La chapelle Notre-Dame du Bon Secours est implantée aux limites de la commune de Landunvez, sur le village de Kersaint. Elle s’élève en un cadre paisible, en surplomb d’un vallon verdoyant au débouché de la rivière de Kersaint, juste avant qu’elle ne rejoigne l’Atlantique en la baie de Portsall. À quelques centaines de mètres se dressent les ruines romantiques de la forteresse médiévale de Trémazan, siège d’une puissante baronnie tenue par la famille du Chastel.
Landunvez, chapelle de Kersaint, vue générale depuis le nord.
L’histoire du monument et le contexte de son édification sont assez bien connus. Le 10 mars 1519, Tanguy III du Chastel, assez âgé et « mal disposé de sa personne, sain toutefois d’entendement […] considérant le bon propos que, par cy devant, a eu et encore a au bien et à l’augmentation du service divin dans l’église de Kersent près Le Chastel », érigea le monument en collégiale desservie par six chanoines. Sa veuve Marie du Juch fit confirmer la fondation « le 28 mai 1523 par Hamon Barbier, grand vicaire, agissant au nom de l’évêque de Léon » (Peyron, Abgrall 1918, p. 42 ; Appéré 1936, p. 12-13). Tanguy III du Chastel est connu pour son mécénat soutenu, ayant déjà fondé le couvent Notre-Dame des Anges en Landéda en 1507, avec sa seconde épouse Marie du Juch (Mauguin 2018, p. 4).
Une nouvelle église fut construite à l’emplacement d’une chapelle antérieure dont on ignore à peu près tout, mais qui bénéficiait déjà des libéralités des Du Chastel vers le troisième quart du XVe siècle (Peyron, Abgrall 1918, p. 42-43). Le chantier fut certainement mené avec célérité, ainsi qu’en témoigne le parti unitaire. Mesurant trente-cinq à quarante mètres d’ouest en est, elle est d’une construction simple mais soignée. Elle comprend une nef unique pourvue d’une grande chapelle au nord, faisant faux transept, et terminée par un chevet à trois pans peu développé, le tout sous une couverture lambrissée. La lumière entre abondamment par trois fenêtres au chevet, une grande baie au pignon nord, et cinq autres dans la nef, deux au nord et trois au sud. Une vaste sacristie et son logement accrochés au sud du chœur, la présence de deux foyers de cheminée, de vases acoustiques, ainsi qu’un aménagement original des circulations attestent d’une réelle qualité de construction, que l’austérité des formes ne fait pas immédiatement remarquer. Les écussons de la charpente armoriée suggèrent que la construction aurait été entreprise du vivant de Louise du Pont, première épouse de Tanguy III, en 1495, et achevée après son remariage avec Marie du Juch en 1501.
Landunvez, chapelle de Kersaint, vue intérieure depuis le bas de la nef.
L’édifice reçut une importante parure héraldique qui déployait exclusivement les armoiries de ses fondateurs et leurs alliances, ainsi que l’apprend une mention de prééminences contenue dans un aveu de 1684 : « dans l’esglize collegialle de Quersent les seigneurs du Chastel sont seuls préminanciers comme fondateurs dudit collège de sept canonicats… » (AD Loire Atlantique, B 1059, f. 282-283). Un second témoignage de 1715 confirme cette disposition ainsi que la description, malheureusement sommaire, des prééminences (Saint-Renan, Musée du Ponant, copie d’un procès-verbal de prise de possession de prééminences…). Il ressort que le décor armorié se concentrait surtout à l’intérieur, aux vitraux et à la charpente, ainsi qu’à une tombe. Les quatorze écussons des entraits armoriés, bien conservés, forment un ensemble héraldique cohérent et soigneusement articulé, qui mérite un examen dédié. À l’extérieur, seule la porte occidentale portait un unique écusson.
Il ne subsiste rien de la vitrerie ancienne, détruite et remplacée après que le clocher foudroyé se soit effondré sur la nef en 1903 (Appéré 1936, p. 23). Une tradition rapporte qu’elle « contenait autrefois un vitrail peint où se trouvaient figurés les cinq évêques de la maison du Chastel avait donnés à l’Église : Jean, évêque de Carcassonne, Olivier et Gabriel, évêques d’Uzès, Olivier, évêque de Saint-Brieuc, et Hippolythe [sic pour Christophe], pourvu de l’évêché de Tréguier en 1465 » (Le Guennec 1981, p. 224-225), mais rien n’atteste qu’il datait du XVIe siècle.
