Paris, Hôtel d’Artois et de Bourgogne (tour Jean sans Peur)
Seul vestige de l’ancien hôtel médiéval, la tour dite « Jean sans Peur » fut édifiée par le second duc de Bourgogne entre le 9 février 1409 et le 15 mai 1411 (Viré, Lavoye 2008, p. 191-192), dans le cadre d’un vaste chantier d’embellissement de sa résidence parisienne, fondée par les comtes d’Artois à la fin du XIIIe siècle. Dégagée en 1868 par la démolition des édifices la longeant sur le côté sud pour permettre l’ouverture de l’actuelle rue Etienne Marcel et classée Monument historique en 1884, la tour fut restaurée en 1893 et, plus récemment, en 1991-1992. Propriété de la mairie du XIIe arrondissement, l’édifice est ouvert au public depuis 1999 et, depuis 2003, est lieu d’expositions consacrées au Moyen Âge (voir ici).
La tour, haute de 27 mètres, longeait le corps d’hôtel que Jean avait fait construire au même temps au nord, dont il ne reste qu’un mur de refend. Elle abrite un escalier à vis qui desservait les pièces de ce logis et donnait en outre accès à deux salles placées dans la partie supérieure de l’édifice. Si la tradition voit dans la construction de ce curieux édifice la volonté du commanditaire de disposer d’un ultime abri en cas de menace à la suite de l’assassinat du duc d’Orléans de 1407 (Perrault-Dabot 1902, p. 326), cette tour se présente en réalité plutôt comme un lieu de pouvoir, reflex de la personnalité et des ambitions du duc. Les armoiries et les emblèmes de Jean sans Peur marquent les points les plus importants de cette structure (portes et voûtes).
Porte aux devises de Jean sans Peur (niveau et rabot). Paris, tour Jean sans Peur, porte d’accès au premier étage.
Si l’accès principale à la tour, placé sur le côté est et s’ouvrant sur la cour ouverte aux pieds du corps d’hôtel, demeure anonyme, une deuxième porte donnant accès, au niveau du premier étage, au rempart de Philippe Auguste est en revanche timbrée par les devises du commanditaire (Hericourt 1863, p. 4 ; Plaigneux 1988, p. 15 ; Mérindol 2013, p. 115). Dans le tympan sont en effet sculptés le niveau, que Jean de Bourgogne utilise en 1410-1411 (base Devise) et le rabot, qu’il emploie entre 1405 et 1419. Cette dernière devise, symbole du bon gouvernement et adoptée en réponse au bâton noueux de Louis d’Orléans, fut omniprésente dans l’emblématique du duc et fut largement distribuée comme livrée du duc sous de différentes formes (base Devise). Image du programme politique du duc de Bourgogne, ces reliefs n’étaient visibles qu’à un public restreint et sélectionné qui pouvait avoir accès au cheminement réalisé sur les remparts.
Au deuxième étage s’ouvrait une grande salle voûtée totalement défigurée par la dernière restauration qui a porté à la démolition arbitraire des murs qui la délimitaient sur trois de ses fasces (Viré, Lavoye 2008, p. 188 ; une image de la tour avant les travaux de restauration est offerte par les relevés de Charles Gustave Huillard : Paris, Musée Carnavalet inv. D.9004). La voûte de cette pièce, haute de 9 mètres, repose sur quatre culots sculptés portant les armes du duc, probablement réalisés par le sculpteur Claus de Werve (Viré, Lavoye 2008, p. 193) (armoiries 1a-d).
Claus de Werve ( ?), culot aux armes de Jean sans Peur. Paris, Tour Jean sans Peur, salle au deuxième étage.
Ils ont été dégagés au cours des travaux de restauration réalisés en 1877, comme permet de l’affirmer l’inscription apposée par Charles Gustave Huillard à une de ses planches reproduisant la tour et ses décors (Paris, Musée Carnavalet inv. D.9011). Les écus armoriés, partiellement endommagés à cause des transformations subies par l’édifice, sont soutenus par deux personnages, dont seulement quelque fragment est conservé. Les deux consoles insérées sur le côté est sont les mieux préservées : dans l’une, l’écu armorié est tenu par un jeune et un homme portant un chapeau (armoirie 1a) ; dans l’autre, nous pouvons encore voir le vieillard barbu qui, posant sa main droite sur le premier quartier de l’armoirie, adresse son regard vers le ciel (armoirie 1b). Orientés vers l’extérieur de l’édifice, ces éléments héraldiques étaient pensés pour être vus par les personnes qui se trouvaient dans les cours s’ouvrant aux pieds du logis, manifestant ainsi la fonction de la tour comme lieu du pouvoir princier.
L’escalier se termine par une voûte aussi somptueuse que célèbre, dont l’exécution a été attribuée au même Claus de Werve (Viré, Lavoye 2008, p. 192). Elle présente un programme sculpté assez complexe inspiré à l’emblématique du commanditaire et de ses proches. Les trois essences qui, s’entrelaçant, forment ce ciel végétal renvoient à Philippe le Hardi (le chêne rappelant l’Ordre de l’Arbre qu’il avait créé en 1403 : base Devise), à Jean sans Peur (le houblon : base Devise) et à Marguerite de Male, sa femme (l’aubépine : base Devise) (Viré, Lavoye 2008, p. 188). C’est sous cette image du prince et de sa famille qui s’ouvre la porte donnant accès, par le biais d’un petit escalier à vis, aux deux derniers étages de la tour dans lesquels se trouvent deux pièces douées de tous les conforts de l’époque (cheminées et latrines) : de ce lieu, utilisé comme espace de réunion ou d’étude (Viré, Lavoye 2008, p. 188), Jean sans Peur pouvait observer du haut de sa tour sa propriété et la ville de Paris, comme un seigneur dans son « studiolo » (Liebenwein 2005).
