Ce mas fortifié est le siège de la petite baronnie de Caravète, acquise par achat en 1274 par la ville de Montpellier et voisine du bois de Valène, également possédé depuis 1215-1216 par les consuls montpelliérains (Baumel 1971, p. 142-143). Étant ces terres gérées depuis le mas de Caravète, c’est sur un banc disposé devant l’entrée du mas (Thomas 1930, p. 99) que le juge des consuls exerçait la basse justice pour ces lieux. Peu d’éléments subsistent encore de l’ancienne structure fortifié de Caravète, dont les vestiges sont aujourd’hui occupés ou remployés par quelques habitations modernes. Sur le côté sud, une porte médiévale ouvre sur une cour intérieure (propriété privée). Des habitations modernes constituent les côtés nord et ouest qui ferment la cour, tandis que le côté sud-est n’est composé que d’une simple courtine. Quelques autres traces, comme une archère dans le mur sud-est, bien visible sur le côté extérieur, protégeant un accès aujourd’hui muré mais dont le tracé est encore reconnaissable, révèlent l’ancienne fonction défensive de l’édifice.
Vierge à l’Enfant et écusson aux armes de Montpellier. Murles, Mas de Caravète, porte d’entrée.
L’extérieur du mas est émaillé d’éléments héraldiques. Un premier écu armorié, en bannière et présentant un besant ou tourteau en son centre (armoirie 1a) se trouve sur l’entrée principale, placé en hauteur pour être visible de loin et marquer ainsi l’entrée de la fortification, comme il était courant à l’époque médiévale pour marquer les accès aux villes et aux structures fortifiées. L’écu armorié est positionné au pied d’une image de la Vierge à l’Enfant, assise sur un trône qui prend les allures d’une véritable architecture gothique, accompagnée d’un côté et d’autre des lettres A et M, initiales de Ave Maria. Par son style et par la forme des lettres qui le complètent, le relief semble dater du XVe siècle. Une deuxième inscription, bien plus étendue mais aujourd’hui presque totalement disparue, se trouvait en bas de cette image pieuse. Les quelques lettres conservées, en capitale majuscule, ne suffisent pas hélas à en reconstruire le teneur et nous ne pouvons pas exclure qu’elle ait été rajoutée dans un deuxième temps.
Murles, Mas de Caravète, archère aux armes de Montpellier.
Une deuxième armoirie identique à celle figurée sur la porte du mas est sculptée sur le piédroit de l’archère que nous avons déjà mentionnée plus haut (armoirie 1b) – par sa taille en biais, la pierre sur laquelle est gravée l’armorie est visiblement à son emplacement d’origine – et une troisième se trouve dans la cour de l’ancien mas, côté nord, sur une pierre sans doute retaillée et portant dans la partie supérieure des traces de lettres désormais illisibles (armoirie 1c). Il s’agit possiblement d’une borne armoriée qui aurait pu être initialement placée hors de l’enceinte (telle la borne visible à l’entrée du mas) avant d’être déplacée à l’endroit actuel à une époque plus tardive.
Murles, Mas de Caravète, borne remployée aux armes de Montpellier.
Dans les trois écussons sculptés sur le mas de Caravète nous pouvons reconnaître facilement les armes de Montpellier, comme nous les retrouvons dans le Liber instrumentorum memorialium (Montpellier, Archives de la ville, AA1, fol. 10v), réalisées avec soin par Guilhem Blatnou à la demande des consuls en 1443. En effet, si les armes actuelles de la ville de Montpellier se composent d’un écu d’argent au tourteau de gueules placé aux pieds d’une Vierge à l’Enfant cantonnée des lettres A et M, à l’instar de la composition figurée sur la porte d’entrée du mas, il semble plus vraisemblable que celle-ci constituait une simple représentation religieuse signifiant la protection assurée par Marie à la ville de Montpellier et, par son emplacement, à tous ceux qui entraient dans la structure fortifiée, à l’instar des nombreuses images sacrées, souvent accompagnées d’armoiries institutionnelles, qui figurent sur les portes urbaines.
