Si la plupart des vestiges armoriés de l’église tréviale de Pencran subsistent à l’extérieur, au chevet, ainsi qu’au clocher, au porche et à la sacristie, les plus intéressants se concentrent à l’intérieur, à la charpente, mais surtout au chœur et à son bas-côté nord. Lors de la reconstruction de l’édifice, débutée vers la décennie 1500 et terminée dans les années 1520 ou 1530 à l’exception du porche aménagé vers 1553, le chantier des parties orientales semble avoir été mené en priorité. L’examen des formes, du couvrement – donné comme légèrement antérieur à celui de la nef (Le Ber 2011, p. 8, 11-13) – ainsi que l’installation d’un retable commandé en 1517, font conclure à son achèvement rapide, probablement avant 1520.
Le chœur conserve trois écussons triangulaires sculptés en bosse, sans ornement, les deux premiers encadrant la maîtresse-vitre au chevet (armoirie 1, 2a) le troisième à la clé de la seconde arcade au sud (armoirie 2b), sans compter un quatrième gravé au dernier pilier engagé du bas-côté nord. Le seul intact est celui à la gauche de la maîtresse-vitre, en relief sur un bloc de la paroi à deux mètres de haut environ, préservé du burin par le retable qui le recouvrait à-demi : on y reconnaît les trois têtes d’aigle des Guérault, seigneurs du Chef-du-Bois – ou Penhoat en Breton – (armoirie 1). Le château, reconstruit au XVIIe siècle, s’élève à moins de trois cent mètres au nord-ouest, une situation qui, jointe à l’aisance des revenus du domaine, contribue à expliquer la prééminence élevée du Chef-du-Bois dans l’église, juste après les vicomtes de Rohan.
Pencran, église Notre-Dame, écusson aux armes des seigneurs du Chef-du-Bois scellé à gauche de la maîtresse-vitre, années 1510 ou 1520.
La généalogie de ses premiers seigneurs est incomplète, mais la transmission du fief est bien connue : les Guérault tombèrent en quenouille vers la toute fin du XVe siècle ou le début du XVIe, et leur héritage parvint aux Kerlozrec (Croguennec 2020), originaires de Ploudalmézeau en l’évêché de Léon, dont une branche cadette assez opulente était attestée dès avant la Réformation de 1426 en Ploudiry, la paroisse dont dépendait la trève de Pencran (Torchet 2010, p. 101, 215 ; Croguennec 2020). Les Kerlozrec, en conservant leur patronyme, relevèrent les armes des Guérault, une pratique vérifiée dans le cas d’une union bilinéaire avec une héritière (Nassiet 1991, p. 202-206, 226-227). La situation se répéta encore à deux reprises en un demi-siècle : le fils d’Anne de Kerlozrec, dame héritière mariée à François de Kerhoënt, transmit le Chef-du-Bois à sa fille Margerite de Kerhoënt qui le passa aux Kersulguen par mariage en 1558 avec Gilles de Kersulguen, décédé en 1571 (Croguennec 2020). Il s’ensuivit une filiation héraldique bilinéaire triple, des plus détournées : les armes des Guérault, assimilées à la seigneurie Chef-du-Bois et relevées par les Kerlozrec, semblent avoir été transmises à leur tour par les Kerhoënt aux Kersulguen. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, avant de se fondre dans les Lesguern, les Kersulguen employèrent indifféremment en plus de leur propres armes, celles des Guérault et des Kerlozrec, seules, accolées ou en alliance, opérant des combinaisons déroutantes. On observe par exemple sur un calvaire de 1743 en Dirinon, commune limitrophe de Pencran, les armes d’un Kersulguen seigneur du Chef-du-bois et de son épouse née Le Fer – et non Traonélorn (Le Men 1990, p. 212) –, sous la forme d’un mi-parti de Kerlozrec et Le Fer, en alliance d’un second écu de Guérault (Castel 1980, p. 66-67). Il faut donc se montrer circonspect quant à l’attribution et la datation des armes du Chef-du-Bois.
Revenant au chœur de l’église de Pencran, l’écu à gauche de la maîtresse-vitre (armoirie 1) ne peut en l’état être distingué entre Guérault et Kerlozrec, sauf à préciser la date de l’union des deux familles. C’est du reste sans importance, les marques héraldiques dans l’espace sacré ayant toujours été comprises comme relevant d’une terre et non d’une famille en particulier qui en eut possession.
