Classée au titre des Monuments Historiques depuis 1930 (base Mérimée), la maison de la rue Foy aurait été construite au cours du dernier quart du XIIIe siècle ou au début du XIVe siècle (Foltran 2016, t. 3, p. 506). Elle se développe sur trois niveaux composés chacun d’une salle, dont seuls le rez-de-chaussée et le premier étage sont aujourd’hui accessibles. À l’origine, l’édifice devait faire partie d’un ensemble plus vaste comme en attestent plusieurs percements dans le mur intérieur sud, aujourd’hui bouchés, permettant une communication avec l’immeuble voisin (Ceccantini 2014, p. 39). Menacée d’effondrement, l’élévation extérieure a été remontée en 1930 par l’architecte Henri Nodet (ibid., p. 19-22). Le rez-de-chaussée conserve les traces de trois arcs en plein cintre, dont deux sont aujourd’hui bouchés. Ils devaient probablement ouvrir sur l’étal d’une boutique. Le premier niveau est percé de deux croisées, datables de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle. La charpente de toit a quant à elle été abaissée en 1933 en raison de son état de délabrement responsable d’altérations aux niveaux inférieurs.
Le décor armorié se concentre sur le plafond à caissons du premier étage. Celui-ci est composé de six caissons formés par le croisement de deux poutres transversales et d’une poutre longitudinale composée de trois sections. Chaque caisson mesure 2,50 mètres de long pour 1,50 mètres de large. Le deuxième caisson nord est raccourci dans sa largeur pour intégrer la trémie d’une cheminée du XVIIe siècle. Cet aménagement devait exister dès la construction du plafond. Au total, celui-ci compte 70 closoirs sur lesquels se concentrent la majorité des peintures conservées : une partie de ce décor a été en effet détruite par l’aménagement d’un escalier moderne, disparu depuis les restaurations du début du XXe siècle, et d’autres panneaux ont été fortement altérés par des infiltrations d’eau et sont actuellement couverts de suie. Datée de la fin XVe siècle grâce à la dendrochronologie et à l’héraldique (ibid., p. 34), la charpente conserve un riche programme iconographique où les visages et les écus, mêlant armoiries et marques de marchands, forment la majorité du décor.
Les armoiries se répartissent dans des espaces spécifiques du plafond, permettant de proposer une première lecture des intentions du commanditaire. Elles se trouvent sur au moins dix-neuf closoirs, dont la majorité dans le caisson II et le caisson IV. Les panneaux du caisson II sont les plus endommagés et par conséquent les plus difficiles à lire. Il a été possible d’y recenser trois armoiries différentes (armoiries 1, 2, 3), sans pour autant parvenir à les identifier. Laura Ceccantini établit un lien entre une de ces armoiries (armoirie 2) et celles des Ghiringhelli, une famille de notaires et de marchands italiens issue de Bellinzona et portant des armoiries similaires (ibid., p. 71-72). Malheureusement, l’absence d’informations concernant les liens de cette famille et Lagrasse, mais également les familles lagrassiennes du début du XVIe siècle, rend cette hypothèse incertaine. Toutefois, leurs emplacements, à proximité de la cheminée, supposent qu’il s’agit d’armoiries de familles influentes.
Le caisson III conserve les armes de la famille des Lévis (armoirie 4). Représentées à deux reprises sur chacune des poutres, elles s’insèrent au sein de plusieurs marques de marchands et d’une série de visages. Seigneurs de Mirepoix depuis le XIIe siècle, les Lévis sont une famille influente dans le Languedoc médiéval. À la fin du XVe siècle, plusieurs de ses membres occupent des fonctions politiques et religieuses importantes. Parmi eux, le seigneur de Mirepoix, Jean V de Lévis, est sénéchal de Carcassonne et de Béziers (v. 1490-1512). Son frère Philippe est évêque de Mirepoix (1497-1537) et abbé de Lagrasse (1502-1537) (Foltran 2016, t. 1, p. 183) (armoirie 14). Plusieurs hypothèses ont pu être formulées pour justifier la répétition de ces armoiries, en proposant notamment d’identifier le propriétaire de la maison comme un membre de la famille Lévis. Mais pour Laura Ceccantini, la forte présence de marques de marchands conduit à remettre en question cette théorie (Ceccantini 2014, p. 101-102). De plus, celles-ci sont placées de part et d’autre de la cheminée, espace hiérarchiquement supérieur de la salle, soulignant l’importance de ces familles.
