Montpellier, hôtel de Gayon (ostal des Carcassonne)
L’hôtel de Gayon, connu également sous l’appellation d’ostal des Carcassonne du nom de ses différents propriétaires (base POP), est une maison patricienne de la fin du XIIIe siècle ayant connu de profonds remaniements successifs. Situé en plein cœur du quartier marchand, banquier et consulaire de Montpellier, cette résidence se compose de trois bâtiments formant un quadrilatère autour d’une cour intérieure. L’angle sud-est est marqué par une tour massive de plan carré qui devait s’élever à environ 22 mètres de hauteur (Sournia, Vaysettes 2002, p. 122). Ses élévations conservent les traces de claires-voies sur trois niveaux, soulignant d’autant plus l’importance de cette partie de l’édifice. L’entrée de la maison se caractérise par un ancien passage couvert d’une voûte donnant accès à la cour intérieure où un grand escalier sur arc permettait l’accès à la grande salle du premier étage. Les autres organes de distribution se matérialisent par des galeries extérieures ou de petits escaliers dissimulés dans l’architecture. Des transformations importantes sont réalisées au XVIIe siècle, période à laquelle Montpellier connaît un nouvel essor démographique avec l’arrivée de nouveaux administrateurs royaux. Parmi eux, Pierre de Gayon, seigneur du Bosquet, est conseiller du roi à la Cour des comptes, aides et finances (Sournia, Vayssettes 2014, p. 22). Il fait réaliser une expertise de la maison en 1660, puis un prix-fait de rénovation en 1661 auprès du maçon Jean Savy dans le souhait de mettre au goût du jour cette habitation (c’est d’ailleurs grâce à ces documents qu’une restitution de la demeure médiévale est possible). L’escalier médiéval est alors détruit au profit d’un grand escalier à vis percé d’arcs en anse donnant sur la cour intérieure.
Le décor héraldique se répartit sur les murs et le plafond de la grande chambre située au premier étage du bâtiment nord. Les peintures ont été découvertes fortuitement lors de travaux de démolition effectués à l’intérieur de l’hôtel en 1999 (Ibid., p. 31). Fortement endommagées, les fresques devaient recouvrir l’ensemble des parois de la salle et se développer sur trois registres, mais seuls deux murs peints subsistent de nos jours. L’analyse stylistique des programmes iconographiques couplée à celle des éléments l’héraldiques, permet de fixer la datation de l’ensemble pictural à la fin du XIIIe siècle (Sournia, Vayssettes 2002, p. 126). Le registre inférieur forme une fausse tenture suspendue à hauteur d’appui. Le registre médian, entièrement piqueté, se compose d’un quadrillage d’entrelacs de médaillons quadrilobés recevant des scènes historiées, un bestiaire et deux armoiries qui s’alternent (Ibid., p. 125-126 ; Joly-Rolland 2016, p. 14) : l’une porte un lion (armoirie 2), l’autre une cloche surmontée d’une fleur de lys (armoirie 1), que nous pouvons attribuer à la famille Carcassonne, les plus anciens propriétaires connus de l’îlot, qui semblent conserver la propriété de l’immeuble jusqu’en 1499, date à laquelle le bien est vendu à Jacques de Saint-Loup (Sournia, Vayssettes 2002, p. 127). Une variante de cette armoirie, avec trois cloches surmontées d’une fleur de lys, est peinte à plusieurs reprises sur le plafond (armoirie 3).
B. Sournia, Relevé des peintures murales de la grand-chambre de l’hotel de Gayon à Montpellier.
L’identification de l’armoirie avec celle des Carcassonne découle de son meuble principal une cloche, dont la dimension sonore ferait écho à la partie final du nom de la famille (Carcas-sonne) (Mérindol 2007, p. 78 ; Maritaux 2013). Si le lignage est documenté à partir du XIIe siècle, c’est effectivement aux XIIIe-XIVe siècles qu’il bâtit sa fortune (Sournia, Vayssettes 2014, p. 48-49). À cette période, Montpellier est un centre de production important de la draperie, ouvert sur la Méditerranée, notamment avec le rouge carmin, couleur similaire à celle utilisée dans les peintures de la chambre. Jaume (Jacques) Carcassonne et son frère Guillaume s’enrichissent alors grâce au commerce du drap et des épices et, entre 1384 et 1418, occupent le siège de premier consul de la ville (Ibid., p. 50-51). Néanmoins, puisque aucune autre trace des armoiries de cette famille n’a été trouvée à d’autres endroits ou sur d’autres supports jusqu’à présent et aucun lien entre les Carcassonne et ce bâtiment a été établi avec certitude pour la fin du XIIIe siècle, cette identification reste une hypothèse. Il sera tout de même intéressant de noter que la fresque se termine par une frise mettant en scène la vie de saint Eustache, patron des drapiers accompagné de moutons et de chênes kermès, permettant l’un et l’autre la production de laine et de cochenilles.
