Mentionné pour la première fois en 1025 (Bourgeois 2005, p. 9), le château d’Angles-sur-l’Anglin fut probablement bâti, pour ce qui concerne les parties encore visibles et notamment la tour maîtresse, à la fin du XIe ou dans la première moitié du XIIe siècle sur l’éperon rocheux qui surplombe le village. Documenté à l’origine parmi les biens des Isembert, qui au XIe siècle donnèrent trois évêques en succession au diocèse de Poitiers, la château d’Angle passa vers 1100 aux Lusignan, puis, aux Lezay qui en gardèrent la seigneurie jusqu’à la seconde moitié du XIIIe siècle, quand les évêques de Poitiers en reprirent progressivement le contrôle (Bourgeois 2005, p. 11). La récupération de la châtellenie par le pouvoir épiscopal poitevin se compléta définitivement en 1294, pour se maintenir jusqu’à Révolution (Michaud 1994, p. 30). Après une reconstruction documentée dans les années 1330 (Crozet 1942, p. 71, doc. 297 ; Baudry 2001, p. 273-274), le réaménagement de la forteresse dans les formes actuellement visibles fut commandé par Hugues de Combarel, évêque de Poitiers de 1424 à 1441 et auteur d’importantes commandes pour la cathédrale pictave (Andrault-Schmitt 2013, p. 75) ainsi que pour l’abbaye de Valence où ses armes se trouvent « sur toutes les faces » du château (Auber 1849 : D’Arboval 1914, p. 38). Déjà à l’abandon au début du XVIIIe siècle – en 1708 on renonça à entreprendre des travaux de restauration à cause des dépenses, désormais jugées comme excessives –, le château d’Angles-sur-l’Anglin fut utilisé comme une carrière publique à partir de 1793. Vendu en mai 1882, il fut racheté en 1923 par la Société des Antiquaires de l’Ouest pour être finalement cédé, en 1986, à la mairie d’Angles (Durand, Andrault 1995, p. 172).
Angles-sur-l’Anglin, château, armoiries du roi et de Hugues de Combarel, détail du donjon aux armes du roi et de Hugues de Combarel.
Une longue et haute enceinte d’environ 300 mètres de long et de forme approximativement triangulaire renferme les bâtiments résidentiels tandis que des tours circulaires, dotées d’archères et de canonnières, protègent tous les cotés de la structure. La large porte d’entrée de la forteresse, communément dite « aux 300 clous », est protégée par deux tours. En arc brisée et cantonnée de colonnettes ornées de chapiteaux gothiques, elle fut probablement réalisée dans les premières années du XIIIe siècle et remaniée dans la première moitié du XVe siècle (Bourgeois 2005b, p. 15 ) quand son sommet fut orné d’un écu armorié (Gillard 1926, p. 5) (armoirie 1). L’armoirie n’était déjà plus reconnaissable au début du XXe siècle, peut-être parce qu’elle avait été victime d’un acte de damnatio memoriae. Henri d’Arboval (1914, p. 35) imaginait que l’écusson portait à l’origine les armes du roi, parce qu’il est tenu par deux anges. En réalité, ce type de dispositif n’était pas exclusif du roi : des support « célestes » accompagnaient également les armes de personnages extérieurs à la famille royale, comme l’atteste l’armoirie de l’abbé Raoul du Fou sculptée sur le portail du prieuré d’Availles. Si rien n’interdit de croire que les armes de l’évêque (Michaud 1994, p. 106) marquait cette porte qui ne constituait d’ailleurs pas l’accès principal à la forteresse – ce dernier se trouvait de l’autre coté de l’éperon, vers l’église Saint-Pierre – mais servait plutôt aux habitants du village pour trouver refuge dans le château en cas d’urgence, la présence originaire des armes aux trois fleurs de lis semble confirmée par le fait que cet écusson armorié est le seul à avoir été bûchée délibérément.
L’armoirie royale apparaît, encore intacte, de l’autre coté de la grand cour, au dessus de la porte d’entrée principale du château, sur le mur oriental de l’ancien donjon roman (la partie la plus ancienne de la forteresse), totalement renouvelé par Hugues de Combarel qui l’adapta à un usage résidentiel (Bourgeois 2005, p. 15). Notamment, l’évêque fit restaurer la tour angulaire du donjon et accrocher une bretèche à son sommet pour contrôler et défendre le grand portail d’entrée. Celui-ci fut alors orné par une majestueuse représentation héraldique, formée par les armes de l’évêque (armoirie 2a) et du roi (armoirie 3) (il s’agit probablement de Charles VII, sacré en 1429).Les marques d’autorité timbrent les deux armoiries : la crosse épiscopale pour celle d’Hugues de Combarel, la couronne fleurdelisée pour celle du roi. Les deux écus armoriés étaient en outre protégés et mis en valeur par un dais gothique, installé en fonction de larmier, soigneusement ciselé, avec des gâbles fleuris et séparés par un haut pinacle, et qui terminent en bas dans un délicat arc polylobé. Plus en haut, un cadre mouluré couronne l’élément architectural. L’agencement par superposition des deux écus, qui sont exactement de la même taille, reflète l’ordre hiérarchique existant entre les deux autorités. Toutefois, il ne s’agissait probablement pas d’une simple déclaration de fidélité et d’obéissance au roi de la part de l’évêque poitevin – comme cela arrivera plus tard dans les reliefs du portail du prieuré d’Availles – dans le contexte de la guerre, encore en cours, contre les Anglais, qui avaient d’ailleurs occupé le château d’Angles de 1360 à 1372. En effet, si la forteresse conserva une fonction stratégique, il ne faudra pas oublier que, vers 1420, la châtellenie d’Angles avait probablement déjà été érigée en baronnie. Par conséquent, les évêques de Poitiers ne gardaient que le bénéfice des revenus, tandis que le contrôle militaire de la structure dépendait directement du roi, qui avait à son service le capitaine de la garnison directement hébergée dans le château (Michaud 1994, p. 37).
Angles-sur-l’Anglin, château, portail d’entré du logis aux armes de Hugues de Combarel.
Le discours héraldique qui se déroule tout au long de l’enceinte du château résonne toutefois différemment, comme s’il s’agissait d’un dernier effort de l’évêque poitevin pour affirmer ses droits seigneuriaux, désormais affaiblis. En franchissant le portail, on se retrouve alors dans la grande cour où, le long de la muraille sud-ouest, l’évêque Hugues de Combarel avait fait construire un logis (appelé château neuf dans les inventaires), contenant trois chambres dotées de cheminées (D’Arboval 1914, p. 35). Le logis donnait sur le précipice creusé par le cours de l’Anglin, afin de profiter de la plus grande largeur de vue (Eydoux 1971, p. 204) mais, surtout, afin d’être à son tour visible depuis les alentours et de manifester ainsi la puissance de son seigneur. Il s’agissait d’une demeure de plaisance, semblable par sa structure et sa fonction à celles, de plus en plus nombreuses, que les seigneurs de la région firent ériger à l’intérieur de leurs forteresses entre la seconde moitié du XVe siècle et le début du XVIe. Comme à l’habitude, les armes des Combarel se trouvent encastrées au-dessus du grand portail qui donnait accès au logis (armoirie 2b) surveillé, à gauche, par une tour circulaire et, à droite, par une archère-canonnière. Deux clercs en costume de chœur, d’après la tradition, ou, plus probablement de deux anges supportent l’écu, dont la taille est vraiment considérable et un peu disproportionnée par rapport à la porte.
Angles-sur-l’Anglin, château, armoirie de Hugues de Combarel.
