur une possession déjà signalée dans une charte du duc Conan IV en 1160, peut-être apocryphe. Étant dans l’ignorance pour les périodes hautes, les transformations successives du site sont au témoignage des archives assez bien cernées à la fin de l’Ancien Régime. Au XVIIIe siècle, la chapelle était incluse dans un ensemble manorial sur cour accroché à son flanc sud. S’y ajoutaient une fontaine monumentale, un étang, un moulin, une métairie, quelques constructions et un petit domaine foncier centré sur le village de Balanant ou Balaznant.
L’édifice adopte un plan simple à une nef ouverte sur un bas-côté sud par quatre arcades reposant sur des piliers à section losangique cantonnés de colonnettes. Une sacristie s’accroche à la dernière travée du flanc nord à la place d’une ancienne chapelle dont témoignent une grande arcade de communication murée et des arrachements nettement visibles. Le côté oriental est fermé par un chevet plat ajouré de baies géminées et une petite fenêtre au sud. À l’ouest, la façade, asymétrique, adopte une configuration peut-être unique en Bretagne, avec une tourelle de clocher dans l’axe de la nef et un portail jumelé décalé au sud, dont le trumeau est aligné dans l’enfilade des grandes arcades. Les parois sont encore percées de deux portes, dont une à mi-longueur de la nef au nord demeure dans sa configuration d’origine. L’autre, accolée au premier contrefort au sud, grossière, donnait accès à deux maisons construites dans l’alignement de la façade, détruites mais attestées en 1617 et encore au cadastre de 1830. Une dernière porte, murée et sans ornement, ouvrait sur la cour de l’ancien manoir depuis la dernière travée du bas-côté sud. Sous une couverture en charpente de type armoricain et avec une hauteur d’arcade d’environ cinq mètres, doublée au faîtage, les volumes paraissent généreux et aérés.
En dépit de proportions modestes – dix-sept mètres de long pour douze de large –, Saint-Jean Balanant est un monument important, d’une réalisation soignée en toutes ses parties et dans tous les arts : architecture, sculpture, vitrail, héraldique et peinture, la présence de fresques venant d’être diagnostiquée. Ces qualités valurent à l’édifice une certaine attention dès le XIXe siècle, mais pour un bilan documentaire mitigé. Une des causes est l’intérêt surévalué porté à la présence de l’Ordre de Saint-Jean, alors que certaines recherches récentes montrent que le sujet de l’architecture religieuse hospitalière en Bretagne au Moyen Âge « n’ouvrait pas de porte sur des conclusions fiables » (Boccard-Billon 2000, p. 96). Le pittoresque s’entremêlant à la réalité, la chapelle « avec ses murailles noires et lépreuses, ses solides contreforts » (Le Guennec 1981, p. 363), « son clocher à meurtrières qui ressemble à une échauguette de veilleurs » (Pérennès 1942) fut perçue « presque [comme] une forteresse » portant « l’empreinte guerrière de l’ordre qui la fonda » (Le Guennec 1981, p. 363). On imagina l’établissement doté d’un hôpital (Le Guen 1888, p. 149) dont les sources n’offrent aucune mention mais auquel l’érudition locale reste attachée. L’ancienne chapelle au nord, pourtant mentionnée dans les aveux successifs des commandeurs comme relevant de la seigneurie de Penmarc’h (AD Loire Atlantique, B 1754, aveu de 1681), fut comprise comme une sorte d’oratoire qui « permettait aux malades d’assister aux offices » (Le Guen Arzur, Le Roux 1999, p. 10 ; Arzur, Le Roux 2007, p. 136). La confusion procède d’une interprétation malheureuse de la seule mention connue de l’établissement pour le XVe siècle à travers une copie de la réformation des fouages de l’évêché de Léon pour l’année 1443 signalant « Perrot Le Dresnay gouverneur de l’hospital mons.r S.ct Jehan Baptiste à Balaznant », où il est question de l’Ordre et non d’un bâtiment de fonction. La date elle-même fut exagérément interprétée comme le millésime de construction de la chapelle (Arzur, Le Roux 1999, p. 10) et les imprécisions s’additionnant, fut parfois déformée en « 1423 » (Le Guen 1888, p. 150 ; Pérennès 1942, p. 32).
Avec discernement, on estima que « l’édifice […] accuse par son style la même époque » (Potier de Courcy 1859, p. 132). La redécouverte du procès-verbal aquarellé des Maillé-Carman de 1614 fit connaître le décor armorié des baies géminées au chevet, et pointa le rôle des sires de Kermavan vers le milieu du XVe siècle (Le Guennec 1932, p. 119), cependant on ne creusa le rôle des autres familles locales. Alors que l’inscription à la Réformation de 1443 signale que l’établissement était bien avancé voire achevé, étonnamment on ne fit pas le lien avec la Réformation de 1426, où la présence à « Kerbalaznent » d’un seul métayer relevant d’une petite seigneurie locale (Torchet 2010, p. 99) vaut pratiquement preuve de ce que l’implantation n’avait pas encore eu lieu.
