Des deux tours encadrant le portail de la collégiale Notre-Dame d’Espérance, seule la tour nord fit l’objet d’une élévation. Constituée de six étages séparés par des larmiers, elle fut commencée sous le principat du duc Charles Ier de Bourbon et achevée par ses fils et successeurs, les ducs Jean II de Bourbon (jusqu’au cinquième niveau) et Pierre II de Bourbon (sixième niveau). Et c’est justement dans ces parties ajoutées qu’un programme héraldique raffiné fut déployé.
Au cinquième étage, chaque façade exhibe un couple d’armoiries, sculpté sur les clés d’arcs des baies. Si la cohérence stylistique de ces écus avec le modèle médiéval est discutable et que l’étude de la maçonnerie atteste avec certitude des remaniements (Monnet, Guibaud, Mermet 2008), la précision de leur contenu héraldique laisse en revanche supposer que la restauration, malheureusement pas documentée, fut relativement fidèle au modèle originel dont l’abbé Renon donne une description, presque toujours fiable, dans son étude monographique sur la collégiale (Renon 1847, p. 165).
Ecussons de Jean II de Bourbon et de Catherine d’Armagnac (restaurés). Montbrison, collégiale Notre-Dame d’Espérance, clocher, face sud (photo : A. Robin).
Ainsi, la face sud arbore les armes de Jean II († 1488) (armoirie 15a) et de sa seconde épouse, Catherine d’Armagnac († 1487) (armoirie 16) tandis que la façade est présente de nouveau les armes du duc (armoirie 15b) et celles de son frère, le cardinal Charles de Bourbon († 1488) (armoirie 17). Ce dernier écu illustre la participation de cet important mécène au financement de l’ouvrage ainsi que son soutien au renforcement de la politique sacrale élaborée par son frère. Le cardinal de Bourbon avait en effet déjà fait réaliser plusieurs décors à ses armes dans une autre collégiale majeure de la principauté, à Notre-Dame de l’Annonciation de Moulins, où ses armoiries se voyaient sur un vitrail ainsi que sur un calvaire sculpté.
Il est à noter que les armoiries, grossièrement restaurées, transgressent les codes héraldiques médiévaux : les éléments parahéraldiques – la croix de procession et le chapeau cardinalice – ne sont en effet pas apposés à l’extérieur de l’écu, comme on s’y attendrait, mais sont intégrés directement dans l’armoirie, dans une composition très géométrique qui semble en désaccord avec le style héraldique de la fin du XVe siècle. La forme originale de cette armoirie nous reste malheureusement inconnue. Même la description fournie par l’abbé Renon, précédant vraisemblablement la restauration, n’est en effet pas fiable. D’après Renon celui-ci avait « pour cimier le chapeau de cardinal sur une croix pontificale ; pour support, ce sont deux bras sortant de l’écu, ils ont des manipules et tiennent une épée flamboyante. Sous l’écusson, la pointe de la croix est portée par un lion et un griffon, qui présentent chacun un petit blazon marqué du mot Christus. Le tout est dominé par cette devise : N’espoir, ne peur » (ibid., p. 165).
Ecussons aux armes de Jean II de Bourbon et de Charles de Bourbon (restaurés). Montbrison, collégiale Notre-Dame d’Espérance, clocher, face est (photo : A. Robin).
Non seulement l’abbé semble avoir repris ici, presque mot pour mot, la description des armes du cardinal donnée par le chanoine La Mure dans son Histoire des ducs de Bourbon, elle-même basée sur la composition héraldique visible à la dernière page d’un missel réalisé pour le cardinal (Montbrison, Archives municipales, Livres anciens, p. 717), mais il semble peu probable qu’une composition d’une telle complexité et d’une telle densité de détails ait pu être sculptée sur une simple clé d’arc (Monnet, Guibaud, Mermet 2008), d’autant plus que tous ces éléments auraient dû être sculptés en ronde-bosse et auraient apparu comme accrochés à l’écu et suspendus dans le vide. Malgré l’étrangeté de la composition, il est donc tout à fait possible que les éléments parahéraldiques aient déjà été sculptés à l’intérieur de l’écu avant même la restauration de celui-ci.