Voûte aux devises de Jean sans Peur, Philippe le Hardi et Marguerite de Male. Paris, tour Jean sans Peur, voûte de la cage d’escalier.
Le sol de certaines pièces de la tour participait probablement à la mise en signe de ce lieu du pouvoir. Il devait être en effet couvert par un carrelage, dont on conserve quinze carreaux, datés soit de l’époque de construction de l’édifice soit de 1461 quand la structure, peu utilisée depuis la mort de Jean de Bourgogne en 1419, fit l’objet d’importants travaux de décoration (Norton 1992, p. 110-111). Conservés au Musée Carnavalet de Paris (AC 1250-1253 : ibid.) et au Musée de Sèvres (inv. 7316), ils ont été probablement découverts en 1877 au cours des travaux effectués aux abord de la tour en 1877 comme semble le prouver une planche réalisée par Charles Gustave Huillard conservée au Musée Carnavalet (inv. D.9011). Les carreaux présentent un décor incrusté ou à engobe rouge dans lequel se mélangent de différents motifs : des rinceaux végétaux, un personnage avec un cor (il faisait partie d’une scène de chasse ?) et des éléments empruntés à l’iconographie héraldique. Deux carreaux portent en effet des fleurs de lys (Paris, Musée Carnavalet inv. AC1253) : il s’agit pourtant d’une présence assez commune sur ce type de support depuis le XIIIe siècle et non nécessairement chargée d’une valeur emblématique.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Paris, Hôtel d’Artois et de Bourgogne (tour Jean sans Peur), https://armma.saprat.fr/monument/paris-hotel-dartois-et-de-bourgogne-tour-jean-sans-peur/, consulté
le 09/10/2024.
Bibliographie sources
Paris, Musée Carnavalet inv. D.9004, D.9011.
Bibliographie études
Héricourt Achmet d’, « Hôtel d’Artois à Paris », Arras 1863 (Statistique monumentale du département du Pas-de-Calais, 2, 10, 1860-70).
Liebenwein Wolfgang, Studiolo : storia e tipologia di uno spazio culturale, Modène 2005.
Mérindol Christian de, Images du royaume de France au Moyen Âge. Décors monumentaux peints et armoriés, art et histoire, Pont-Saint-Esprit 2013.
Norton Cristopher, Carreaux de pavement du Moyen Âge et de la Renaissance : collections du Musée Carnavalet, Paris 1992.
Perrault-Dabot Anatole, « Historique de l’hôtel d’Artois devenu hôtel de Bourgogne e son dernier débris la tour de Jans-Sans-Peur », L’ami des monuments et des arts, 16, 92-93, 1902, p. 325-329.
Plagnieux Philippe, « La tour Jean Sans Peur. Une épave de la résidence parisienne des ducs de Bourgogne », Histoire de l’Art, 1988, 1-2, p. 11-20.
Viré Marc, Agnès Lavoye, « Matériaux et phases de construction : l’étude d’une partie de l’hôtel d’Artois à Paris », dans F. Blary, J.-P. Gély et J. Lorenz (dir.), Pierres du patrimoine européen : économie de la pierre de l’antiquité à la fin des temps modernes, actes du colloque (Château-Thierry 2005), Paris 2008, p. 185-193.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Hôtel d’Artois et de Bourgogne (tour Jean sans Peur), Paris. Armoirie Jean sans Peur (armoirie 1a)
Écartelé, au 1 et 4 d'(azur) semé de fleurs de lys d'(or) à la bordure componée d'(argent) et de (gueules) (Touraine), au 2 et 3 bandé d'(or) et d'(azur), à la bordure de (gueules) (Bourgogne) sur le tout d'(or), au lion de (sable), armé et lampassé de (gueules) (Flandre).
Tenants : deux hommes.
Attribution : Bourgogne Jean Ier de (Jean sans Peur)
Hôtel d’Artois et de Bourgogne (tour Jean sans Peur), Paris. Armoirie Jean sans Peur (armoirie 1b)
Écartelé, au 1 et 4 d'(azur) semé de fleurs de lys d'(or) à la bordure componée d'(argent) et de (gueules) (Touraine), au 2 et 3 bandé d'(or) et d'(azur), à la bordure de (gueules) (Bourgogne) sur le tout d'(or), au lion de (sable), armé et lampassé de (gueules) (Flandre).
Tenants : deux hommes.
Attribution : Bourgogne Jean Ier de (Jean sans Peur)
Hôtel d’Artois et de Bourgogne (tour Jean sans Peur), Paris. Armoirie Jean sans Peur (armoirie 1c)
Écartelé, au 1 et 4 d'(azur semé de fleurs de lys d’or) à la bordure componée d'(argent) et de (gueules) (Touraine), au 2 (et 3) bandé d'(or) et d'(azur), à la bordure de (gueules) (Bourgogne) sur le tout d'(or, au lion de sable, armé et lampassé de gueules) (Flandre).
Tenants : ?
Attribution : Armoirie bûchée ; Bourgogne Jean Ier de (Jean sans Peur)
Hôtel d’Artois et de Bourgogne (tour Jean sans Peur), Paris. Armoirie Jean sans Peur (armoirie 1d)
Écartelé, au 1 et 4 d'(azur) semé de fleurs de lys d'(or) à la bordure componée d'(argent) et de (gueules) (Touraine), au (2) et 3 bandé d'(or) et d'(azur), à la bordure de (gueules) (Bourgogne) sur le tout d'(or), au lion de (sable, armé et lampassé de gueules) (Flandre).
Tenants : deux hommes ?
Attribution : Bourgogne Jean Ier de (Jean sans Peur)