L’hôtel de Bourbon représente l’expression parmi les plus accomplies de la création d’une résidence aristocratique parmi les nombreux hôtels princiers construits à Paris vers la fin du XIVe siècle. Le phénomène, déclenché par le rang de capitale désormais reconnu à la ville par le roi, intéressa surtout l’entourage familiale étroit de Charles VI, notamment dans les personnes de Louis duc d’Orléans, Jean de Berry, Jean sans Peur et Louis II de Bourbon. Celui-ci édifia sa résidence sur des terrains appartenant à la paroisse de Saint-Germain-l’Auxerrois et de Saint-Denis-de-la-Chartre, dont Luis Ier avait entrepris l’achat à partir de 1303 édifiant une première maison avec un plan vaguement cruciforme (De Berty 1885, p. 33). Dans une ville déjà fortement urbanisée, la construction de la nouvelle enceinte de Charles V permit à la noblesse désireuse de s’installer dans la capitale de profiter de l’espace encore plutôt dégagé adossé à la courtine de Philippe Auguste. Luis II († 1410) saisit l’occasion pour faire édifier une nouvelle résidence de grande taille juste à côté du Louvre. Pour réaliser son projet il fut quand même obligé de s’assurer la propriété d’un certain nombre de maisons situées dans cette zone placée en proximité de la Seine. Cela fut possible à travers un ensemble de transactions particulièrement onéreuses qui intéressèrent également une partie des rues afin d’assurer l’alignement des nouveaux édifices (De Berty 1885, p. 35-36 ; Roux 1991, p. 77-78, 82).
Donnant sur la rue d’Autriche, le quai de l’Ecole (dit « route royale » dans un acte de 1222 : De Berty 1885, p. 30-31) et la rue des Poulies, l’hôtel de Bourbon fut construit dans les années 1390 et probablement terminé vers 1396, quand « le grand hostel neuf » est mentionné dans un document (De Berty 1885, p. 36). Au milieu du XVe siècle, la résidence, qui couvrait une surface d’environ 10600 m2 (2800 toises) (Roux 1991, p. 75, 82), comptait entre 70 et 80 pièces et annexes (ibid. p. 85), distribuées dans les différents corps de bâti formant l’hôtel, tous doté d’un seul étage et de combles, mais richement ornés (Roux 1991, p. 96). Contigu à l’hôtel d’Alençon, l’hôtel était dépourvu d’éléments de fortifications évidentes, comme si la proximité au Louvre et aux remparts offrait les garanties de sécurité nécessaires pour ses occupants. Pillé en 1418 par les Bourguignons, cédé au duc de Bedford en 1426 pendant l’occupation anglaise, puis récupéré et réparé par le duc de Bourbon entre 1448 et 1459 (De Berty 1885, p. 36), il est confisqué et partiellement détruit en 1527, après la trahison du connétable et sa condamnation en 1523. Même si la chapelle et la grande salle furent épargnées, la résidence semble désormais verser dans un état de ruine quand elle est décrite, en 1543, par Eustache Knobelsdorf (1978, p. 63-64). Les derniers vestiges de l’hôtel ne furent toutefois rasés qu’à partir de septembre 1758 (De Berty 1885, p. 36).
Crucifixion (retable du Parlement de Paris), détail avec le Louvre et l’hotel de Bourbon. Paris, musée du Louvre.
Les inventaires de 1457 et de1465, dressés au moment de la prise de fonction des nouveaux concierges de l’hôtel, aussi bien que les quelques cartes anciennes de Paris et d’autres descriptions datant du XVIIe et XVIIIe siècle constituent la seule source d’informations sur cette résidence somptueuse. Elles nous donnent aussi des informations précieuses sur son ornementation héraldique et emblématique, dont toute trace a disparu. Il faut en effet rappeler que la condamnation du connétable de Bourbon avait déjà entraîné l’effacement et le bûchage de toutes les armoiries peintes ou sculptées dans son hôtel (Sauval 1724, p. 209). Quelques figures emblématiques, visiblement datant d’avant 1527, avaient pourtant survécu à l’action des bourreaux et trouvent mention dans les sources textuelles.