Il est d’ailleurs plausible qu’au Moyen Âge les armes de Montpellier étaient constituées seulement d’un tourteau sur un champ d’argent. La Vierge à l’Enfant, cantonné des lettres A et M est certes un motif de l’iconographie emblématique montpellieraine, que l’on retrouve sur les grands sceaux des consuls, comme celui de 1254 (Montpellier, archives de la Ville, Louvet 4290) mais au principe elle ne semble chargée d’aucune dimension héraldique et surtout aucune armorie l’accompagne dans les manifestations iconographiques des pouvoirs urbains. Au contraire, le Liber instrumentorum memorialium et des sceaux plus récents, comme celui de 1506 (Douet d’Arcq 1867, num. 5648 : Sigilla) montrent que les armes d’argent au tourteau de gueules (sans la Vierge) sont les armes utilisées de façon officielle au XVe et XVIe siècle par les magistrats montpelliérains. Ainsi, les écus armoriés apposés sur le mas de Caravète témoigneraient des armes primitives de Montpellier, associées seulement dans une époque bien plus tardive à la figure de la Vierge à l’Enfant, comme le prouve aussi la présence du seul écu au tourteau sur la borne située devant l’entrée du mas.
L’apposition insistée des armories de Montpellier à Caravète découle certainement du souci constant des consuls de la ville de faire prévaloir leur droit sur ce qu’ils considèrent être une tenure noble, comme le prouve, par exemple, le droit de porter les armes lors de leur voyage et séjour à Caravète qui leur est reconnu en 1293 par Philippe le Bel (Thomas 1930, p. 99). Il s’agit d’une reconnaissance purement féodale, faite par le seigneur et non pas par l’autorité monarchique. En effet, la ville de Montpellier appartient alors au roi de Majorque, mais Philippe le bel en est le seigneur après l’achat en 1293 des droits seigneuriaux de l’évêque de Maguelone sur Montpellier (Baumel 1971, p. 172-173). D’autre part le marquage héraldique n’est qu’une des solutions adoptées pour souligner la tenure noble de la baronnie tenue par la ville, qui sera finalement reconnue en 1464, lorsque Louis XI annulera la saisie de Caravète faite par ses agents pour non-paiement par Montpellier du franc-fief (ibid., p. 195). L’usage de l’héraldique, dans le mas tout comme dans le territoire environnant, est associé par l’exercice du droit de justice que les consuls sont soucieux de faire prévaloir face notamment aux revendications de l’évêque de Maguelone, qui possède le droit de haute justice sur ce lieu en tant que comte de Melgueil et de Montferrand, comme l’attestent les batailles que les magistrats montpelliérains entament pour défendre leur droit de basse justice et la prérogative (qui en découle) de dresser un pilori devant le mas.
Auteur : Antoine Altieri
Pour citer cet article
Antoine Altieri, Murles, Mas de Caravète, https://armma.saprat.fr/monument/murles-mas-de-caravete/, consulté
le 10/11/2024.
Baumel Jean, Histoire d‘une seigneurie du Midi de la France : Montpellier, t. 2, Montpellier 1971.
Thomas Louis, « La baronnie de Caravète », dans Monspeliensia : mémoires et documents relatifs à Montpellier et à la région montpelliéraine, 1, 2, 1930, p. 87-157.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Murles, Mas de Caravète. Armoirie ville de Montpellier (armoirie 1a)
D'(argent) à un tourteau de (gueules).
Attribution : Ville de Montpellier
Position : Extérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Mur d'enceinte
Emplacement précis : Porte d'entrée
Support armorié : Pierre sculptée
Structure actuelle de conservation : In situ
Technique : Sculpture en pierre
Période : 1401-1425 ; 1426-1450 ; 1451-1475 ; 1476-1500