L’abbaye augustinienne dite de Notre-Dame des Fontenelles fut fondée entre 1126 et 1136 par Geoffroy de Lauriol (ou du Louroux), nommé évêque de Bordeaux par la suite (Brutails 1922 ; Masson 2013), sur des terres qui lui furent léguées par Guillaume X d’Aquitaine pour y installer une communauté de religieux (Rédet 1837, p. 230-234). Présentant un plan cruciforme avec nef sans collatéraux et transept doté d’absidioles, l’église abbatiale fut incendiée pendant la Guerre de Cent Ans pour éviter que les anglaises y trouvaient abri. Bien que des réparations à l’édifice avaient été déjà demandées au sénéchal du Poitou en 1362 (Rédet 1837, p. 245 ; Ledain 1897, p. 285-286), il faudra attendre l’abbatiat de Guy Doucet (1435-1438 : Gallia christiana, col. 1343) pour que de grands travaux d’aménagement soient lancés. Ceux-ci intéressèrent notamment le mur sud de l’église et sa façade avec son portail (ibid.), aussi bien que les édifices conventuels annexes.
Les armoiries de l’abbé marquent les parties reconstruites. Notamment, la façade de l’église présente une intéressante mise en scène de l’autorité abbatiale autour d’une niche probablement destinée à abriter une statue. Si le baron de Guillermy en 1855 trouva en effet encore la statue d’un saint Sébastien à son intérieur (Crozet, Clément 1941, p. 519), il est probable qu’à l’origine elle était occupée par une image de la Vierge, à laquelle l’abbaye est consacrée. Un cordon mouluré suit le profil de la pierre sculpté en fonction de larmier. Deux écus sont placés de part et d’autre de l’accolade qui trace le profil supérieur de la niche (armoiries 1, 2), tandis qu’un écusson de plus petit format a été sculpté entre les deux (armoirie 3), au milieu d’un encadrement en forme d’ogive. Aucune trace d’armoiries n’est plus lisible sur la surface des trois écus, mais l’inscription en lettres minuscules gothiques qui les accompagne autorise à croire qu’ils portaient les armes de Guy Doucet. On y lit en effet : Guido Dousseti abbas huius loci (Longuemar 1863, p. 238, num. 117-118 ; Masson 2012, p. 407).
À droite de la niche, une deuxième plaque armoriée et inscrite a été rajoutée à la gloire de l’abbé, à l’époque probablement déjà décédé. L’inscription, qui suit le portour de la pierre, rappelle – en langue vernaculaire – l’œuvre de Guy Doucet et invite à prier pour son âme : Guy Doucet abbé // de cest lieu / fit iadis en loneur de Dieu / moult réparer // cest église / en gloire soit son âme mise. Amen (ibid.). Un grand écu (armoirie 4), en relief, occupe une grande partie de la pierre : sa pointe fractionne la ligne inferieure de l’inscription, tandis que la crosse sur laquelle il était apposé – on peut en deviner encore le crochet – interrompait celle supérieure. Bûché à la Révolution, il devait porter également les armes de l’abbé Guy Doucet.
Enfin, un grand écu aux armes du roi de France (armoirie 5a), timbré d’une couronne et protégé par un larmier très prononcé, fut inséré dans la partie supérieure de la façade, juste en dessus de la grande fenêtre. D’après Louis Rédet (1837, p. 256), il s’agirait d’une ajoute tardive réalisée par les génovéfains qui prirent possession de l’abbaye au XVIIesiècle (Gertrude). Pourtant, si aucune altération de la maçonnerie ne semble visible dans cette partie de la façade telle de laisser penser à une intervention successive, la forme de l’écusson – très proche de celui représenté sur la plaque à côté de la niche – et de la couronne (encore ouverte), mais aussi le style des fleurs de lys nous semblent plutôt cohérents avec une datation à la seconde moitié du XVe siècle. La reconstruction de la façade aurait donc pu alors s’achever avec l’insertion de l’écu de France au sommet du pignon, pour manifester la fidélité de la communauté religieuse locale à la couronne au terme des troubles provoqués par la guerre contre les anglais. D’ailleurs, l’armories à trois fleurs de lys est une présence constante dans les autres corps de bâtiment du couvent érigés à cette époque.
Niche inscrite et armoriée. Fontaine-le-Comte, abbaye Notre-Dame, façade.
Guy Doucet n’arriva cependant pas à porter à terme les travaux qu’il avait fait entreprendre, comme la susmentionnée inscription sur la façade semble l’indiquer. Le chantier fut continué et porté à terme par François Ardillon, abbé de 1471 à 1502, dont les armes (d’azur à trois boucles de ceinture d’or, l’ardillon en pal : Beauchet-Filleau 1891, p. 96) sont sculptées au sommet de la voûte du bras sud du transept (Rédet 1837, p. 257 ; Hamon 1970, p. 84, note 1) (armoirie 6). Posé sur une crosse, l’écusson aux armes de l’abbé est placé au milieu de la bande faitière qui parcourt la voûte, selon une solution employée, dans les mêmes années, par un abbé dans la refection de la voûte de l’église Saint-Savin-sur-Gartempe. Nous remarquerons que l’écu de François Ardillon est orienté avec le chef tourné en direction de la croisée du transept et donc, vraisemblablement, du maître autel. Cette présence héraldique ne permet pas d’établir si l’intervention de l’abbé François se limita à cette partie de l’édifice ou si elle interessa tout le système de couvertures de l’église. Une nouvelle destruction du toit de la nef fut en effet provoquée par les guerres de religion, tandis que la couverture du bras nord du transept s’écroula au XIXe siècle (Chergé 1843, p. 400-402) : les deux accidents ont bien pu comporter la disparition d’autres éléments héraldiques.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Fontaine-le-Comte, abbaye Notre-Dame (église), https://armma.saprat.fr/monument/fontaine-le-comte-abbaye-notre-dame-eglise/, consulté
le 03/04/2025.
Bibliographie sources
Gallia christiana in provincias ecclesiasticas distributa, t. 2, Paris 1720.
Bibliographie études
A. de Longuemar, « Epigraphie du Haut-Poitou », Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 1, 28, 1863, p. 43-399.
L. Rédet, « Notice historique sur l’abbaye de Fontaine-le-Comte, près Poitiers », Mémoire de la société des Antiquaires de l’Ouest, s. 1, 3, 1837, p. 226-261.
Ch. de Chergé, « Rapport d’ensemble sur les monuments historiques du département de la Vienne », Bulletin monumental, 9, 1843, p. 386-446.
H. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 1, Poitiers 1891.
B. Ledain, « Les maires de Poitiers », Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 2, 20, 1897, p. 215-774.
J.-A. Brutails, « Geoffroi du Louroux, archevêque de Bordeaux de 1136 à 1158, et ses constructions », Bibliothèque de l’École des chartes, 83, 1922, p. 54-64.
R. Crozet, J. Clément, « Les notes archéologiques du baron de Guilhermy sur les monuments de Poitiers et du Poitou », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 3, 12, 1, 1941, p. 497-530.
A. Hamon, Un grand rhétoriqueur poitevin : Jean Bouchet,1476-1557 ?, Genève 1970.
J. Masson, Geoffroi du Loroux et l’architecture religieuse en Aquitaine au XIIe siècle, thèse de doctorat, dir. Ph. Araguas, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, 2012.
J. Masson, « Geoffroi du Loroux et l’architecture religieuse en Aquitaine au XIIe siècle », Bucema. Bullettin du centre d’études médiévales d’Auxerre, 17, 1, 2013 (en ligne).
