Landunvez, collégiale Notre-Dame de Kersaint (charpente)
La chapelle Notre-Dame du Bon Secours en Kersaint à Landunvez, érigée en collégiale en 1519 par Tanguy III du Chastel, déployait à l’intérieur une parure héraldique importante, dépendant entièrement des prééminences des Du Chastel, seigneurs de la forteresse voisine de Trémazan.
Landunvez, chapelle de Kersaint, vue intérieure depuis le bas de la nef.
Un aveu de 1684 et une descente de prééminences de 1715 ne conservent qu’un souvenir fantomatique de la vitrerie, dont on sait seulement qu’elle multipliait en toutes les verrières des écussons pleins et en alliance. En revanche, le décor armorié des entraits de la charpente, que l’effondrement du clocher survenu en 1903 n’a pas endommagés, est à peu près intact. Curieusement, ni l’aveu de 1684 ni la descente de 1715 n’en font mention, alors que leurs descriptions sont généralement exhaustives pour d’autres monuments. Cinq des huit entraits de la nef et du chœur ainsi que celui de la chapelle au nord, sont sculptés d’un écu sur chaque face à la rencontre du poinçon, et deux blochets de l’abside à la jonction des pans coupés sont également porteurs d’armoiries. La charpente a été l’objet de trois restaurations récentes. Après une première réfection entreprise dans les 1970, une seconde campagne, plus ambitieuse, a vu le remplacement des chevrons, des pannes et du lambris en 1999. En l’une de ces occasions, la polychromie d’origine des écussons avait été fortement ravivée. Au courant des années 2000, un traitement sanitaire des bois a nécessité le décapage des couleurs appliquées précédemment, dont il ne reste à nouveau que des traces.
Landunvez, chapelle de Kersaint, vue générale de la charpente depuis le choeur.
Partant de l’ouest, les trois premiers entraits de la nef ne sont pas armoriés. Les écussons du quatrième sont les seuls à poser quelque difficulté d’interprétation. À la différence des autres, leurs champs ne présentent aucun relief, et les émaux sont suspects. On y reconnaît un fascé d’argent et de sable (armoiries 2a-b), dont les couleurs ont été appliquées dans les années 70 ou 90, attribué aux seigneurs de Kergroadez en Plourin (Mauguin 2018, p. 12). Cependant ce lignage n’avait pas contracté d’alliance avec les Du Chastel ou leurs descendants depuis la fin du XIVe siècle, ne possédait aucune terre en Landunvez, et semble n’avoir pris aucune part dans la construction de la chapelle. À l’origine, ce devait être les armes plaines ou en alliance des Du Chastel, fascé d’or et de gueules de six pièces (armoiries 1a-b). Les armes de Kergroadez ne trouvant aucune explication, doivent résulter d’une confusion des émaux. Sans certitude, le fascé des Du Chastel aurait pu être repeint vers la fin du XVIIe siècle aux couleurs des Penancoat, fascé d’argent et d’azur de six pièces, Louise de Penancoat de Keroual ayant acquis la baronnie du Chastel en 1684 avant de s’en défaire en 1714. Plusieurs procès-verbaux de prééminences attestent qu’en de nombreux monuments, elle avait associé ses armes aux prééminences antérieures des Du Chastel. Ensuite, les émaux de ce repeint se seraient altérés : lors de la restauration, les fasces d’azur auraient pu être confondues avec du sable, occasionnant un repeint malencontreux.
Sixième entrait de la nef, face ouest, armes en alliance de Tanguy III du Chastel et Marie du Juch.
Le cinquième entrait est sculpté à l’ouest des armes en alliance de François Ier du Chastel, mort vers 1455, et de son épouse Jeanne de Kermavan (armoirie 3) (Besselièvre, Créac’h 1999, p. 58-59) et à l’est des armes pleines du Chastel (armoirie 1c).
Au sixième entrait sont à l’ouest les armes des fondateurs, Tanguy III du Chastel, décédé vers 1521, et sa seconde épouse Marie du Juch, dont l’union remontait à 1501 (armoirie 4) (Besselièvre, Créac’h 1999, p. 58-59), et à l’opposé les pleines armes du Chastel (armoirie 1d).