Par ce biais, nous apprenons que, suivant l’usage commun dans les résidences de l’aristocratie, urbaine comme à la campagne, l’identité du propriétaire des lieux était tout d’abord révélée, à l’extérieur, par armoiries exposées sur les toits de l’édifice. A l’hôtel de Bourbon les armes de la famille se montraient depuis le toit de l’« oriel » (un balcon fermé et couvert par une toiture) placé sur le pignon du corps principal de l’hôtel donnant vers la Seine, une structure qu’on peut encore aisément reconnaître dans La Pietà dite de Sain-Germain-des-Près (Paris, Musée du Louvre, inv. 8561) (De Berty 1885, p. 37). D’après la description que Nicolas-Claude Fabry de Peiresc († 1637) en fait, les armes de Louis II de Bourbon étaient « portées en l’air revestües de plomb doré » (De Vaivre 1972, p. 4) (armoirie 1). La composition héraldique, qui ornait vraisemblablement une banderole, ressemblait de près celle que l’on voit sur le deuxième grand sceau du duc (Sigilla). Peiresc décrit en effet un « grand éscu (semé de fleur de lis au baston de Bourbon) suspendu en penchant à un tronc de fer », dans lequel il faudra peut-être voir une allusion à la devise de la colonne utilisée par le duc dès 1367 (Devise) ; l’écu armorié supportait un « heaume doré faict à l’antique en forme aiguüe par le feste », cimé d’un plumail de paon et orné d’« un petit bourrelet garny de quelques feuilles qui semblent aulcunement feuilles de Laurier » (De Vaivre 1972, p. 4). Il est possible que d’autres banderoles armoriées ornassent les toits de l’édifice, mais les sources ne donnent pas d’informations à ce sujet. Elles nous informent en revanche que le clocher de la grande chapelle, située vers l’hôtel d’Alençon, était « enceint et entouré d’un cercle de plomb doré, chargé, en façon de chappeau ducal, de fleurs de lys, deschiquetè en tête de chardon » (Favyn 1720, p. 782). Même si le clocher « s’élevait bien au-dessus du toit » (De Berty 1885, p. 39), il est impossible de dire si la composition était visible de l’extérieur.
L’hotel de Bourbon, IIe moitié du XVIe siècle, dans De Berty, Topographie historique du vieux Paris, t. 1.
L’emblématique ducales était bien présente dans le décor des autres parties de l’hôtel, surement d’une manière encore plus importante de celle que les sources écrites restituent. A travers cette ornementation, Louis II « matérialise ses rêves d’un grand noble qui se voulait un modèle de chevalerie » (Roux 1991, p. 101), mais aussi exprime sa fidélité à la couronne, par la représentation insistée des armes du roi. Le portail d’entrée de l’hôtel, connu sous le nom de « porte dorée » en raison de sa décoration riche en dorure, présentait les armes de Louis II, peintes (Sauval 1724, p. 210) (armoirie 2). Sur la porte, l’armoirie Bourbon était accompagnée par la devise personnelle de Louis, par la suite adoptée comme figure emblématique favorite de la famille : la devise de la ceinture Esperance (Devise). Une ceinture, que les auteurs modernes attribuent à un ordre du Chardon dont on trouve toutefois jamais mention dans les sources (Devise), était en effet sculptée « en haut de la porte et dans toute sa largeur » (donc, sur l’architrave ?) et également au milieu de chaque vantaux, où elle était accompagnée par le mot « Esperance » tracé en lettres capitales (Sauval 1724, p. 210). Il est possible que la façade de l’hôtel avait été plus tard timbrée aussi par Charles III, qui y fit représenter un écu à ses armes, en 1523 « jauny avec du saffran, marque d’ignominie » (De Mezeray 1690, p. 444, cit. par Robin 2019) (armoirie 3). Les éléments emblématiques envahissaient tous les espaces de l’hôtel, étant reproduits sur le clocher de la chapelle mais aussi sur sa charpente ; sur la charpente de la grande salle (la plus vaste du royaume d’après Sauval), de la gallérie, du corps du logis, et encore, visiblement sculptés en reliefs, sur des pierres et des colonnes. Dans la balustrade du logis donnant sur le fleuve, réalisée en pierre de taille, les fleurs de lys étaient accompagnées par les lettres « de capitales antiques » format le mot « Esperance » (ibid.), alors que, sur une console, un ange tenait la devise de la ceinture (De Vaivre 1972, p. 4).
Nicolas Peiresc, armoirie Bourbon à l’hotel de Bourbon (d’après De Vaivre 1972).
L’héraldique marquait également d’autres espaces de la résidence, même si sa présence est souvent plus difficile à saisir. Il ne faut pas oublier par ailleurs que les armoiries de Bourbon avaient été directement visées par l’exécution de la condamnation rendue le 26 juillet 1527, deux mois après la mort du connétable à Rome (voir Paris, BnF, ms. Fr. 18446, f. 437). Certaines sources se limitent en effet à affirmer que dans « tous les autres endroits de son hotel », le duc de Bourbon avait fait représenter les armoiries familiales « avec le collier du chardon, et la ceinture de l’écu d’or » (Sauval 1724, p. 210), enseigne de l’ordre chevaleresque crée par Louis II en 1367. C’est par exemple le cas de la voûte de la grande salle, où les écussons aux armes de Bourbon (armoirie 4) accompagnaient, selon De Berty (1885, p. 39), les emblèmes de l’ordre du Chardon (il s’agissait vraisemblablement de la devise de la ceinture Esperance : De Vaivre 1972).