La face ouest du clocher montre à nouveau les armoiries du duc Jean II (armoirie 15c), accompagnées d’un écu mi-parti de Bourbon, dont la partie senestre a été presque totalement mutilée (armoirie 18). Seuls des fragments d’une fleur de lis y sont encore lisibles dans la partie supérieure. Si l’abbé Renon décrivait autrefois la présence de deux écus de Bourbon sur cette face du clocher (Renon 1847, p. 166), les notes du chanoine La Mure, plus anciennes et précédant vraisemblablement la destruction partielle de l’armoirie, permettent d’attribuer cet écu mi-parti à Jeanne de Bourbon-Vendôme († 1511) (Durand, Huguet 1887, p. 233-234). Les armoiries de cette duchesse, troisième épouse de Jean II, étaient mi-parties de Bourbon et de Bourbon-Vendôme, une composition qu’il serait en effet aisé de confondre avec un plein écu ducal, en particulier au vu de la hauteur du décor, expliquant ainsi l’erreur d’identification de l’abbé Renon. Ce couple d’armoiries peut être ainsi daté avec précision entre 1487, date du mariage entre Jeanne de Bourbon-Vendôme et Jean II, et 1488, date du décès de ce dernier.
Ecussons aux armes de Jean II de Bourbon et Jeanne de France (restaurés). Montbrison, collégiale Notre-Dame d’Espérance, clocher, face sud (photo : A. Robin).
Sur la façade nord, les armoiries du duc Jean II (armoirie 15d) accompagnaient celles au dauphin des anciens comtes de Forez (armoirie 14a). Alors que tous les autres écus représentaient des membres de la famille ducale, la composition de cette façade, stratégiquement orientée en direction de l’intérieur de la cité, témoigne de la volonté renouvelée du duc Jean II d’assoir sa légitimité dans le comté. Comme sur la porte de la Madeleine, le prince s’assurait de signaler au regard de tous la légitimité de sa présence en Forez en s’associant aux armoiries des anciens maitres de la région, dont il descendait lui-même par son ancêtre Anne-Dauphine. Par sa relation avec la collégiale et par sa position dominante sur la ville, la tour du clocher offrait ainsi un support privilégié pour l’exposition de ce type de décor d’alliance. D’autres clochers aux armes sont d’ailleurs documentés dans le reste de la principauté bourbonnaise : le clocher de l’église Saint-Samson à Clermont-en-Beauvaisis, le clocher d’Ardes-sur-Couze, en Auvergne, ou la tour du Jacquemart, à Moulins, exhibaient tous les armoiries ducales, parfois associées à d’autres armoiries représentatives du pouvoir local (aux armes de la ville à Moulins, par exemple). De nombreux éléments ornementaux scutiformes parsèment également le contour des baies de cet étage du clocher. Bien que ni les vestiges ni les sources ne le confirme, il n’est pas à exclure que ces éléments aient également été armoriés par le passé. Par ailleurs, une miniature de l’armorial Revel représentant la ville de Montbrison témoigne également qu’une girouette héraldique au dauphin des armes des comtes de Forez était déjà installée sur la sommité du clocher provisoire en bois qui avait été érigé, sans doute, avant la construction des deux tours de la façade de l’église (Paris, BnF, ms. Fr. 22297, p. 437).
Ecussons aux armes de Jean II de Bourbon et des comtes de Forez (restaurés). Montbrison, collégiale Notre-Dame d’Espérance, clocher, face nord (photo : A. Robin).
