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ARmorial Monumental du Moyen-Âge
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Pencran, église Notre-Dame (tombe d’apparat)

 

L’élément héraldique le plus remarquable de l’église Notre-Dame de Pencran est une plate-tombe armoriée dégagée en 2019 lors de la campagne préliminaire à l’importante restauration du monument, toujours en cours à l’automne 2021. Son existence était connue : elle fut redécouverte par hasard dans le chœur en 1982 (bulletin paroissial de Pencran, 1982) en déplaçant l’estrade du maître-autel actuel, qui la protégeait. N’ayant aucune raison de supposer qu’elle ait jamais bougé de place, elle se trouve selon toute vraisemblance dans son implantation d’origine, dans l’axe du vaisseau central, à environ trois mètres du chevet, juste en avant de l’ancien maître-autel dont subsiste le soubassement maçonné. Taillée dans une dalle de kersanton d’approximativement un mètre quatre-vingts, elle présente un état de conservation exceptionnel malgré une cassure au quart inférieur. Sans épitaphe ni inscription, elle est seulement ornée de deux écussons en bosse, en bannière et accolés, dénués d’ornement extérieur, aisément identifiables aux armes de Rohan (armoirie 1) et de Léon (armoirie 2). La préservation parfaite de la sculpture, aux arêtes vives et sans impact, classent cette tombe parmi les plus magnifiques documents héraldiques qui soient parvenus de ces deux hauts lignages.

C’est peu de le dire, les relations entre les Rohan et les Léon furent étroitement imbriquées, ne comptant pas moins de cinq alliances en un siècle et demi. Hervé Ier, fondateur de la branche cadette des seigneurs de Léon, actif dans les années 1180-1200, épousa Marguerite de Rohan, fille d’Alain III vicomte de Rohan (Kernévez, Morvan 2002, p. 283-285). Son descendant un siècle plus tard, Hervé V, attesté vers 1288 et mort en 1304, convola avec Jeanne de Rohan (ibid., p. 280, 298), fille d’Alain VI vicomte de Rohan, qui avait lui-même épousé Isabeau de Léon, fille de Conan vicomte de Léon. Leur fils Olivier II vicomte de Rohan, épousa en secondes noces en 1322 Jeanne de Léon, fille d’Hervé VI de la branche cadette des sires de Léon (ibid., p. 303). Enfin, le fils de ces derniers, Jean Ier vicomte de Rohan, épousa en 1349 Jeanne de Léon, fille d’Hervé VII sire de Léon. À la mort en 1363 de son frère Hervé VIII, dernier de son lignage, Jeanne hérita de toutes les possessions des sires de Léon qu’elles transmit à son fils aîné, futur Alain VIII, les intégrant ainsi à l’héritage des vicomtes de Rohan (ibid., p. 308, 311).

Dans un édifice entièrement rebâti au cours des premières décennies du XVIe siècle, la tombe ne peut avoir appartenu à aucun de ces hauts personnages, dont on connaît pour certains le lieu de l’ultime repos. Il ne s’agit pas non plus d’un cénotaphe en souvenir d’une sépulture plus ancienne qui aurait occupé l’église antérieure : il ne se conçoit pas qu’une simple église tréviale, monument de deuxième ou troisième ordre, dont on ignore tout, ait pu être élue en dernière demeure par des seigneurs de si haute noblesse. On ne conserve aucune trace, aucun acte en ce sens.

Pencran, église Notre-Dame, chœur, plate-tombe aux armes accolées de Rohan et Léon.

La forme des écus en bannière et le style des figures orientent en outre vers une datation basse, à fixer résolument dans la première moitié du XVIe siècle. Ici, il est possible de dresser une comparaison absolue avec un autre relief armorié dans un monument édifié par les Rohan, le couvent Saint-François de Cuburien en Saint-Martin-des-Champs, près de Morlaix. Abritant aujourd’hui une communauté de sœurs Augustines, le couvent de Cuburien est réputé avoir été fondé par le vicomte Alain IX en 1458, mais l’établissement primitif aurait été endommagé en 1522 par une descente anglaise sur Morlaix, ce qui aurait été cause de la reconstruction de l’église (Allier 1879). Celle-ci, bien datée, fut édifiée avec énergie en un temps bref : une inscription gothique indique qu’elle fut fondée en 1527 – et non 1522 (Le Guennec 1979, p. 52) – et la consécration eut lieu en juin 1531 (Allier 1879), ce qui conditionne son achèvement dans le courant de la décennie 1530 au plus tard. Dans la suite, l’église ne subit que quelques transformations, la plus notable étant l’adjonction au XIXe siècle de bâtiments monastiques à étages contre la façade occidentale, dont l’élévation ancienne est heureusement connue au témoignage d’une toile datant de la Restauration. Une porterie s’élevait en appentis, percée d’un portail surmonté d’écussons et d’une pierre de fondation qui furent déposés et réintégrés à l’angle du pan subsistant de la façade de l’église. Le relief armorié a été martelé, toutefois on reconnaît le contour des meubles sur deux écus en bannière accolés : le premier est mi-parti de Rohan et d’une alliance non identifiée, et le second portait le lion des Léon.