Malgré ce faisceau d’indices, on ne formula qu’il y a peu la comparaison éclairant tout l’édifice : « La plupart des formes employées, par exemple le portail double, ou le vocabulaire décoratif, trahissent l’influence du chantier tout proche de Notre-Dame du Folgoët » (Boccard 2000, p. 95). Encore le rapprochement n’est-il pas assez appuyé : l’examen conjoint des formes, contreforts, supports, bases, chapiteaux, réseaux, moulures, plinthes, sculptures, l’emploi des matériaux, l’appareillage, la modénature, le traitement iconographique, mettent en évidence des ressemblances à ce point frappantes qu’il est inutile de les détailler. Une première analyse en a déjà été faite (Sotin 2014, 1, 118-120), concluant que « le même atelier a travaillé aux deux chantiers » (ibid., p. 120).
À moins de dix kilomètres, le chantier flamboyant de la collégiale du Folgoët fut une entreprise de première importance à l’échelle régionale, qui rayonna sur toute la Basse-Bretagne, exerçant une influence artistique au moins égale à celle des cathédrales de Nantes et Quimper. Il faut étendre la comparaison au chantier étroitement apparenté du chevet de la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon : lancé sous l’évêque Jean Validire et battant son plein dans les décennies 1430-1450 (Broucke 2012), certaines formes y sont quasi-identiques, notamment les supports, chapiteaux et une partie de la sculpture architecturale. Au Folgoët, la chronologie des travaux, récemment reprécisée (Sotin 2014), atteste que les élévations méridionales où s’observent certains des traits les plus proches de ceux observables à Saint-Jean Balanant, ont pu être commencées au courant de la décennie 1420 et achevées au plus tard au tout début des années 1440 au témoignage du décor armorié, disparu mais connu par un relevé de prééminences (ibid., 1, p. 42 68). Sans risque d’erreur, l’édification de la chapelle hospitalière de Plouvien peut être considérée comme contemporaine, élevée sans doute après 1426 et au plus tard en cours d’achèvement en 1443, avec une bonne probabilité que les travaux aient été menés entièrement dans la décennie 1430. La maîtresse-vitre ayant porté les armes d’une alliance survenue en 1434, cette date marque le terminus post quem pour le vitrage.
L’homogénéité des formes, communes à tout l’édifice, confirme que le chantier fut mené d’un seul jet en un temps bref, probablement moins d’une décennie. Il faut donc réfuter l’idée « d’un rattachement après coup du massif occidental » (Candio-Lesage 2019, p. 18) où le portail serait « caractéristique des réalisations de la première moitié du XVIe siècle » (Leman 2018, p. 52), un scénario en contradiction avec les rapprochements constatés entre la sculpture au tympan et la manière des maîtres du Folgoët (Le Seac’h 2014, p. 58). Malgré quelques irrégularités dans l’élévation, provoqués peut-être par le rattrapage de niveau du terrain en pente, on constate que le porche est bien de raccord à la paroi dans l’implantation des premières assises. Reste que le traitement très inhabituel de la façade a dérouté tous les spécialistes du monument. Au contraire d’une « solution plus ingénieuse qu’heureuse [qui] constitue une faute de construction et d’esthétique » (Chaussepied 1912, p. 63), il faut y voir un « effet transgressif, presque insolent, brouillant les espaces et leurs limites, bien conforme aux goûts du gothique tardif » (Sotin 2014, p. 119). L’entrée dans l’axe de la colonnade produit en outre une impression heureuse de dilatation des espaces.
Convenablement redéfinie, la chapelle Saint-Jean Balanant, homogène, remontant intégralement au deuxième quart du XVe siècle, n’a pas tant d’intérêt pour son origine hospitalière que pour son orbite étroite de premier satellite du Folgoët et de Saint-Pol-de-Léon, prestigieuse pour un petit édifice de cette catégorie.