Un aveu de 1684 apprend que « la maistresse vitre size au pignon oriental et générallement toutes les autres vitres sont chargées des plaines armes du Chastel en fascé d’or et de gueulle à six pièces et en partye escartellées de plusieurs maisons y alliées » (ibid., 1684, f. 283). La formulation suspecte des deux mentions trahit un réécrit où le mot « partye » devait se référer plutôt à la partition du blason partie ou mi-partie, la plus couramment utilisée pour figurer des armoiries d’alliance. Le nombre et la distribution des écussons n’est pas précisée, mais il n’y a aucune raison de douter que la majeure partie, voire la totalité, ornait les verrières originelles posées à l’époque de la construction. On comprend que toutes les fenêtres étaient armoriées, chacune comptant un ou plusieurs écus, aux armes pleines ou en alliance, ces dernières dans des écus mi-partis ou écartelés. La trop grande imprécision des sources ne permet de proposer qu’une reconstitution des armes plaines (armoiries 1a-j) et un aperçu des mi-parties (armoiries 2a-j), sans pouvoir les localiser précisément.
Landunvez, chapelle de Kersaint, porte occidentale.
Outre l’important décor armorié des entraits, on ne relève à l’intérieur qu’un seul autre écusson, orné d’un calice et appartenant à un prêtre (armoirie 3), sur le bénitier à gauche de la porte nord. Gravé en réserve, il pourrait être contemporain de la construction, ou bien avoir été sculpté postérieurement sur un écu lisse destiné à être peint.
À l’extérieur, le monument est traité avec une grande sobriété. Seule la porte occidentale a fait l’objet d’un traitement soigné, en utilisant la variété la plus estimée de pierre de kersanton extraite dans la rade de Brest (Chauris 2006, p. 222-223). À la clé, un écusson martelé laisse deviner le fascé plein des Du Chastel (armoirie 4).
Landunvez, chapelle de Kersaint, mur sud de la nef à l’extérieur, traces d’enduit d’une possible litre.
Contournant le monument par le sud, des traces ténues d’enduit formant un long bandeau discontinu courant au long de la nef sous la corniche font suspecter l’existence d’une ancienne litre armoriée effacée.
À l’angle de la nef et de l’aile de la sacristie au sud, une imposante pierre tombale en granite gris clair à grain fin, au bord chanfreiné gravé d’une épitaphe illisible, est ornée à sa tête d’un écu presque effacé où se reconnaît le fascé de six pièces des Du Chastel (armoirie 5).
Landunvez, chapelle de Kersaint, dalle funéraire d’un seigneur du Chastel provenant du chœur, première moitié du XIVe siècle.
Cette dalle a été découverte parmi les déblais après l’effondrement de la flèche en 1903 (Ferrand 1903, p. 120), et fut ensuite installée à l’extérieur sur un petit soubassement constitué d’éléments de démolition provenant sans doute de la balustrade de l’ancien clocher. Auparavant, elle devait avoir été réemployée dans le dallage, face renversée, probablement depuis la Révolution. L’enquête de 1715 la mentionne explicitement, sous la description « d’une pierre tombale au milieu de l’église entre le cœur et le grand autel [ornée d’]un écusson aussi des pleines armes du Châtel » (ibid.).