L’armoirie au lion peinte sur les murs (armorie 2) soulève également plusieurs interrogations. L’impossibilité d’accéder aujourd’hui au décor, ainsi que son état de conservation très altéré, nous obligent à nous appuyer sur les descriptions réalisées par nos prédécesseurs. D’après ceux-ci il s’agirait de la même armoirie visible sur un linteau de la maison 3 rue des Sœurs noires (Montpellier) : placée aux côtés des écus d’Aragon, de France et de Plantagenêt, elle a été identifiée comme celle des Montfort (Vayssettes 2017, p. 12, p. 58 ; Mérindol 2002, p. 79). Or, les armoiries de Montfort sont connues de gueules au lion d’argent à la queue fourchue (cf. Douët d’Arcq 1863, p. 376, num. 708 bis : Sigilla ; vitrail de la cathédrale Notre-Dame de Chartres), tandis qu’ici le lion serait d’or (Vayssettes, Sournia 2014, p. 43). Il pourrait donc correspondre aux armes de la famille rouergate Morlhon, seigneurs du lieu (Barrau 1853, p. 613). Cette armoirie, la seule de l’ensemble à ne pas présenter de cloche, occupe uniquement les registres inférieurs du faux appareil, en parallèle donc à l’armoirie attribuée aux Carcassonne (armoirie 1) qui se répète sur les registres supérieurs (Mérindol 2007, p. 79). De fait, sa présence interroge : si elle renvoie bien à une famille, quels liens pouvait-elle avoir avec les Carcassonne ? Selon Jean-Louis Vayssettes et Bernard Sournia (2014, p. 43) il pourrait s’agir des armoiries de l’épouse du commanditaire de ces peintures mais, malheureusement, aucune source ne permet de le confirmer.
Fragment du plafond peint avec cavalier de l’hôtel de Gayon à Montpellier.
Du plafond de cette salle, seuls une poutre et plusieurs fragments ont été préservés (Maritaux 2015, p. 1). Initialement, il se composait de deux poutres soutenant trois travées de onze solives avec planches de rive formant caissons pour chaque travée (Sournia, Vayssettes 2002, p. 123). La sous face du plafond était divisée par des couvre-joints créant de faux caissons au centre desquels était clouée une étoile dorée. L’analyse dendrochronologique des poutres et des solives a permis de dater l’abattage des bois aux alentours des années 1270 et 1280 (Ibid., p. 125), ce qui porterait donc à croire qu’ils avaient été peints entre 1270 et 1300, donc à la même époque de celles que l’on vient de décrire sur les murs. Le sauvetage du plafond et son démontage a permis de découvrir les traces d’un décor non moins important qui apporte des informations complémentaires sur la production de ce type de structure. Sur les faces apparentes des closoirs et des planches de rive se répète une armoirie (armoirie 3) tout à fait similaire à celle visible sur les parois (armoirie 1), à un détail près : elle porte trois cloches à la place d’une seule. Cette différence de composition pourrait se justifier par l’emplacement et le support des peintures. Sur les murs de la salle, les médaillons servent à couvrir une grande surface tout en créant un rythme. Pour cela, chaque médaillon alterne un sujet iconographique différent qui se répète pour réaliser un jeu d’optique. L’armoirie des Carcassonne est alors réduite à un seul meuble héraldique, dont la symbolique apparaît suffisamment compréhensible pour le commanditaire. Sur le plafond, l’armoirie est peinte dans un écu disposé sur les closoirs ou les planches de rives dont les dimensions sont beaucoup plus grandes que celles des médaillons des fresques. Le traitement stylistique y est plus soigné avec une attention particulière au volume des cloches. A ce stade, nous ne pouvons toutefois pas exclure que le décor fait coexister armoirie familiale et armoirie personnelle du commanditaire (ou d’un autre membre/branche de la famille), celle-ci présentant une sorte de brisure.