Au sixième et dernier niveau du clocher, sur la face sud, seul un écusson armorié est encore pleinement lisible. Souvent identifié à tort comme un écu aux armes du roi, un examen attentif révèle qu’il s’agit plutôt des armes de la duchesse Anne de France († 1522), reconnaissables par l’amorce de la bande de Bourbon qui se distingue encore au premier parti (armoirie 13b). Trois autres écus armoriés l’accompagnaient, aujourd’hui totalement illisibles car abimés par les agents atmosphériques (armoiries 14b-c, 19a). D’après Renon, les armes ducales – qui devaient donc identifier Pierre II († 1503) – étaient autrefois visibles sur la face nord (armoirie 19a), tandis que celles des comtes de Forez étaient figurées sur les faces est et ouest (armoiries 14b-c). Pierre II et Anne de France, qui financèrent l’achèvement du clocher après la mort du duc Jean II (La Mure 1868, p. 432), reprirent ainsi la stratégie d’association de leurs prédécesseurs en unissant sur ce dernier étage leurs armoiries à celles du lignage forézien, dont ils étaient désormais chefs de noms et d’armes. Après la mort de Pierre II, la duchesse Anne de France perpétua cette pratique au sein de la collégiale, dans la chapelle de Claude de Saint-Marcel, où figurait autrefois un vitrail montrant ses armes associées, à nouveau, à celles des comtes de Forez.
Un autre écusson portant la lettre G accompagnée de trois larmes aurait été sculpté sur le contrefort sud-ouest du clocher. Aujourd’hui disparu, il fut attribué par Vincent Durand à Etienne Gon, dix-huitième doyen de la collégiale, qui participa à l’achèvement de la tour à la fin du XVe siècle (armoirie 20) (Thiollier 1889, p. 308 ; Huguet 1894, p. 43).
La mise en signe héraldique du clocher nord touchait également ses cloches. Des dix cloches qui auraient existé avant la Révolution, seule celle appelée Sauveterre, vraisemblablement commandée en 1502 par le chapitre (Guibaud 2015), a conservé son état d’origine. Elle est gravée de plusieurs inscriptions, de douze plaquettes historiées et porte en deux exemplaires les armoiries de Pierre II de Bourbon, timbrées d’une couronne ducale (La Mure 1868, p. 461 ; Guibaud 2015) (armoiries 19b-c). Un monogramme IHS entrelacé, inscrit dans une croix grecque se terminant par des fleurs de lis, est également gravé dans l’axe des armoiries (ibid.).
Auteur : Antoine Robin
Pour citer cet article
Antoine Robin, Montbrison, collégiale Notre-Dame d’Espérance (clocher), https://armma.saprat.fr/monument/montbrison-collegiale-notre-dame-desperance-clocher-2/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
Brassart Gabriel, « Le vieux clocher » de Notre-Dame d’Espérance à Montbrison, Montbrison, 1926.
Durand Vincent, Huguet Adrien, « Peintures murales découvertes dans l’église de Notre-Dame de Montbrison. Notes sur cette église tirées des papiers de la Mure », Bulletin de la Diana, 4, 1887, 227-241.
Guibaud Caroline, Monnet Thierry, Mermet Vincent, « Collégiale Notre-Dame d’Espérance », Dossier en ligne de l’Inventaire général du patrimoine culturel, Région Rhône-Alpes, 2008.
La Mure Jean-Marie de, Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, en forme d’annales, sur preuves authentiques, tome II, Paris 1868.
Renon François, Chronique de Notre-Dame d’Espérance de Montbrison, ou étude historique et archéologique sur cette église, depuis son origine (1212) jusqu’à nos jours, Roanne 1847.
Montbrison, collégiale Notre-Dame d’Espérance (clocher). Armoirie Anne de France (armoirie 13b)
Mi-parti : au 1, d’(azur) à trois fleurs de lis d’(or), au bâton de (gueules) en bande brochant (Bourbon) ; au 2, d’(azur) à trois fleurs de lis d’(or) (France).
Mi-parti : au 1, d’(azur) à trois fleurs de lis d’(or), au bâton de (gueules) en bande brochant (Bourbon) ; au 2, écartelé : aux 1 et 4, d´(argent) au lion de (gueules) (Armagnac), aux 2 et 3, de (gueules) au léopard ? d´(or) armé et lampassé d´(azur) (Guyenne).
Attribution : Armagnac Catherine de ; Armoirie restaurée
Mi-parti : au 1, d’(azur) à trois fleurs de lis d’(or), au bâton de (gueules) en bande brochant (Bourbon) ; au 2, (d’azur à trois) fleurs de lis d’(or au bâton de gueules chargé de trois lions d’argent en bande brochant) (Bourbon-Vendôme).
Attribution : Bourbon-Vendôme Jeanne de ; Armoirie restaurée