Molsheim, chapelle de l’hôpital de la Vierge (monuments funéraires)
La chapelle de l’hôpital de la Vierge de Molsheim conserve plusieurs monuments funéraires armoriés de grand intérêt. Ayant fondé l’hôpital diocésain, l’évêque Jean Ier de Dirpheim / Dürbheim († 6 novembre 1328) (Sigilla), souhaita y être inhumé (Oswald 2008, p. 120-121). Réalisé dans le second quart du XIVe siècle, son très réaliste gisant polychrome et doré en grès (258 x 113 cm) s’inscrit dans la veine gothique de celui de son prédécesseur Conrad III de Lichtenberg († 1299), qui se trouve dans la cathédrale de Strasbourg (Ohresser 1956-1957, p. 52 ; Oswald 2020, p. 16). Aujourd’hui disparue, l’épitaphe – dont on ignore l’emplacement – fut relevée à la fin du XVIIIe siècle par l’abbé Grandidier (Grandidier 1866, p. 105) : « Anno Domini MCCCXXVIII octavo idus novembris obiit venerabilis dominus Joannes episcopus argentinensis primus fundator et constructor hujus hospitalis ».
Gisant de Jean de Dirpheim, 1328. Molsheim, église des Jesuites (déjà Molsheim, chapelle de l’hôpital de la Vierge).
Comme les autres sculptures de l’église, le monument a été vandalisé durant la Révolution : il fut décapité et jusqu’en 1987, il était accolé à la verticale contre le mur de la chapelle. Restauré en 1989, il a trouvé alors son emplacement actuel dans le transept sud de l’église des Jésuites (Oswald 2015, p. 79-80). La tête posée sur un coussin, les pieds reposant sur deux lions adossés, le prélat est allongé sur le dos, les yeux ouverts. Il est vêtu pour une messe pontificale : on distingue le fin drapé de l’aube, de la dalmaticelle et de la chasuble sur laquelle une broderie sculptée et peinte figure l’écu de l’évêché de Strasbourg, dont c’est la plus ancienne représentation polychrome connue (armoirie 1) (Sigilla). Sa mitre dorée, les fanons et ses souliers sont richement ouvragés. Il tient sa crosse dans la main gauche et un riche livre à fermoirs dans l’autre. À gauche du défunt, une frise de vignes a été sculptée et des feuilles de chêne à sa droite.
Insérée dans le mur ouest de la chapelle Saint-Ignace-de-Loyola (Oswald 2015, p. 87-88), une stèle en grès inscrite et armoriée (116 x 77 cm) commémore l’élection au siège épiscopal de Strasbourg de Guillaume II de Diest († 6 octobre 1439), le lundi 14 décembre 1394. Vraisemblablement placée à l’origine dans le mur sud de la chapelle de la Vierge de l’hôpital diocésain de Molsheim (Oswald 1987, p. 55), la pierre fut remployée comme dallage sans doute vers 1617, lors de la construction de l’église des Jésuites. Comme seul le dos était apparent, la stèle n’a été redécouverte qu’en 1987, au cours de travaux, et placée par la suite à l’endroit où elle se trouve de nos jours.
L’inscription commémorative est disposée le long de la bordure, entre deux filets continus. Elle est écrite dans une minuscule gothique très anguleuse : Anno D[omi]ni MCCC / LXXXXIIII die lune XIIII me[n]sis dece[m]br[is] / ven[er]abilis · d[omi]n[u]s Wilhel/m[us] de Diesch electus est in ep[iscopu]m arge[n]t[inensem.