Le septième entrait porte à l’ouest les armes d’Olivier II du Chastel et Marie du Poulmic (armoirie 5), père et mère du précédent, et à l’est un écusson mi-parti du Chastel et du Pont (armoirie 6), en souvenir d’une alliance entre Guillaume II du Chastel, mort en 1404, et Marie du Pont.
Le dernier entrait montre les armes pleines du Chastel à l’ouest (armoirie 1e) et à l’est celles mi-parties de Tanguy III et de sa première épouse Louise du Pont, dont l’union remontait à 1492 (armoirie 7a).
Chevet, blochet au nord : armes en alliance de Tanguy III du Chastel et sa première épouse Louise du Pont († 1495).
Ces deux derniers écussons sont répétés aux blochets de l’abside, les armes pleines sur celui au sud (armoirie 1f) et celles en alliance avec du Pont sur celui au nord (armoirie 7b).
Il est possible de proposer une vue de synthèse de l’héraldique de la charpente dans son état actuel (illustration 3), et au moment de la construction (illustration 4 et ci-dessous), sans autre variation qu’aux écus du quatrième entrait de la nef.
Les deux écus aux armes de Louise du Pont, de par leur position honorifique, ont quelquefois été invoqués pour dater le monument avant 1495, année de son trépas (Ferrand 1903, p. 119-120 ; Mauguin 2018, p. 8). Cependant, la présence au sixième entrait des armes de Marie du Juch, deuxième alliance de Tanguy III du Chastel, contractée en 1501, oblige à nuancer l’hypothèse. La pose des entraits paraissant résulter d’une campagne homogène, il semble plus probable que Louise du Pont ait été associée à la fondation initiale et que le chantier ait débuté de son vivant ou durant la période de veuvage de Tanguy. Du reste, le texte de 1519 instituant l’érection en collégiale précise que Tanguy « a eu et encore a au bien et à l’augmentation de l’office divin dans l’église de Kersent » (Peyron, Abgrall 1918, p. 42), ce qui laisse à entendre que le monument avait déjà profité de ses largesses. En maintenant les dispositions antérieures du programme héraldique, la charpente aurait été posée après le remariage avec Marie du Juch en 1501, sans doute assez rapidement.
Landunvez, chapelle de Kersaint, reconstitution de la charpente armoriée et des prééminences du Chastel dans leur état initial.
La distribution des écussons, qui pourrait paraître aléatoire au premier abord, obéit au contraire à une logique signifiante à destination de l’assistance au sol, selon qu’il s’agisse des fidèles se trouvant dans la nef et regardant dans l’axe vers l’autel, ou que ce soient des officiants ou des fidèles occupant le chœur ou l’aile nord, dont le champ visuel était plus dispersé.
Les écus visibles dans l’axe – donc sculptés sur la face ouest des entraits – insistent sur la transmission lignagère et l’ascendance de Tanguy III, fondateur, en montrant ses armes en alliance et celles de sa seconde épouse, de ses parents et grands-parents aux cinquième, sixième et septième entraits, encadrées symboliquement par des écus aux armes pleines aux quatrième et huitième poutres. Selon cette interprétation, il convient de se demander s’il n’avait pas été prévu d’intervertir les écus à la face ouest des sixième et septième entraits, ce qui aurait proposé une généalogie héraldique cohérente des fondateurs sur trois générations.
Généalogie de la famille du Chastel, armoriée des écussons présents à la charpente de la chapelle de Kersaint.
Les écussons visibles depuis le chœur ou regardant à l’ouest vers le haut de la nef font quant à eux une référence appuyée aux alliances avec la famille du Pont-L’Abbé, qui ne peut être fortuite. Cette intention en lien à la première épouse de Tanguy III du Chastel, Louise du Pont, décédée en 1495, atteste de son statut de fondatrice. La répétition de ses armes à deux des emplacements les plus honorifiques dans le chœur éclipse le seul écu aux armes de Marie du Juch, seconde épouse de Tanguy, relégué sur la face ouest de la sixième poutre. L’effet est encore accentué par le rappel de l’union pourtant lointaine de Guillaume II du Chastel, arrière grand-oncle de Tanguy, avec Marie du Pont à la fin du XIVe siècle. La mise en valeur insistante des armes du Pont devait être prévue d’origine afin d’en exalter l’alliance.