Même si l’emplacement de l’élément armorié semble un peu suspect, il faut rappeler que le marquage héraldique de l’entrée de l’édifice, voie d’accès unique ou prioritaire aux espaces de résidence et de réception, répondait à une pratique de mise en signe bien rodée : l’armoirie révélait aux hôtes l’identité du propriétaire du lieu qui s’affichait ainsi en revendiquant la possession de l’immeuble dans sa totalité. En revanche, les armes de Guillaume de Charpaignes (d’azur à la fasce d’or accompagnée en chef de deux croissants d’argent et un autre croissant en pointe), successeur d’Hugues de Combarel au siège poitevin, seraient représentées sur le pignon de ce petit donjon (armoirie 4), au-dessus du linteau d’une fenêtre qui en éclairait le grenier (Michaud 1994, p. 59) (on remarquera la présence de l’étoile entre les deux croissants en chef, en forme de brisure : D’Arboval 1914, p. 91). La construction de l’édifice doit par conséquent se situer entre la fin de l’épiscopat d’Hugues de Combarel (1441) et les premières années de celui de Guillaume de Charpaigne (Gillard 1926, p. 7), évêque de 1441 à 1449 (d’autres aménagements furent ensuite réalisés en 1454-1455 et 1469-1470 ; cf. Crozet 1942, p. 136, doc. 541 et Bourgeois 2005, p. 16).
Par contre, les autres travaux d’aménagement de la structure fortifiée semblent avoir étés intégralement effectués avant la mort de Hugues de Combarel, puisque seules ses armes y apparaissent. En effet, la ceinture externe du château porte les marques d’Hugues. Ses armes, presque toujours dépourvues de la crosse, signent systématiquement les principaux éléments défensifs qui couronnent l’enceinte, et notamment les tours. Elles sont toujours placées sur le côté visible depuis le village et la rue qui passe au pied de l’éperon rocheux, avec un souci évident : celui d’assurer la visibilité du seigneur du lieu depuis toutes les bourgades qui formaient l’habitat d’Angles. Seule la tour dite aux oignons semble dépourvue d’éléments héraldisés, mais on peut supposer que ceux-ci ont disparu avec l’écroulement de la partie sommitale de la structure.
Angles-sur-l’Anglin, château, tours de la chapelle et de la prison (armoiries 7, 8, 9).
L’armoirie de l’évêque est d’abord visible sur la tour crénelée, communément appelée Amallec, qui flanque le grand logis méridional (armoirie 2c). Elle est placée entre deux fenêtres, ouvertes tardivement en coupure du mur, et était clairement visible depuis le pont qui traverse l’Anglin et depuis le quartier qui entoure l’abbaye Sainte-Croix. L’armoirie de l’évêque a été sculptée sur une pierre encastrée dans la partie haute de la tour dite de la Prison (armoirie 2d), dont les murs furent épaissis et dotés de nouvelles ouvertures de tir sous l’épiscopat d’Hugues de Combarel. À gauche, la tour dite de la chapelle porte également les armes de l’évêque poitevin (armoiries 2e-f) : elles surplombent la voie secondaire d’accès au château et renforcent ou nuancent, par conséquent, le message héraldique qui était confié à l’armoirie sculptée au-dessus du portail (armoirie 1). L’une (armoirie 2e) se trouve juste au-dessus de la base de la tour, l’autre (armoirie 2f) – la seule de l’ensemble à être associée à la crosse épiscopale – est placée à sa verticale, dans la partie haute de la même muraille et surmontée par une arcature trilobée à trois pinacles (dans les études consacrées à l’édifice, cette dernière armoirie est erronément identifiée avec les armes de Guillaume de Charpaigne : Michaud 1994, p. 49). Une répétition étonnante qui marquait probablement une phase de reprise des travaux de fortification dans cette partie de l’enceinte – on observe en effet également un changement dans la composition de la maçonnerie (Michaud 1994, p. 144) – mais qui servait sans doute aussi à rendre manifeste la présence de l’évêque sur un point stratégique du château, bien visible depuis le village.
Deux reliefs aux armes des Combarel, toujours réalisés dans une seule pierre encastrée dans la partie sommitale de la maçonnerie et protégée par un larmier, sont visibles sur le pignon septentrional du donjon (armoirie 2g), placés entre deux fenêtres, et sur la tour, dite d’angle, qui se trouve juste à côté (armoirie 2h).