Il ne fait aucun doute que cette tombe est plus ancienne que la chapelle elle-même : outre son usure, l’épaisseur de la dalle, l’inscription courant sur le chanfrein, la forme un peu pointue de l’écu orientent la datation vers la première moitié ou le milieu du XIVe siècle au plus tard. Son importance doit être largement réévaluée : autrefois installée au lieu le plus honorifique de l’église, dans le sanctuaire, elle devait revêtir une charge symbolique toute particulière. Antérieure au monument qui la recevait, il semble à peu près certain qu’elle provenait de la chapelle préexistante, dont elle avait dû être translatée avant sa destruction. Une telle déférence ne peut s’expliquer que si elle se rapportait au fondateur de cet ancien édifice, ou à un représentant éminent du lignage, et s’y trouvait déjà mise en exergue avec ostentation. Considérant la chronologie, il faut émettre l’hypothèse qu’il s’agissait de la sépulture de l’un des seigneurs du Chastel ayant initié la construction du château de Trémazan, dont les études les plus récentes, fondées sur des prélèvements dendrochronologiques, datent l’érection entre 1330 et 1350 (Besselièvre, Créac’h 1999, p. 26). La tombe doit probablement être attribuée à Bernard III du Chastel ou son fils Tanguy Ier, respectivement décédés dans la décennie 1330 et en 1352 (ibid., p. 58-59 ; Torchet 2010, p. 173), ou à l’un de leurs proches parents.
Reconstitution hypothétique du château de Trémazan après sa première phase de construction dans la première moitié du XIVe siècle (dessin P. Audibert dans Besselièvre, Créac’h 1999, p. 36).
Cette proposition d’identification fait envisager un scénario nouveau pour l’histoire de la collégiale de Kersaint et de l’édifice qui la précéda, en les unissant plus étroitement aux premières phases de l’histoire du château de Trémazan. Celui-ci étant distant de plus deux kilomètres et demi du bourg de Landunvez, l’église paroissiale ne pouvait offrir une solution satisfaisante au seigneur et à ses familiers pour l’exercice du culte. On a cru reconnaître dans un entrait armorié en réemploi dans une maison privée proche des ruines de la forteresse un vestige de la charpente d’une chapelle castrale, qui aurait été bâtie au sein d’une vaste enceinte fortifiée aménagée lors d’un agrandissement des défenses au XVe siècle, selon une hypothèse friable. Sans autre élément pour le XIVe siècle, il faut se demander si à moins de cinq cents mètres du donjon, l’ancien sanctuaire qui préexista la collégiale n’était pas en réalité une chapelle castrale construite pour l’occasion, ou éventuellement aménagée dans un édifice plus ancien. La configuration défensive du château primitif, à une seule enceinte peu développée dans un vallon humide débouchant sur la mer, n’offrait que peu de possibilités pour la construction de bâtiments annexes, et aurait justifié son implantation à quelques distance. Cette chapelle castrale aurait ensuite reçu la sépulture de son fondateur ou de l’un de ses proches, et aurait bénéficié durablement des largesses de leurs descendants. La réédification d’un nouveau monument, puis son érection en collégiale en 1519 ont été dictés par le souci de donner au berceau du fief un nouvel écrin à l’aune des réussites et des ambitions familiales. On aurait alors transféré la tombe armoriée du fondateur de l’ancienne chapelle au sein de la nouvelle. Là, un cycle héraldique complet à la verrerie et à la charpente, joint aux prières des chanoines, renouvelait l’antique fondation et affirmait pour longtemps la puissance du lignage.
Auteurs : Michel Mauguin, Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Michel Mauguin, Paul-François Broucke, Landunvez, collégiale Notre-Dame de Kersaint, https://armma.saprat.fr/monument/landunvez-chapelle-notre-dame-de-kersaint/, consulté
le 16/10/2024.
Bibliographie sources
Nantes, AD Loire Atlantique, B 1059, f. 282-283, aveu par Louise de Penancoat de Keroual pour la baronnie de Trémazan, avec mention de prééminences dans l’abbaye de Saint-Mathieu, 1684.
Saint-Renan, Musée du Ponant, fonds du docteur Dujardin, copie manuscrite d’un procès-verbal de prise de possession des prééminences de la baronnie de Trémazan en 1715, n. d.
Peyron, Paul, Abgrall, Jean-Marie, « Notices sur les paroisses du diocèse de Quimper et de Léon : Landunvez », Bulletin diocésain d’Histoire et d’archéologie, 18, 1918, p. 33-48, 81-93.
Torchet, Hervé, Réformation des fouages de 1426. Diocèse ou évêché de Léon, Paris 2010.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Landunvez, chapelle Notre-Dame de Kersaint. Armoirie du Chastel (armoirie 1a)