La tour-maîtresse du château de Bazoges-en-Pareds, communément appelée « Donjon de Bazoges », se trouve à l’ouest de la forteresse. Haute d’une trentaine de mètres, elle est constituée de deux blocs quadrangulaires de taille inégale, alignés sur leur façade sud : le bloc occidental fait environ 10,50 mètres de côté, tandis que celui oriental en fait 7,50. L’angle nord-est du bloc occidental est occupé par une tour polygonale abritant un escalier en vis desservant les différents niveaux. L’ensemble du monument est construit en moellons calcaires, à l’exception des chaînages d’angle et des encadrements d’ouvertures qui sont en pierre de taille.
Bazoges-en-Pareds, château (tour-maîtresse).
La tour a été construite à partir de la fin du XIVe, sur les bases d’un château remontant au XIe siècle (Blomme 1991, p. 60), Les travaux ont pu être lancés soit à la suite de l’autorisation de fortifier Bazoges, accordée le 29 septembre 1380 à Jehan Girard (v. 1350-1409), chevalier, seigneur du lieu, et à son épouse Marie Luneau (v. 1345-1422) (Paris, AN, R1 203), soit une vingtaine d’années plus tôt, après l’autorisation de fortifier accordée à Jehan Luneau († v. 1367), chevalier, seigneur de Bazoges, en 1359 ou 1360 (Paris, AN, R1 201). La tour-maîtresse est en tout cas achevée au début du XVe siècle. Son architecture générale n’a pas été modifiée depuis, à l’exception des ouvertures donnant aujourd’hui sur la basse-cour, sur le côté sud du monument, qui ont été percées au XIXe siècle (Bazoges-en-Pareds, AM). Abandonnée pendant plusieurs siècles, elle est rachetée avec le reste du château par la municipalité de Bazoges-en-Pareds en 1986 et ouverte au public en 1994 après restauration (la charpente, les planchers et plafonds en bois datent de cette intervention).
L’intérieur de la tour-maîtresse est divisé en huit niveaux, dont six sont constitués de deux pièces (une dans chaque bloc du donjon). Le plus profond (niveau 0) correspond à une pièce taillée dans la roche, plus ancienne que le reste du monument. Le suivant devait servir de lieu de stockage. Les quatre niveaux supérieurs, ainsi que l’entresol entre les niveaux 3 et 4, étaient certainement habités comme en témoignent les fenêtres à coussièges qui les éclairent, ainsi que les sept cheminées qui les chauffaient et les latrines présentes aux niveaux 3, 4 et 5. Le dernier niveau, situé sous la charpente et ne disposant d’aucun élément de confort, pourrait avoir servi de lieu de stockage.
Bazoges-en-Pareds, château (tour-maîtresse), culot armorié du 3ème étage.
Trois niveaux en particulier se signalent pour leurs décors. Au niveau 3, les deux pièces voûtées d’ogive communiquant par un couloir percé au nord du mur de refend peuvent être vues comme des aulae, des salles de réception, de justice et de mise en scène du pouvoir seigneurial par la richesse de l’ornementation, en particulier des voûtes, et par leur emplacement au niveau d’entrée de la tour (Brusseau, 2020). La plus grande, dans le bloc occidental, compte une voûte à huit nervures reçues dans les angles et au milieu des murs par des culots sculptés de motifs végétaux et animaux et de visages humains. La clé de voûte est chargée d’un écu, qui ne porte plus trace d’armoiries (armoirie 1). La salle du bloc oriental comporte quant à elle une voûte à quatre nervures, reçues dans les angles par des culots sculptés, dont celui nord-est porte un écu armorié, sur lequel on distingue une fasce fleurdelisée et contre-fleurdelisée de trois pièces (armoirie 2).
Le niveau supérieur (en écartant l’entresol servant à combler la différence de hauteur entre les deux voûtes) est lui aussi constitué de deux pièces, reliées par un couloir au sud du mur de refend. Il peut être identifié comme la camera, les appartements seigneuriaux. La plus petite, dans le bloc oriental, compte des latrines, une fenêtre à coussièges et une cheminée dont les pieds sont sculptés de motifs végétaux et d’un visage humain qui a été buriné. La plus grande, à l’ouest, dispose d’une large fenêtre à meneau et traverse et à coussièges, ainsi que d’une large cheminée. Sans surprise, c’est à cet endroit que les décors héraldiques de cette pièce se trouvent, la cheminée étant le support privilégié pour la mise en signe des salles, notamment de celles d’apparat et de réception, au Moyen Âge. Le linteau est orné, en son centre, d’un écu losangé et chargé d’un lambel à trois pendants en chef (armoiries 3). Une gravure réalisée vers 1860 par Octave de Rochebrune (Gallica) nous informe que celui-ci était à l’origine accompagné, à dextre, par un écu à trois fasces dont celle au milieu était fleurdelisée et contre fleurdelisée (armoirie 4).
O. de Rochebrune, Cheminée du 4éme étage du donjon de Bazoges1860 (@ Gallica).
La même armoirie, qui nous rappelle celle que l’on observe sur les culs de lampe de la chapelle seigneuriale dans l’église, est encore aujourd’hui visible sur le chapiteau gauche de la même cheminée : elle présente trois fasces, dont celle du milieu, fleurdelisée et contre-fleurdelisée, est chargée de ce qui semble être des anilles (armoirie 5). Deux étoiles évidées à six branches encadrent les écus du manteau (une troisième se trouve sur la clé de voûte de la petite salle du niveau inférieur), et des motifs végétaux complètent le décor de la cheminée. Enfin, le niveau supérieur, lui aussi divisé en deux pièces reliées par un couloir au sud du mur de refend, enferme deux autres cheminées. Celle du bloc oriental est décorée de motifs végétaux et d’un visage anthropomorphe. Celle du bloc occidental ne porte plus aucun décor sur son manteau, mais ses chapiteaux sont chacun orné d’un écu dans lesquels nous pouvons reconnaitre les mêmes armes présentées à l’étage inférieur mais dans l’ordre inversé : celui de gauche (dextre) est chargé du losangé au lambel (armoirie 6) ; celui de droite (senestre), bien que buriné, porte encore les traces de l’armoirie à la fasce fleurdelisée et contre-fleurdelisée (armoirie 7).