Le texte entoure l’écu personnel du prélat (36 x 33 cm) (armoirie 2). Celui-ci présente un écartelé aux armes de l’évêché de Strasbourg et de celles de la famille de Guillaume, les seigneurs de Diest dans le Brabant (Riestap 1884, p. 537), que l’on retrouve également sur les sceaux de cet évêque (Sigilla). Dans la stèle de Molsheim l’armoirie de Guillaume II est cependant augmentée par un écusson en cœur aux armes du landgraviat de Basse-Alsace, qui fait sans doute référence à la concession, en 1384, de ce qui restait des droits du landgraviat à l’évêque de Strasbourg par Wenceslas, roi des Romains (Martin 1955, p. 84). La stèle de Molsheim atteste donc que les armes des évêques strasbourgeois ont intégré l’armoirie de Basse-Alsace bien avant l’épiscopat de Robert du Palatinat (1439-1478), auquel on attribue d’habitude l’introduction de cette augmentation (ibid.).
Stèle commémorative de Guillaume de Diest. Molsheim, église de la Sainte-Trinité et de Saint-Georges (déjà, Molsheim, chapelle de l’hôpital de la Vierge).
Nous noterons enfin que l’écu aux armes de Guillaume II est posé sur une crosse et timbré par une mitre ornée de fanons, attributs indiquant la fonction épiscopale (Oswald 1987, p. 50-52). Des traces de polychromie ont été relevées en 1987 : du bleu autour de la crosse, du rouge sur l’écu ainsi que du noir sur quelques lettres, qui étaient sans doute rehaussées de la sorte à l’origine (Oswald 1987, p. 50). L’agencement de l’ensemble rappelle celui des dalles funéraires, même si celle de Guillaume, pourtant enterré à sa demande dans la chapelle de la Vierge en 1439, ne nous est pas parvenue. Désigné en 1393 par Boniface IX pour remplacer son prédécesseur, qui avait été vaincu par la ville de Strasbourg et déplacé à Utrecht, Guillaume de Diest (ou Diesch) avait eu du mal à se faire accepter localement et ce n’est qu’au terme de plusieurs mois de négociation qu’un accord avec le chapitre cathédral (ou Grand Chapitre) fut trouvé (Rapp 1974, p. 121-123). Contrairement à ce que le texte indique, la stèle commémore donc l’installation de l’évêque à Strasbourg et non son élection (Oswald 1987, p. 54). Il ne se décida d’ailleurs à être consacré qu’en 1420. Si le soulagement du prélat élu est compréhensible, on peut s’interroger sur les raisons de l’exposition d’une telle stèle dans la chapelle hospitalière, au-delà de sa vraisemblable finalité propagandiste (Oswald 1987, p. 54). Avait-elle des équivalents dans les autres établissements épiscopaux ? Ou un lien particulier unissait-il déjà ce prélat à l’hôpital de Molsheim ?
Une dalle funéraire (129 x 70 cm), trouvée dans la chapelle de la Vierge à 40 cm sous le niveau du sol lors de travaux dans l’église en 1987 (Oswald 2008, p. 128-129), est accrochée sur le mur ouest de la chapelle Saint-Ignace-de-Loyola se trouve. Elle comprend deux écus en relief en creux (24 x 17 cm) disposés côte à côte dans la partie supérieure (armoiries 3-4), et une épitaphe écrite en bordure, entre deux filets, dans une minuscule gothique : [+ ?] anno D[omi]ni mc/cccii xvii · k[a]l[endas] april[is] o[biit] Anna pver / Rvdolfi de An/delo militi[s] vici d[omi]ni ep[iscop]i arge[ntinensis].
Morte alors qu’elle était enfant ou adolescente (puer), Anne d’Andlau († 16 mars 1402) avait donc été inhumée dans la chapelle de l’hôpital diocésain (Mengus 2001, p. 19). Son père, Rudolf d’Andlau, dit Schwartz Rudolf, était chevalier (miles, attesté en 1385) et vidame (vice dominus) de l’évêque de Strasbourg (1400-1415). Quand sa fille décéda, il était bailli épiscopal de Molsheim (1395-1404), ce qui explique cette inhumation sur place, et fut par la suite administrateur de l’hôpital diocésain local (1404-1408) (Mengus 2001, p. 27). On ne sait à quelle branche de la famille d’Andlau le rattacher, mais la présence des armes de ce lignage sur l’écu de gauche (armoirie 3) l’inscrit clairement dans ce groupe familial (ibid.). En conformité à l’ordre hiérarchique habituellement utilisé pour représenter un couple mari-femme, l’écu de droite porte les armes de la mère de la défunte, Clara/Agnès Wetzel von Marsilien (armoirie 4), mariée peut-être vers 1390 à Rudolf (ibid.). Les Wetzel, lignage patricien strasbourgeoise, portaient de gueules à la bande d’argent (Knidler von Knobloch 1885, p. 71 ; Schmidt-Sibeth et alii 1991), comme les sceaux des membres de la famille l’attestent (Sigilla), tandis qu’ici c’est une barre qui est figurée. Doit-on imputer cette pièce à une erreur du lapicide ? ou les armes de la mère d’Anne d’Andlau différaient-elles de celles des autres Wetzel de Marsilien ?