Le caisson IV conserve neuf closoirs armoriés avec, au-dessus de la poutre est, six écus armoriés, à l’état de conservation variable. Ils font face aux armes du roi de France (armoirie 11) et à deux closoirs entièrement lessivés laissant transparaître les profils d’écus également timbrés d’une couronne (armoiries 12, 13). Il pourrait s’agir des armes royales, mais la disparition totale des meubles empêche d’affirmer cette proposition de lecture. Les armoiries de la poutre ouest (armoiries 5-7) semblent être chacune différentes. Pour autant leur identification pose différents problèmes. La première (armoirie 5) est encadrée par les lettres RU SOI. Laura Ceccantini propose d’y voir les armes de la famille Rusoi, mais il n’a pas été possible de trouver d’informations sur cette famille (Ibid., p. 70). L’écu suivant (armoirie 6) présente une armoirie identique à celle d’une famille poitevine, les Brochard de la Rochebrochard (Ceccantini 2017, p. 128 ; Jougla de Morenas 1938, p. 268). Or, aucune branche de cette famille ne semble s’être installée en Languedoc, ni entretenir des relations avec des familles locales. Toutefois, des armoiries similaires, d’argent au pal de gueules accosté de quatre pals d’azur, ont pu être recensées sur d’autres plafonds lagrassiens contemporains. Parmi eux, il est possible de mentionner les deux plafonds de l’ancien presbytère de Lagrasse (vers 1492) et le plafond de l’hôtel de la rue des Deux-Ponts (1513-1515). Ces éléments conduiraient à supposer la représentation d’une famille implantée localement, sans pouvoir étayer davantage cette piste. À côté de cet écu, sont peintes les armoiries de l’abbaye de Lagrasse (armoirie 7), encadrées par les lettres LES VIX évoquant le nom de l’abbé Philippe de Lévis. Enfin, les trois derniers closoirs (armoiries 8, 9, 10) présentent une couche picturale beaucoup plus altérée, avec de possibles repeints, posant de véritable problème quant à la lecture qui peut être faite de l’ensemble. Il est possible qu’une des armories à la croix appartiennent au chapitre de la cathédrale de Narbonne (armoirie 8), qui portait d’argent à une croix de gueules, mais l’état de conservation des peintures rend la lecture de cet élément difficile (il semble qu’il y ait une succession de repeints en plus de l’encrassement de la couche picturale).
Le dernier caisson avec un décor armorié est orné d’une armoirie que nous avons déjà rencontrée (armoirie 2), placée au-dessus de la poutre ouest, où sont représentées celles du roi Louis XII (armoirie 11) et de l’abbé de Lagrasse, Philippe de Lévis (armoirie 14). Ces dernières sont placées de part et d’autre de deux closoirs présentant des bustes d’hommes aux traits identiques, l’un sous fond de semi de fleur de lis, l’autre sous fond de trois fleurs de lis. D’après Laura Ceccantini, il s’agirait des portraits de Louis XII et du dauphin à naître sous les traits du roi régnant (Ceccantini 2014, p. 75-76). Ce dispositif iconographique servirait ainsi à montrer la pérennité du pouvoir monarchique. Les armoiries anonymes (armoirie 2) s’insèrent par conséquent dans une séquence à la symbolique forte, où pouvoir politique et religieux se côtoient et sont mis à l’honneur. Dès lors, il est probable que ces écus renvoient à une famille importante de Lagrasse, voire au commanditaire du plafond.
Auteur : Marion Ortiz
Pour citer cet article
Marion Ortiz, Lagrasse, maison (6, rue Foy), https://armma.saprat.fr/monument/lagrasse-maison-6-rue-foy/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
Ceccantini Laura, La maison du 6 rue Foy de Lagrasse (Aude). Analyse structurelle et iconographique d’une charpente peinte de la fin du XVe – début du XVIe siècle, mémoire de Master 2, dir. G. Mallet et G. Victoir, Université Montpellier Paul-Valéry, 2014.
Ceccantini Laura, « Le plafond à caissons de la maison Sibra de Lagrasse (rue Foy) peint au début du XVIe siècle », Bulletin de la Société d’Études Scientifiques de l’Aude, 117, 2017, p. 123-136.
Foltran Julien, Les monastères et l’espace urbain et périurbain médiéval en Pays d’Aude : Lagrasse, Alet et Caunes, thèse de doctorat, dir. N. Pousthomis et J.-L. Abbé, Université Toulouse Jean Jaurès 2016.
Jougla de Morenas Henri, Grand armorial de France, t. 2, Paris, 1975
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Lagrasse, maison (6, rue Foy). Armoirie inconnue (armoirie 1)
Bandé d’argent et de sable de six pièces, au chef de…