Bazoges-en-Pareds, château (tour-maîtresse), cheminée du 5ème étage.
Si nous pouvons facilement attribuer les armoiries losangées (armoiries 3, 6) aux Girard, seigneurs de Bazoges entre les années 1365 et 1563 (Brusseau, 2021, p. 83-87), nous noterons que, dans le donjon, celles-ci se caractérisent par la présence d’un lambel à trois pendants rectangulaires en chef (Brusseau 2020, p. 88) : une brisure apportée au prototype des armoiries familiales qui vraisemblablement signale la position de cadet de Jehan Girard, constructeur de la tour-maîtresse et dernier fils de Guillaume III Girard et d’Agnès Guymer (Brusseau 2021, p. 42). Notons que le fils et héritier de Jehan, Regnault Girard (v. 1375-1463) reprend les armes pleines, alors même que la branche aînée de la famille se poursuit. Le donjon ayant été construit à la fin du XIVe siècle, sous la seigneurie de Jeahn, il n’est pas étonnant d’y retrouver ses armoiries.
Plus complexe est l’identification des armes fascées et fleurdelisées (armoiries 2, 4, 5, 7), que l’on retrouve à d’autres endroits de la tour tout comme dans l’église castrale, où elles sont associées aux armes des épouses des seigneurs de Bazoges. La question est d’autant plus complexe que ces armoiries sont parfois burelées, avec la troisième burelle chargée des fleurs-de-lys, parfois simplement fascées d’une ou de trois fasces (dans ce cas, c’est celle du milieu qui est fleurdelisée). Si aucun individu lié à Bazoges n’utilise ces armoiries, nous noterons tout de même que deux seigneurs de Bazoges, Regnault Girard et son fils Joachim (v. 1407-1470), font représenter sur leurs sceaux armoriés des armes qui présentent des analogies avec celles-ci : le premier utilise un burelé au franc-quartier losangé (BnF, ms. Clairambault 53, p. 4029), le second un écartelé alliant le losangé de sa famille à un burelé à deux fleurs de lis brochant (BnF, ms. Fr. 27813, pièces originales, dossier 1329 « Girard », n.°10). Si l’on peut vraisemblablement écarter l’hypothèse d’armoiries issues d’une épouse d’un seigneur de Bazoges (elles auraient été vraisemblablement toujours présentées à la senestre de celles des Girard sur les deux cheminées), leur origine reste pour l’heure à déterminer, mais leur lien avec la famille Girard semble établi.
Bazoges-en-Pareds, château (tour-maîtresse), détail du pied de la cheminée du 4ème étage.
En somme, les armoiries représentées dans la tour-maîtresse de Bazoges, comme celles présentes ailleurs dans le château, se réfèrent aux seigneurs constructeurs du monument, la famille Girard, dont le losangé d’argent et de gueules se retrouve à différents endroits (dans l’église paroissiale, autrefois située dans le château, et sur le pigeonnier). Ces armes permettent d’attribuer de manière certaine la construction – du moins son achèvement – de la tour sous Jehan Girard, dans les années 1370-1410, ainsi qu’en témoigne le lambel dont Jehan a brisé les armoiries familiales. Le losangé des Girard est par ailleurs régulièrement associé à d’autres armoiries, portant des fleurs-de-lys, dont l’origine demeurent inconnue. Elles sont indéniablement liées aux Girard et leur très grand nombre au sein du château de Bazoges (quatre dans la tour-maîtresse, cinq dans l’église castrale) dénote leur importance. Mais pour l’heure, les recherches n’ont pas permis d’identifier leur origine, ni les raisons de leur présence.
Auteur : Clément Brusseau
Pour citer cet article
Clément Brusseau, Bazoges-en-Pareds, château (tour-maîtresse), https://armma.saprat.fr/monument/bazoges-en-pareds-chateau-tour-maitresse/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Paris, AN, R1 201, dossier 6 : autorisation de fortifier Bazoges accordée à Jehan Luneau, chevalier, seigneur de Bazoges, par Guillaume de Parthenay, lieutenant du roi en Poitou (7 mai 1359-1360).
Paris, AN, R1 203, papiers de l’apanage d’Artois : autorisation de fortifier Bazoges accordée à Jehan Girard, chevalier, seigneur de Bazoges, par Guillaume de Parthenay, baron de Vouvant (29 septembre 1380).
Bibliographie études
Blomme Yves, Poitou gothique, Paris 1991.
Brusseau Clément, Bazoges-en-Pareds : une seigneurie poitevine au Moyen Âge (XIe-XVIe siècles), mémoire de Master 1, dir. M. Aurell, Université de Poitiers, 2020.
Brusseau Clément, Les Girard : une famille de la noblesse française (XIIe-XVIe siècles), mémoire de Master 2, dir. M. Aurell, Université de Poitiers, 2021.
Guillemaut Caroline, Donjon de Bazoges-en-Pareds : étude historique, étude préalable à la restauration d’une partie des courtines, s.l. 2016 (Bazoges-en-Pareds, AM).
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Bazoges-en-Pareds, château (tour-maîtresse). Armoirie vierge (armoirie 1)