La dalle funéraire (148 x 71 cm) que l’on voit accrochée au mur ouest de la chapelle Saint-Ignace-de-Loyola a été découverte elle aussi en 1987, lors de travaux dans l’église, dans la chapelle de la Vierge, à 40 centimètres sous le niveau du sol et à une soixantaine de centimètres à la droite de la dalle funéraire d’Anne d’Andlau (Oswald 2008, p. 128-129). Elle comprend deux écus en relief en creux (23 x 18 cm) disposés côte à côte dans la partie supérieure (armoiries 5-6), et une épitaphe écrite en bordure entre deux filets droits dans une minuscule gothique proche de celle d’Anne d’Andlau : [+] Anno D[omi]ni /M°/ CCCC° XI XVI ·k[a]l[endas] octob[ris] o[biit] Adelhei/t filia Ioh[ann]is / Vlrici de Mvlnhei[m] militis (nous remarquerons que le m du millésime a été ajouté hors cadre, suite à un oubli du lapicide).
Dalle funéraire d’Adélaïde de Mullenheim. Molsheim, église des Jésuites (déjà Molsheim, chapelle de l’hôpital de la Vierge) (® G. Oswald).
On ignore si, à l’instar d’Anne d’Andlau, Adélaïde († 16 septembre 1411) était encore une enfant au moment de son décès, mais elle n’était pas (encore ?) mariée. Elle appartenait par son père, le chevalier (miles) Jean Ulrich (III ?) de Mullenheim, à la branche dite « Bischof » de l’un des principaux lignages patriciens de Strasbourg, descendant du riche monnayeur Henri Ier de Mullenheim (Weill 1967, p. 287). La famille était possessionnée depuis 1386 à Dorlisheim (Metz 1996, col. 2736), ce qui pourrait expliquer l’inhumation d’Adélaïde dans la ville voisine de Molsheim.
L’écu paternel aux armes des Mullenheim, connues également par le biais de plusieurs empreintes de sceaux (Sigilla), figure donc à dextre (Knidler von Knobloch 1919, p. 131) (armoirie 5), tandis qu’à senestre se trouve celui de la famille de sa mère, non identifiée (armoirie 6). Jean Ulrich III († 1422) aurait été l’époux d’une certaine Adheleid Loeselin (ibid., p. 136), mais l’armoirie sculptée sur la dalle rattache la mère de la défunte plutôt aux Stauffenberg, lignage noble de Haute-Alsace (Bischoff 2000, col. 3729-3730). La branche principale de ce lignage portait d’argent au calice de gueules, comme on peut le voir sur le panneau représentant la crucifixion du Christ du retable de Stauffenberg (ca. 1460 : Colmar, Musée d’Unterlinden) et dans l’Armorial de Conrad Grünenberg à la fin du XVe siècle (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, ms. Cgm 145, f. 245r). On en a sans doute ici la variante à trois calices d’une branche cadette.
Auteur : Thomas Brunner
Pour citer cet article
Thomas Brunner, Molsheim, chapelle de l’hôpital de la Vierge (monuments funéraires), https://armma.saprat.fr/monument/molsheim-chapelle-de-lhopital-de-la-vierge-monuments-funeraires/, consulté
le 05/12/2025.