Du chœur et de l’aile nord, hors des alliances du Pont, la perspective n’embrasse que des écus fascés aux pleines armes (armoiries 1b-d, g-f), sans doute dans le souci de conforter la prééminence du lignage. On comprend aisément l’absence d’écu aux trois premières poutres de la nef, qui ne seraient visibles d’aucune assistance, ni des fidèles se tenant à la verticale, ni de ceux dans le chœur et à la chapelle nord, trop éloignés. Quant aux armes mi-parties de Léon coincées contre le pignon de la chapelle nord, cet écusson rappelait les origines lointaines du lignage.
Avec ses huit armoiries réparties sur quatorze écussons, la charpente de la chapelle de Kersaint offre le rare exemple d’un décor héraldique intact articulé à l’ensemble du monument. On ne peut que regretter la disparition des verrières et du mobilier, qui devaient participer à l’élaboration d’un véritable petit programme héraldique à la gloire des seigneurs de Trémazan, et souligner à travers l’alliance du Pont L’Abbé leur brillante politique matrimoniale.
Auteurs : Michel Mauguin, Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Michel Mauguin, Paul-François Broucke, Landunvez, collégiale Notre-Dame de Kersaint (charpente), https://armma.saprat.fr/monument/landunvez-chapelle-de-kersaint-charpente/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Nantes, AD Loire Atlantique, B 1059, f. 282-283, aveu par Louise de Penancoat de Keroual pour la baronnie de Trémazan, avec mention de prééminences dans l’abbaye de Saint-Mathieu, 1684.
Saint-Renan, Musée du Ponant, fonds du docteur Dujardin, copie manuscrite d’un procès-verbal de prise de possession des prééminences de la baronnie de Trémazan en 1715, n. d.
Peyron, Paul, Abgrall, Jean-Marie, « Notices sur les paroisses du diocèse de Quimper et de Léon : Landunvez », Bulletin diocésain d’Histoire et d’archéologie, 18, 1918, p. 33-48, 81-93.
Torchet, Hervé, Réformation des fouages de 1426. Diocèse ou évêché de Léon, Paris 2010.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Landunvez, chapelle de Kersaint (charpente). Armoirie de Kergroadez (armoirie 1a)
Landunvez, chapelle de Kersaint (charpente). Armoirie François Ier du Chastel-Jeanne de Kermavan (armoirie 3)
Mi-parti, au 1 : fascé d’or et de gueules de six pièces (du Chastel) ; au 2 : écartelé, aux 1 et 4 : d’or au lion d’azur, qui est de Kermavan, aux 2 et 3 : d’azur à la tour roulante d’argent, qui est de Lesquélen (de Kermavan).
Attribution : Du Chastel François Ier ; Kermavan Jeanne de
Landunvez, chapelle de Kersaint (charpente). Armoirie Tanguy III du Chastel-Louise du Pont (armoirie 7a)
Mi-parti, au 1 : fascé d’or et de gueules de six pièces (du Chastel) ; au 2 : écartelé, aux 1 et 4 : d’hermines à trois fasces de gueules, qui est de Rostrenen), aux 2 et 3 : d’or au lion de gueules, qui est du Pont (du Pont).
Attribution : du Pont Louise ; Du Chastel Tanguy III
Landunvez, chapelle de Kersaint (charpente). Armoirie Tanguy III du Chastel-Louise du Pont (armoirie 7b)
Mi-parti, au 1 : fascé d’or et de gueules de six pièces (du Chastel) ; au 2 : écartelé, aux 1 et 4 : d’hermines à trois fasces de gueules, qui est de Rostrenen, aux 2 et 3 : d’or au lion de gueules, qui est du Pont (du Pont).
Attribution : du Pont Louise ; Du Chastel Tanguy III