Des informations plus précises sont finalement données seulement sur le décor de la « très spacieuse » chapelle. Les armes de Bourbon, penchées timbrées et soutenues par des anges, étaient tout d’abord représentées sur les vitres datant vraisemblablement de la phase de construction de l’hôtel (armoirie 5), comme l’indique le fait qu’elles adoptaient encore la forme d’un semé de fleurs de lys (Favyn 1720, p. 781) (les Bourbon passeront à l’armoirie à trois fleurs de lys seulement avec Jean Ier, fils et successeur de Louis II). Dans les croisées de la voûte, où des traces d’écriture gotique étaient encore visibles au XVIIIe siècle, étaient d’ailleurs représentées les armes de Charles VI, fils de Jeanne de Bourbon, sœur de Louis II (armoirie 6). Elles apparaissaient également « […] à côté de celle(s) du fondateur » (Sauval 1724, p. 209) dans l’ « oratoire de menuiserie à claire voye », placé à gauche de l’autel. Cette structure, dans laquelle le duc assistait aux fonctions, était en effet ornée de quatre écus armoriés gravés dans le bois. Dans une disposition respectant un ordre hiérarchique assez clair, l’armoirie de Charles VI (armoirie 7) (« à cause que cette chapelle fut achevée sous son regne ») était suivie par celles du Dauphin (armoirie 8), de Louis II de Bourbon (armoirie 9) et d’Anne de Forez († 1417) (armoirie 10), femme de ce dernier (Sauval 1724, p. 210-211 qui précise que des débris de cette structure étaient encore conservés à son époque dans la sacristie).
Naturellement, dans des résidences fastueuses comme les hôtels princiers parisiens l’étaient, le décor « monumentale » pouvait être complété, selon les nécessités, par un décor mobile également caractérisé par des éléments héraldiques. C’est par exemple le cas, pour l’hôtel de Bourbon, du « grand tapis de champ pers semé de fleurs de lys » mentionné en 1457 et 1465 (Roux 1991, p. 87).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Paris, Hôtel de Bourbon, https://armma.saprat.fr/monument/paris-hotel-de-bourbon/, consulté
le 23/11/2024.
Bibliographie sources
De Mezeray, François-Eudes, Abrégé chronologique de l’histoire de France, t. 2, Paris 1690.
Favyn, André, Le théâtre d’honneur et de chevalerie, Paris 1720.
Knobelsdorf, Eustache, Lutetiae descriptio, éd. O. Sauvage, Grenoble 1978.
Bibliographie études
Berthy, Adolphe, Topographie historique du Vieux Paris, t. 1, Région du Louvre et des Tuileries, Paris 1885, p. 33-39.
Mérindol Christian de, La maison des chevaliers de Pont-Saint-Esprit, t. 2. Les décors peints : corpus des décors monumentaux peints et armoriés du Moyen Âge en France, Pont-Saint-Esprit 2001, p. 331, num. 267.
Ribera-Perville, C. « Les hôtels parisiens de Louis Ier d’Orléans (1372-1407) », Bulletin de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Ile-de-France, 1981, p. 23-70.
Robin, Antoine, Iconoclasme héraldique d’Etat : le cas du connétable de Bourbon, mémoire de Master 1, Université de Clermont Auvergne, 2019.
Roux, Simone, « Résidences princières parisiennes : l’exemple de l’hôtel de Bourbon, fin XIVe-milieu XVe siècle », dans H. Patze, W. Paravicini (dir.), Fürstliche Résidenzen im spätmittelalterlichen Europa, Sigmaringen 1991, p. 75-101.
Sauval, Henri, Histoire et recherche des antiquités de la ville de Paris, t. 2, Paris 1724.
Vaivre Jean-Bernard de, « Un document inédit sur le décor héraldique de l’ancien hôtel de Bourbon à Paris », Archivum Heraldicum, 86, 1, 1972, p. 2-10.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Paris, Hôtel de Bourbon. Armoirie Louis II de Bourbon (armoirie 1)
D'(azur) semé de fleurs de lys d'(or), au bâton de (gueules) en bande brochant.
Attribution : Bourbon Louis II de
Cimier : Un plumail de… Lambrequin : de… semé de feuilles de laurier de…
Position : Extérieur
Étage : Toit
Emplacement précis : Oriel
Support armorié : Banderole ; Girouette
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Paris, Hôtel de Bourbon. Armoirie dauphin de France (armoirie 8)
(Écartelé au 1 et 4 d’azur à trois fleurs de lys d’or (France) et au 2 et 3 d’or au dauphin d’azur, crêté, barbé, loré, peautré et oreillé de gueules(Dauphiné)).
Attribution : Dauphin de France
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle
Emplacement précis : Autel
Support armorié : Oratoire
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Paris, Hôtel de Bourbon. Armoirie Anne de Forez (armoirie 10)
(Mi-parti, d’azur semé de fleurs de lys d’or, au bâton de gueules en bande brochant (Bourbon) et écartelé au 1 et 4 de gueules au dauphin d’or (Forez), et au 2 et 3 d’or au dauphin d’azur (Dauphiné d’Auvergne)).
Attribution : Forez Anne de (Anne Dauphine d'Auvergne)
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle
Emplacement précis : Autel
Support armorié : Oratoire
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue