Jadis située sur l’ancienne place du marché de la ville de Beauvais, en proximité de l’angle avec la rue de la Madeleine, la maison des Trois Piliers – anciennement dite aussi du Pilier royal, des Piliers ou des Piliers royaux – était formée de trois corps de bâtiments, édifiés à des époques différentes. Deux maisons indépendantes sont en effet documentées à cet endroit depuis le XIIIe-XIVe siècle : l’une avait été offerte en 1210 par un bourgeois de la ville à l’Hôtel Dieu (Chauvat 1890, p. 392-393, 397), l’autre avait été achetée par les mêmes religieux en 1370 (ibid., p. 399). Rapidement abandonnés par leurs propriétaires, qui s’installèrent dans le nouvel Hôtel Dieu dès la fin du siècle, les deux édifices – à identifier respectivement avec l’hôtel dit du Pilier et celui des Trois-Piliers (ibid., p. 413) – furent loués jusqu’au début du XVIe siècle sans probablement subir des transformations significatives.
Beauvais, vue de la portion sud-est de la place du marché (place de l’hôtel de ville) avec la maison des Trois Piliers (avant 1940).
En 1505 André Pajot obtient cependant des religieux un nouveau bail emphytéotique en échange de l’engagement à « faire et édifier sur lesdictz héritages, en dedans trois ans prouchainement venans, un corps d’ostel neuf, sur le devant » (ibid., p. 401). Il s’agit de toute évidence du corps de bâtiment donnant sur la place, érigé au but d’unir et raccorder les deux maisons déjà existantes, qui furent probablement conservées (ibid., p. 403). Il présentait un corps en saillie soutenus par quatre piliers qui, d’après François Chauvat, avaient été réalisés en retravaillant des colonnes qui étaient déjà sur place, ayant été déjà utilisées dans la construction plus ancienne (ibid., p. 404). L’édifice ainsi formé fut occupé par la famille Pajot jusqu’à la fin du XVIe siècle sur la base des accords de 1505, avant d’être cédé à d’autres locataires, l’Hôtel-Dieu gardant cependant la propriété de l’immeuble (ibid., p. 406-408). Vendu en 1823 par l’administration des hospices de Beauvais (ibid., p. 416), il fut finalement acheté en 1887 par Paul Damez, membre de la Société académique de l’Oise (ibid., p. 392), qui y fit réaliser « de grands travaux » (ibid., p. 403, 417). Classée au titres des Monuments Historiques en 1889 (base POP), la maison des Trois Piliers fut détruite en 1940 lors du bombardement aérien de la ville de Beauvais (ibid.).
Beauvais, maison des Trois Piliers avant sa destruction, détail des piliers armoriés.
Malgré la disparition de l’édifice, nous pouvons avoir une connaissance assez précise de l’ornementation héraldique du corps de bâtiment érigé par André Pajot. Maire de la ville de 1519 à 1521 (Roger 1842, p. 157), celui-ci voulut que l’ornementation extérieure du corps de bâtiment qu’il avait fait réaliser réfléchisse la fonction qu’il exerçait au moment de son installation dans la maison des Trois Piliers en tant qu’élu pour le roi en la ville de Beauvais. Les piliers de la façade étaient en effet ornés d’un riche décor héraldique sculpté et à l’origine peint, comme des traces de peinture encore visibles à la fin du XIXe siècle l’indiquaient (Chauvat 1890, p. 406). Les fûts étaient ainsi couverts d’un réseau de losanges encadrant des fleurs de lis et leurs chapiteaux étaient ornés de couronnes fleurdelisées. L’un des quatre piliers était en outre orné de huit écussons armoriés. Epargnée par les révolutionnaires en 1793 mais paraît il endommagée lors des insurrections de 1848, d’après une note manuscrite laissée au verso d’un dessin d’Antoine-Louis Goblain qui la reproduit (Paris, BnF, dép. Estampes et photographie, EST RESERVE VE-26 (I)), cette colonne armoriée survit au bombardement de 1940, à l’instar des trois autres qui l’accompagnaient, et, bien que très endommagée, intégra en 1972 les collections du musée départementale de l’Oise (Beauvais, MUDO-Musée de l’Oise, inv. 72.21 : base POP). Un moulage de ce même pilier avait été en outre réalisé en 1888 (Chauvat 1890, p. 417) pour être exposé au Musée des Monuments français au Trocadero (Enlart, Roussel 1910, p. 163, inv. F 13-14 ; base POP).