Bien qu’ils aient été bûchés, il est assez vraisemblable que l’écu en symétrie du précédent, ornant le culot à droite de la maîtresse-vitre (armoirie 2a), ainsi que celui à la clé de la deuxième arcade du chœur au sud (armoirie 2b), aient également appartenu aux seigneurs du Chef-du-Bois. Un examen attentif de la surface du second montre que les figures, aplanies, étaient isolées en champ sans être jointives des bords de l’écu, ce qui renforce la proposition.
Maîtresse-vitre actuelle posée vers la décennie 1930, Pencran, église Notre-Dame.
À la maîtresse-vitre disparue, les armes du Chef-du-Bois devaient encore s’afficher en bonne place sous les armes de Bretagne et de Rohan, également scellées à la pointe du pignon extérieur. Pour seule évocation de l’ancienne fenêtre, on ne dispose que du maigre témoignage d’un procès-verbal de prise de possession du manoir de Kermadec en 1663, qui à l’article des prééminences, signale dans « la maitraisse vistre un escusson à l’un des soufflets du costé de l’evangille » attribuable à la famille éponyme de Kermadec (armoirie 3) (Quimper, AD du Finistère, 61 J 5, acte de prise de possession de Kermadec par Sébastien de Moucheron, 1663). Cette mention confirme le statut plus modeste des Kermadec, en seconds prééminenciers, présents uniquement au côté de l’Évangile, au nord. On note en passant que la verrière actuelle, datant des années 1930, intègre aux lancettes un décor de cinq écus aux armes des différentes familles ayant possédé le Chef-du-Bois, de gauche à droite Guérault, Kerlozrec, Kersulguen, Lesguern et Le Gentil.
Enfin, le vestige héraldique le plus remarquable du chœur est une tombe d’apparat aux armes de Rohan et Léon installée dans l’axe devant l’autel, redécouverte en 1982 et dégagée en 2019 lors de la restauration de l’édifice, en cours à l’automne 2021. Cette tombe, excellemment préservée et appartenant à une typologie rare, mérite un traitement particulier. Il est à supposer que d’autres tombes armoriées occupaient le dallage, mais elles ont pratiquement disparu. On ne relève dans le dallage au bas du chœur qu‘une seule autre plate-tombe armoriée, où se distingue à grand peine la forme estompée d’un écu martelé (armoirie 4), sans aucune piste d’identification ou de datation.
L’enfeu et la tombe armoriés des seigneurs de Kermadec dans leur chapelle du bas-côté nord sont examinés au sein d’une notice séparée.
Auteur : Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Pencran, église Notre-Dame (chœur), https://armma.saprat.fr/monument/pencran-eglise-notre-dame-choeur/, consulté
le 09/10/2024.
Bibliographie sources
Quimper, AD du Finistère, 61 J 5, acte de prise de possession de la seigneurie de Kermadec en Pencran par Sébastien de Moucheron, 20-22 novembre 1663.
Bibliographie études
Castel, Yves-Pascal, Atlas des croix et calvaires du Finistère, Quimper 1980.
Le Gentil de Rosmorduc, Georges, La noblesse de Bretagne devant la Chambre de la Réformation 1668-1671, 4, 1896, p. 207-218, transcription sur www.Tudchentil, URL : https://www.tudchentil.org/spip.php?article590 (cons. le 10 août 2021).
Le Guennec, Louis, Le Finistère monumental, 2, Brest et sa région, Quimper 1981.
Le Men, Annie, « Armorial de la commune de Dirinon », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 119, 1990, p. 207-222.
Meder, Laurent, Commune de Pencran. Restauration de l’église paroissiale Notre-Dame. Avant-projet détaillé, 2018.
Nassiet, Michel, « Signes de parenté, signes de seigneurie : un système idéologique (XVe-XVIe siècle), Mémoires de la Société d’Histoire et d’archéologie de Bretagne, 68, 1991, p. 175-232.
Torchet, Hervé, Réformation des fouages de 1426. Diocèse ou évêché de Léon, Paris 2010.