Angles-sur-l’Anglin, château, donjon et tour avec armoiries de Hugues de Combarel (armoirie 10, 11)
Enfin, la porte surveillée par le donjon roman réaménagé au XVe siècle permettait d’accéder à une cour secondaire de forme rectangulaire, par laquelle on arrive enfin à une troisième, plus petite et triangulaire, renfermée par la courtine et par deux tourelles. Pour renforcer la défense de ce côté du château, qui donne sur la tranchée jadis appelée des Anglais – une faille naturelle aménagée dans la construction du château –, une tour-porte de forme semi-circulaire fut ajoutée dans un deuxième temps au vestibule et à la cour secondaire sur l’angle nord-est de l’enceinte (Michaud 1994, p. 80 ; Bourgeois 2005, p. 14), peut-être sous l’épiscopat de Jacques Jouvenel des Ursins (1449-14579) (ibid., p. 144). En effet, des documents attestent qu’il a commandité des travaux au château (Crozet 1942, p. 136, doc. 541), mais il ne semble pas avoir eu l’habitude de le « signer » avec ses armes. Il s’agit d’une intervention successive à celles réalisées par Hugues de Combarel. La tour, dont la structure n’est pas bien amorcée à l’appareillage de l’enceinte, est adossée à un mur déjà orné d’une armoirie de l’évêque (armoirie 2i) (Michaud 1994, p. 80). Si elle se trouve aujourd’hui à l’intérieur d’un espace fermé et doté d’une archère, elle avait été sûrement conçue à l’origine pour être exposée à l’extérieur et, donc, pour marquer la conclusion des travaux de construction du vestibule (Michaud 1994, p. 144) : on l’infère de la présence du larmier qui la protège, tout à fait identique à ceux qui surmontent les autres armoiries de l’évêque placées sur la face externe de l’enceinte de la forteresse.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Angles-sur-l’Anglin, château, https://armma.saprat.fr/monument/angles-sur-langlin-chateau/, consulté
le 02/04/2025.
Bibliographie études
J.-L. Auber, Histoire de la cathédrale de Poitiers, Poitiers-Paris 1849.
H. d’Arboval, Angles-sur-Anglin et Chauvigny-sur-Vienne, t. 1, Angles-sur-l’Anglin, Tours 1914.
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R. Crozet, Textes et documents relatifs à l’histoire des arts en Poitou (Moyen Âge-début de la Renaissance), Poitiers 1942.
H.-P. Eydoux, Châteaux fantastiques, III, Paris 1971.
P. Durand, « La protection religieuse de l’entrée du château à l’époque romane en Haut-Poitou », Cahiers de civilisation médiévale, 31, 123, 1988, p. 202-212.
F. Michaud, La forteresse épiscopale d’Angles-sur-l’Anglin, mémoire de maitrise, dir. M.-Th. Camus, Université de Poitiers 1994.
P. Durand, J.-P. Andrault (sous la dir.), Châteaux, manoirs et logis. La Vienne, Prahecq 1995.
P. Durand, « Le château d’Angles-sur-l’Anglin », Bulletin de la Société des Amis des Pays lochois, 1997, p. 107-118.
M.-P. Baudry, Les Fortifications des Plantagenêts en Poitou 1154-1242, Paris 2001.
L. Bourgeois, « Angles-sur-l’Anglin (Vienne) », dans Id. (dir.), Les petites villes du Haut-Poitou de l’Antiquité au Moyen-Âge. Formes et monuments, t. 2, Angles-sul-l’Anglin, Argenton-Château, Charroux, Melle, Parthenay, Rom, Chauvigny 2005, p. 7-27.
C. Andrault-Schmitt, « Gilbert, Jean et les autres : les évêques et leur domus », dans Ead. (dir.), La cathédrale Saint-Pierre de Poitiers. Enquêtes croisées, Poitiers 2013, p. 69-79.
Angles-sur-l’Anglin, château. Armoirie Gouges de Charpaigne (brisure) (armoirie 4)
D'(azur) à la fasce d'(argent ou or) accompagnée de trois croissants d'(or ou argent), disposés deux en chef et un en pointe, et d’une étoile d'(or) posée entre les croissants en chef.