Bibliographie sources
Munich, Bayerische Staatsbibliothek, ms. Cgm 145, Konrad Grünenberg, Das Wappenbuch Conrads von Grünenberg, Ritters und Bürgers zu Constanz.
Riestap Jean Baptiste, Armorial général précédé d’un Dictionnaire des termes du blason, t. 1, Gouda 1884.
Bibliographie études
Bischoff Georges, « Stauffenberg (Bock de/von) », Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, t. 35, Strasbourg 2000, col. 3729-3730.
Grandidier Philippe André, Œuvres historiques inédites, t. 4, Colmar 1866.
Knidler von Knobloch Julius, « Das goldene Buch von Straßburg. Zweiter und letzer Theil », Jahrbuch der k. k. heraldischen Gesellschaft Adler zu Wien, 1885, p. 1-91.
Knidler von Knobloch, Julius, Oberbadisches Geschlechterbuch, t. 3, M-R, Heidelberg, 1919.
Mengus Nicolas, « De Molsheim à Ensisheim : sur les traces des familles Andlau (ou Andlauer) à la fin du Moyen Âge », Annuaire de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Molsheim et environs, 2001, p. 19-30.
Metz Bernhard, « Müllenheim von (xiiie-xive siècles) », Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, t. 27, Strasbourg 1996, col. 2734-2737.
Ohresser Xavier, « Les effigies tombales des anciens évêques de Strasbourg », Rapport annuel du collège épiscopal Saint-Etienne à Strasbourg, 1956-1957, p. 49-56.
Oswald Grégory, « Une stèle commémorative de l’élection de l’évêque Guillaume de Diest dans l’ancienne église des jésuites de Molsheim », Annuaire de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Molsheim et environs, 1987, p. 49-56.
Oswald Grégory, « L’hôpital des pauvres de Molsheim, de sa fondation (1316), à la fin du XVIe siècle », Annuaire de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Molsheim et environs, 2008, p. 119-132.
Oswald Grégory, « Le mobilier ancien et les trésors artistiques de l’église des Jésuites », dans Id., L. Schlaeffli (dir.), Les Jésuites à Molsheim et ses environs (1580-1765), Molsheim 2015 (Histoire & Patrimoine, 4), p. 73-102.
Rapp Francis, Réforme et Réformation à Strasbourg, Eglise et société dans le diocèse de Strasbourg (1450-1525), Paris 1974.
Schmidt-Sibeth Friedrich et alii, Trois grandes familles strasbourgeoises : XIIIe-XXe siècle : Wetzel de Marsilien, Sturm, Œsinger, Paris 1991.
Weill, Georges, « Origines du patriciat strasbourgeois aux XIIIe et XIVe s. : les lignages Zorn et Mullenheim », Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610), 1, 1967 (1969), p. 252-302.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Molsheim, chapelle de l’hôpital de la Vierge (monuments funéraires). Armoirie évêché de Strasbourg (armoirie 1)
De gueules à la bande d’argent.
Attribution : Evêché de Strasbourg
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Inconnue
Emplacement précis : Sépulture
Support armorié : Gisant ; Monument funéraire
Structure actuelle de conservation : Molsheim église de la Sainte-Trinité et de Saint-Georges
Molsheim, chapelle de l’hôpital de la Vierge (monuments funéraires). Armoirie évêché de Strasbourg/Diest/Basse Alsace (armoirie 2)
Ecartelé : aux 1 et 4, de (gueules) à la bande d'(argent) (évêché de Strasbourg) ; aux 2 et 3, d'(or) à deux fasces de (sable) (Diest) ; à un écusson de (gueules) à la bande d'(argent) accompagnée de deux cotices fleuronnées d'(or) en cœur sur le tout (Basse-Alsace).
Timbre : Une crosse épiscopale/d'abbé ; Une mitre avec fanons
Position : Intérieur
Emplacement précis : Mur sud
Support armorié : Inscription ; Pierre inscrite
Structure actuelle de conservation : Molsheim église de la Sainte-Trinité et de Saint-Georges