L’église Notre-Dame de Pencran, édifiée dans la première moitié du XVIe siècle, conserve un intéressant ensemble de vestiges héraldiques. Les plus notables se concentrent à l’intérieur, au chœur où s’observe une belle tombe d’apparat aux armes de Rohan et Léon, ainsi qu’au bas-côté nord du chœur, dans lequel est aménagé l’enfeu des Huon de Kermadec. À l’extérieur, le chevet est la zone qui compte le plus grand nombre d’écussons, mais quatre seulement peuvent être identifiés. D’autres éléments armoriés méritent encore examen à la façade ocidentale, au porche et à la sacristie.
Pencran, église Notre-Dame, portail géminé sous le porche, culot de statue orné des armes martelées des seigneurs du Ches-du-Bois.
Le porche sud n’intègre qu’un seul écusson, sculpté sur un culot orné de feuilles de choux portant une statue du Christ au tympan des portes géminées. Bien qu’il ait été martelé, on discerne sans trop de mal les contours des trois têtes d’aigle des seigneurs du Chef-du-Bois (armoirie 1a), dont le château reconstruit au XVIIe siècle voisine à moins de trois cent mètres au nord-ouest. L’analyse des vestiges armoriés du chœur a montré que les armes des Guérault de Penhoat – Chef-du-Bois en Breton –, premiers possesseurs du fief, ont été relevées par les Kerlozrec puis furent encore d’usage aux Kerhoënt et enfin aux Kersulguen qui leur succédèrent. Le porche lui-même est bien daté par une plaque de dédicace aujourd’hui disparue mais attestée par plusieurs témoignages, qui signalait que « le 15e jour de mars l’an 1553 fut fonde ceste chapelle au no(m) de Dieu et de sa mère et de madame sai(n)cte Apoline… ». En supposant que l’ensemble ait demandé quelques années de réalisation, l’écu pourrait remonter à 1548-1553 environ. Le Chef-du-Bois était alors aux mains de Jean de Kerlozrec, qui serait décédé avant 1560, laissant d’Anne du Liscoët une fille qui porta l’héritage familial aux Kerhoënt (Croguennec 2020).
En façade, on relève quatre écussons implantés d’origine, le premier sur la console d’une statue au tympan de la porte d’entrée, le second tenu par deux lions sur une pierre scellée en hauteur au massif du clocher, et deux autres aux crossettes au pied des rampants du pignon. S’y ajoute à la chambre des cloches au sud, une pierre armoriée totalement buchée de facture plus moderne, datable vers le début du XVIIIe siècle. Les écussons au culot de la statue (armoiries 1 b) et celui en façade du clocher (armoiries 1 c) ont été martelés, mais on parvient là aussi à distinguer à leur surface – uniquement à lumière rasante pour celui au culot – les trois têtes d’aigle des seigneurs du Chef-du-Bois.
Porte occidentale surmonté d’une statue de saint-Pierre au culot porteur des armes (martelées) des seigneurs du Chef-du-Bois, Pencran, église Notre-Dame.
La chronologie du chantier révèle que le clocher et la nef ont été achevés après les parties orientales, sans rupture stylistique ni véritable interruption. La seule observation nette se rapporte à un collage des maçonneries entre les grandes arcades de la nef et la tour du clocher, qui a fait penser que les piles ont été rapportées (Meder 2018), mais il est également possible que la tour ait été insérée après coup entre les arcades, la question restant secondaire car l’ensemble a été édifié sans à-coup en respectant l’unité du projet initial. L’examen stylistique de la porte et de la baie occidentales aident à préciser la datation, en restant toutefois prudent. L’examen révèle de légères différences de mouluration avec l’enfeu de Kermadec au bas-côté nord du chœur, parfaitement daté de 1526, suggérant peut-être une légère antériorité de l’enfeu (les bases en flacon ramassé de ses colonnettes sont d’une forme qui se démoda un peu plus rapidement). La fenêtre du clocher, relevant d’une même campagne que la porte, présente un réseau identique à celui de la baie de l’ancien transept disparu, déposée en 1706 et remontée au bas-côté nord du chevet.
Enfin, le culot armorié qui soutient la statue de saint Pierre au tympan de la porte occidentale est quasi-identique à celui au-dessus des portes géminées du porche sud. On les croirait contemporains, toutefois le porche sud, qui déploie vers 1553 des formes renaissantes plus modernes – analysées en détail (Cordier 2021) –, est plus tardif et marqua l’achèvement du chantier. On en déduit que le clocher fut probablement élevé juste après l’enfeu, en même temps que le transept ou immédiatement après, en faisant peut-être intervenir l’atelier qui édifia le porche un peu plus tard : sans aller jusqu’à l’affirmation, on placerait idéalement sa construction dans la décennie 1530 ou le début de la décennie 1540. À cette époque, le seigneur du Chef-du-Bois devait déjà être Jean de Kerlozrec dont les armes sont au porche, à moins que ce ne fut encore ce « Morice de Kerlozreuc […] demeurant au maoir de Chef-du-Bois » donné en 1520 comme « provost et voyer féauldé de ladite ville [de Landerneau] » (Kernévez, Le Roy 2006, p. 310 ; Croguennec 2020).