La série héraldique était vraisemblablement ouverte par un écu aux armes de France timbré d’une couronne (armoirie 1a), suivi par un écu chargé des instruments de la passion du Christ (armoirie 2). Surmonté d’une ceinture à laquelle était suspendue une bourse, ce dernier avait été attribué par Chauvat aux confrères de la Passion, dont le rapport avec la maison des Trois Piliers et son locataire demeure cependant obscur. Il nous semble plus plausible que l’écu aux « arma Christi » identifiait plus simplement Jésus Christ, auquel étaient souvent attribuées des armoiries de ce type (Paris, AN, ms. AE I 25, no./MM 648, Armorial Le Breton, p. 6). La construction et ses occupants aurait été ainsi placés sous la protection divine.
La série était complétée par six autres écus armoriés, tous surmontés par un cartouche aujourd’hui anépigraphe. Nous pouvons reconnaître les armes de la ville de Beauvais (armoirie 3), des Bourbon (armoirie 4) – qui au début du XVIe siècle avaient encore le titre de comtes de Clermont-en-Bauvaisis avec Suzanne, fille de Pierre II et d’Anne de Beaujeu –, d’Anne de Bretagne (armoirie 5) – avec cependant les hermines de Bretagne à dextre –, de France mais sans couronne (armoirie 1b), de Pajot (armoirie 6a) et, pour finir, du Dauphin de France (Chauvat 1890, p. 404-405) aux dauphins contournés (armoirie 7). Nous noterons que dans les armes des Pajot le chevron habituel (base Bibale) est remplacé par un lacs d’amour (ibid., p. 405), accosté des lettres D et P, dont la signification nous échappe. Puisque nous pouvons exclure que la première lettre faisait reference à la femme d’André Pajot, qui s’appelait Jeanne Le Verzier (Deladreue 1868, p. 322, note 2), devons nous y voir une allusion au nom du bâtisseur de l’édifice (Dominus Pajot ?) ou bien les initiales de Drouard Pajot, père d’André (Bouchère de Lépinois 1876, p. 669), dont la date de mort ne semble malheureusement pas connue.
L’ornementation de la façade de l’hôtel des trois piliers était complétée per une statue en bois de la Vierge, placée dans une niche aménagée dans la partie supérieure du fût et dans le chapiteau du pilier à l’origine situé au coin de la rue des Annettes (actuelle rue de la Madeleine). Installée sur une console aux armes des Pajots (armoirie 6b), représentées de la même manière que celles sculptées sur le pilier qu’on vient de décrire, la sculpture fut déplacée avec son support armorié probablement quand de nouvelles maisons furent érigées, vers 1669, sur la rue des Annettes jusqu’à la place du marché (Chauvat 1890, p. 414-415). Ce fut probablement alors qu’elle fut installée sur la façade du même hôtel des Trois Piliers, où elle se trouvait encore en 1887 (ibid., p. 413).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Beauvais, maison des Trois Piliers, https://armma.saprat.fr/monument/beauvais-maison-des-trois-piliers/, consulté
le 23/11/2024.
Bibliographie études
Bouchère de Lépinois Eugène de, Recherches historiques et critiques sur l’ancien Comté et les Comtes de Clermont en Beauvoisis du XIe au XIIIe siècle, chap. 6, Autres localités du comté…, Beauvais 1876 (Mémoires de la Société académique d’Archéologie, Sciences et Arts du département de l’Oise, 9).
Chauvat François, « Notice historique sur l’hôtel des piliers, une vieille maison de Beauvais (Oise) », Réunion des sociétés des beaux-arts des départements, 1890, p. 391-417.
Deladreue Louis-Eudore, « Les maisons canoniales du chapitre de Beauvais et leurs possesseurs », Mémoires de la Société académique de l’Oise, 7, 1868, p. 291-347.
Beauvais, maison des Trois Piliers. Armoirie Dauphin de France (armoirie 7)
Écartelé : au 1 et 4, d'(azur) à trois fleurs de lys d'(or) (France) ; au 2 et 3, d'(or) au dauphin d'(azur) contourné, crêté, barbé, loré, peautré et oreillé de (gueules) (Dauphiné).
Attribution : Dauphin de France
Position : Extérieur
Étage : Rez-de-chaussée
Pièce / Partie de l'édifice : Façade ; Porche
Emplacement précis : Pilier
Support armorié : Fût de colonne
Structure actuelle de conservation : Beauvais MUDO-Musée de l’Oise