Ces longues considérations sur le chantier permettent de recontextualiser le décor héraldique, presque totalement disparu, mais dont on parvient à cerner l’organisation programmatique. L’intérieur était divisé en trois espaces relevant de trois seigneuries différentes, parmi les principales familles prééminencières du Folgoët, ce qui n’est évidemment pas un hasard (Sotin 2014, p. 38-67 ; Élégoët, Provost 2019, p. 56-60). Sous les armes du duc et des anciens vicomtes de Léon, les Kermavan tenaient la première place, multipliant sans partage portraits et intersignes dans les vitres jumelles du chevet, dont l’importance mérite un traitement dédié. Il faut noter ici que les écus d’hermines aux soufflets supérieurs signalent une implication évidente du duc Jean V (1399-1442) dont on ne mesure plus la teneur, mais qui a pu être assez consistante, et était certainement confirmée par un ou plusieurs reliefs héraldiques scellés à l’extérieur en façade. Sachant l’attachement du prince au Folgoët, qu’il favorisa de ses munificences et visita à plusieurs reprises, il n’aurait pas été surprenant qu’il encourageât ce tout proche sanctuaire élevé en l’honneur de son saint patron.
Ainsi qu’il a déjà été relevé (Leman 2018, p. 60-61), la chapelle au nord appartenait aux Penmarc’h, et quoiqu’elle ait disparue ainsi que le programme héraldique des extérieurs, l’ensemble vaut un examen particulier. Le bas-côté sud, qui relevait des Marc’hec seigneurs de Guicquelleau en Élestrec, mérite également un focus.
Les questions en lien à la répartition des rôles entre les commanditaires n’ont pas été convenablement posées. Considérant avec des soupirs les éclats de verre à-demi brisés au tympan des fenêtres d’axe, on s’enthousiasma à la vue des relevés colorés – même d’un talent médiocre – du peintre Bouriquen en 1614, qui restituent une image fidèle des verrières, en particulier leur riche parure héraldique. Tout naturellement, on mit en avant et on répéta à l’envi le nom des Kermavan, jusqu’à « évoquer la plupart du temps qu’ils [auraient] été à l’origine de la reconstruction de la chapelle », une idée à juste titre requestionnée (Leman, p. 66). Les armes du duc et des anciens vicomtes de Léon aux fenêtres d’axe, ainsi que le partage des espaces avec les Penmarc’h dans la chapelle nord et les Marc’hec au bas-côté sud attestent une réalité moins tranchée, à redéfinir plutôt au sein d’un climat d’émulation pacifique où la moyenne noblesse locale aurait concilié ses intérêts avec le soutien bienveillant du prince.
Il faut encore définir la place des commandeurs et de l’Ordre. La relecture des procès-verbaux de visite des XVIIe et XVIIIe siècles a pu donner l’impression qu’il fallait la réviser à la hausse, leurs prééminences paraissant « systématiquement posées en situation de premier ordre » (ibid.). Il apparaît au contraire que leurs prétentions, en particulier à la maîtresse-vitre, sont tardives et pour partie erronées voire fallacieuses. Entre 1614 et 1617, un écusson au moins a été substitué en remplacement d’une alliance de Kermavan signalée détruite en 1614. En 1727, deux écus de Bretagne en éminence furent revendiqués à tort, et d’autres écus de l’Ordre « en différents endroits » des fenêtres d’axes sont suspects, car on ne parvient pas à les restituer, ou alors en partie basse des lancettes, donc en position inférieure. On a le sentiment net que les gouverneurs ne s’affirmèrent que tardivement en profitant du relâchement de la noblesse, dont ils n’hésitèrent pas à grignoter et spolier les anciennes prééminences mal entretenues. Cela ne veut pas dire que l’Ordre n’eut pas de droits au XVe siècle, mais ceux-ci devaient être d’un caractère ambigu au sein d’un programme armorié complexe, dont la logique, intelligible lors de la construction, dut se brouiller en partie dans la suite. L’église de Runan, fondation hospitalière largement reconstruite sous Jean V, fournit une parfaite comparaison : bien que le gouverneur de La Feuillée et du Palacret en fût le fondateur, on ne relève à la maîtresse-vitre de 1423, armoriée de toutes parts, aucun écu de l’Ordre, mais ceux de la noblesse locale. Les armes du gouverneur Pierre de Keramborgne étaient scellées parmi d’autres reliefs à l’extérieur, où elles furent d’ailleurs contestées par un seigneur prééminencier. On conclue qu’il devait en être à peu près de même à Saint-Jean Balanant, où l’on dut progressivement perdre le souvenir du ou des frontons blasonnés d’un ancien gouverneur aux trois quarts oublié.
On renverra à des notices séparées l’examen des éléments armoriés subsistant dans la nef principale et le chœur, les anciennes verrières des Kermavan et les vestiges des baies géminées au chevet, la chapelle détruite des Penmarc’h ainsi que le décor héraldique disparu de la façade et du flanc nord, et enfin le bas-côté sud relevant des Marc’hec seigneurs de Guiquelleau.