Au pied des rampants du pignon, les crossettes figurent un écusson surmonté d’une tête. Leur sculpture, au style qualifié d’ « assez barbare » (Lécureux 1919, p. 110), a été comparée aux files de chapiteaux à têtes à la porte du clocher de l’église voisine de La Martyre, « qui paraît être du XIVe siècle » (Lécureux 1915, p. 140). Ce rapprochement a fait conclure à un réemploi provenant de l’église antérieure, une hypothèse régulièrement reprise (de Ponthaud 2013, p. 6 ; Meder 2018, p. 11) mais qui doit être déclinée : dans l’église, à l’amortissement de l’arc de la baie du clocher, deux petits personnages en pourpoint, qui ne peuvent avoir été rapportés, sont de même facture. On conclue que la réalisation de ces éléments situés en des espaces peu visibles – dans des angles, à contre-jour ou en hauteur –, ne nécessitant pas de traitement soigné, a été confiée à un sculpteur de second ordre ou apprenti.
Crossette du rampant nord du pignon occidental sculpté d’armoiries inconnues, Pencran, église Notre-Dame.
L’écusson au côté sud, absolument martelé, est indéchiffrable (armoirie 2), et il faut invalider la proposition d’y reconnaître le lion de Léon (Meder 2018, p. 11). Celui au nord, intact, montre de curieuses armoiries ornées d’une sorte de monogramme formé d’un « O » non fermé et d’un « X », à moins qu’il ne s’agisse d’une anille ou d’une figure artificielle analogue, sous un chef soutenu d’une trangle et chargé de deux fleurs de marguerite (armoirie 3). Elles ne peuvent être attribuées à aucune famille noble des parages et font songer à des armes roturières, souvent composées de monogramme, et parfois augmentées de meubles héraldiques véritables. Il faut se demander si cet emplacement peu valorisé aux rampants du pignon n’était pas réservé à des donateurs non-nobles sans autre droit de prééminence. On relève en effet des exemples analogues dans certaines églises de Basse Bretagne datant de la première moitié du XVIe siècle, par exemple au porche de l’église Notre-Dame de Croaz-Batz à Roscoff. On sait comme la répartition du décor héraldique obéissait à des règles savamment ordonnancées en fonction du rang et de la distinction des bénéficiaires, des espaces, des formes du décor, etc.
Enfin, la sacristie est scellée de deux pierres armoriées martelées l’une au-dessus de l’autre à la pointe du pignon nord. Cette partie du monument a été édifiée en 1706 dans le prolongement du chevet en réemployant une partie des matériaux du bras nord de l’ancien transept, qui devait dater du XVIe siècle et fut mis à bas à cette occasion. Quoique les deux écussons datent du début du XVIIIe siècle, celui en éminence présente un réel intérêt pour l’étude de l’héraldique monumentale médiévale. On y reconnaît sans trop de mal un mi-parti de Rohan et Chabot (armoirie 4), des armoiries qui compte-tenu du contexte, peuvent être attribuées sans erreur à Louis de Rohan-Chabot, prince de Léon et duc de Rohan (1652-1727), fils de Henri Chabot et Marguerite de Rohan, princesse de Léon et duchesse de Rohan (Anselme de Sainte-Marie 1728, 4, p. 569-570). Leur représentation est ici très inhabituelle, en un mi-parti plutôt qu’un écartelé – qui est leur forme normale –, et sur un écu en bannière dénué d’ornement, ce qui est absolument inusité au XVIIIe siècle pour un personnage de haut rang.
Pierre armoriée de forme archaïsante aux armes de Louis de Rohan-Chabot (1652-1727) et autre écusson non identifié, 1706, Pencran, église Notre-Dame.
Il s’agit là d’un archaïsme délibéré, probablement inspiré par un relief héraldique similaire qui se serait trouvé antérieurement en même place au pignon de l’ancien croisillon de transept venant d’être détruit. Peut-être s’agissait-il alors d’un mi-parti Rohan / Léon comme sur la tombe d’apparat dans le chœur ou Rohan / Bretagne aux armes de Jean II vicomte de Rohan, décédé en 1516, qui fut le contemporain de la fondation de l’église. On observe en tous cas que l’emplacement et les proportions sont analogues aux trois écussons de Bretagne, Rohan et Léon au haut du pignon du chevet. En 1706, le choix assumé de cet anachronisme permettait de réaffirmer la primauté et l’ancienneté du droit des Rohan, par-delà les époques, en différenciant visuellement leurs armes de celles des autres prééminenciers. L’écusson martelé au-dessous, sous une couronne et pris entre deux palmes – qui dans la logique serait aux Kermadec –, est sans doute contemporain.
Lécureux, Lucien, « L’église de Pencran et ses annexes », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 42, 1915, p. 139-156.
Lécureux, Lucien, « La Roche-Maurice », Congrès archéologique de France Brest-Vannes, LXXXIe session tenue à Brest et à Vannes en 1914, 81, Paris 1919, p. 123-126.
Lécureux, Lucien, « Pencran », Congrès archéologique de France Brest-Vannes, LXXXIe session tenue à Brest et à Vannes en 1914, 81, Paris 1919, p. 110-117.
Meder, Laurent, Commune de Pencran. Restauration de l’église paroissiale Notre-Dame. Avant-projet détaillé, 2018.
de Ponthaud, Marie-Suzanne, Finistère, Pencran, église Notre-Dame. Étude préalable à la restauration générale, 2013.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Pencran, église Notre-Dame (porche, clocher, sacristie). Armoirie Jean de Kerlozrec (armoirie 1a).
D'(azur) à trois têtes d’aigle d'(argent) (qui est Guérault du Chef-du-Bois).