Fragments du plafond peint de l’hôtel de Gayon à Montpellier pendant leur restauration.
Par ailleurs, ces bois ont été peints en réutilisant des fragments d’un plafond armorié plus ancien. Au revers des closoirs et des planches de rive, trois armoiries ont été en effet découvertes, de plus grande taille par rapport à celles que nous venons de voir. Parmi celles-ci, nous retrouvons celle à trois cloches (armoirie 4), dont le chef et la pointe ont été coupés de toute évidence pour adapter le bois à son emplacement. La deuxième armoirie « dissimulée » (armoirie 5) propose une autre variante des armes de la famille Carcassonne, avec un fretté d’or et un semé de cloches fleurdelisées. Elle est visible à l’avers d’un closoir et d’un fragment du plafond. Enfin, une armoirie endentée (ou peut-être vairée d’après les conventions formelles de l’époque) (armoirie 6) est conservée une seule fois au revers d’un closoir dont les bords ont aussi été rabotés pour sa réutilisation. Plusieurs éléments posent problèmes quant à l’origine de cet ensemble armorié. En effet, le fait que les écus soient chacun soigneusement peint à la différence des fonds des closoirs laissés vierges interroge sur la destination initiale de ces panneaux. Plusieurs hypothèses sont alors possibles : soit ils formaient un premier plafond, soit ils étaient voués à un autre chantier (pour un autre plafond de ce même hôtel ?), soit il s’agit d’ébauches pour les armoiries des Carcassonne (mais cette dernière hypothèse semble toutefois à évacuer en raison du caractère soigné et fini des peintures). D’après le rapport de restauration, la datation des peintures du plafond est d’ailleurs incertaine (Maritaux 2015, p. 10-12). Si la dendrochronologie fixe l’abattage des bois aux alentours des années 1270 et 1280, contrairement au système de poutraison, plusieurs indices révèlent que les closoirs et les planches de rives ont été remplacées ou remployées avec un certain décalage par rapport à leur première utilisation.
En outre, le rapport de restauration du plafond démontre que les avers et les revers des fragments sont de même facture, suggérant une réalisation contemporaine (Ibid., p. 7). Ces observations posent dès lors un problème dans la chronologie de la réalisation des peintures. En croisant les informations, il semblerait qu’un premier plafond ait été réalisé au même moment que les peintures murales à la fin du XIIIe siècle. Celui-ci correspond au système de poutraison sur lequel les prélèvements dendrochronologiques ont été effectués. Les revers des panneaux, initialement plus grand, ont très certainement été pensé pour un premier plafond mais dont l’emplacement au sein de l’hôtel ne peut être assuré (même si la présence d’armoiries « à la cloche » déjà dans cette première version rend l’hypothèse plausible). Sa datation ne peut être confirmée faute d’analyse scientifique possible et de connaissances suffisantes pour identifier les possesseurs des armoiries. Enfin, ce premier ensemble aurait été démantelé et ses avers repeints et placé dans un nouveau plafond mêlant des supports réutilisés et, probablement, nouvelles planches de bois. Ces peintures s’inscrivent dans une production artistique de la fin du XIIIe siècle et du premier quart du XIVe siècle, mais il est difficile de resserrer davantage la datation. Une étude croisée avec un ensemble montpelliérain récemment découvert (Torterotot 2022) pourrait aider à dater plus précisément le plafond de l’hôtel de Gayon en raison des fortes similitudes stylistiques des scènes historiées.
Auteur : Marion Ortiz
Pour citer cet article
Marion Ortiz, Montpellier, hôtel de Gayon (ostal des Carcassonne), https://armma.saprat.fr/monument/montpellier-hotel-de-gayon-ostal-des-carcassonne/, consulté
le 24/11/2024.
Bibliographie sources
Douët d’Arcq Louis, Inventaire de la collection des sceaux des Archives de l’Empire, t. 1, Paris 1863.
Bibliographie études
Barrau Hippolyte de, Documents historiques et généalogiques sur les familles du Rouergue dans les temps anciens et modernes, t. 1, Rodez 1853.
Joly-Rolland Agnès , Hôtel de Gayon. Restauration des fresques. Étude préalable, s.l. 2016.
Mérindol Christian de, « Décors peints de trois résidences patriciennes du sud de la France au XIIIe siècle : une nouvelle lecture », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 2009, p. 73-86.