La tombe de Pencran et le relief de Cuburien partagent un faisceau de ressemblances si caractéristiques qu’on peut déduire une réalisation à peu près simultanée par un même atelier. En premier lieu, on remarque les proportions identiques des écus en bannière, ainsi que le matériau employé, du kersanton. On note aussi dans les deux cas que les macles des Rohan sont détachés et non aboutés, ce qui est sans signifiance mais est une manière assez rare de les représenter, ne se généralisant pas avant la deuxième moitié du XVIIe voire le XVIIIe siècle. On observe également que la forme des lions est très proche, avec une tête proéminente, un corps étroit, la patte postérieure gauche en retrait et une grande queue enroulée à panache. On remarque surtout une anormalité qui ne se rencontre pratiquement qu’à Pencran et Cuburien : les deux écus accolés n’ont pas la même largeur. À Pencran celui de droite aux armes de Léon et à Cuburien celui de gauche chargé d’un mi-parti, sont un peu plus larges : il s’agit très probablement d’une solution destinée à harmoniser les proportions des figures en gagnant de l’espace pour l’armoirie la plus chargée. Dans le contexte proche, on ne connaît pas d’autre exemple de ce « truc d’atelier » qui trahit la façon d’une même main. L’emploi du kersanton fait fortement suspecter l’intervention d’un sculpteur de la vallée de l’Élorn, la ville de Landerneau étant connue pour l’activité de ses sculpteurs de pierre au XVIe siècle et après. Landerneau, à portée de mousquet de Pencran, était au contrôle des Rohan qui aménagèrent la ville et y construisirent son pont habité : il n’est pas du tout hasardeux d’avancer qu’un atelier devait travailler étroitement au service des Rohan en étant chargé en série de commandes héraldiques spécialisées.

Saint-Martin-des-Champs, couvent de Cuburien, façade occidentale de l’église, pierre de dédicace et armoiries accolées de Rohan mi-parti et de Léon en réemploi, vers 1527-1531.

Quoi qu’il en soit, on peut considérer la date du relief armorié de Cuburien, entre 1527 et 1531 – une fourchette qu’il convient par sécurité d’élargir un peu dans les deux sens, depuis le courant des années 1520 jusqu’au milieu des années 1530 mais pas après – comme étant celle de l’exécution de la tombe du chœur de Pencran. Cette estimation s’intègre parfaitement à la chronologie du chantier, et ce n’est probablement pas un hasard si elle télescope l’aménagement au cours de l’année 1526 d’un enfeu et d’un tombeau dans le bas-côté nord par Pierre Huon, seigneur de Kermadec (Archives privées, délibération de la fabrique à propos de la fondation d’un enfeu pour Pierre Huon seigneur de Kermadec, 4 février 1526, annexée d’un acte du 20 octobre à propos d’un droit de tombe surélevée). On conclue que les parties orientales, achevées dans le courant des années 1510, recevant un retable sculpté en 1517, accueillaient dans la décennie suivante les premières tombes nobiliaires, selon une logique qui n’a peut-être pas été complètement assumée dès le départ, en témoigne l’écu gravé après coup au pilier engagé de la dernière arcade au nord. Tandis que la petite noblesse locale se montrait très investie, en particulier les seigneurs du Chef-du-Bois tapissant l’église de leurs trois têtes d’aigle, suivis des Kermadec investissant le bas-côté nord, les Rohan, pour la première fois de leur glorieuse histoire, se trouvaient alors en sueur.

Le plus puissant vicomte de leur maison, Jean II, était trépassé depuis 1516, précédé de ses trois fils aînés. Le quatrième, Claude de Rohan, assis sur le trône épiscopal de saint Corentin à Quimper, était faible d’esprit au point d’être quasi-incapable d’assumer sa charge. Le cinquième, devenu seizième vicomte de Rohan, Jacques, laissa un souvenir médiocre, mais pas d’héritier. À sa mort en 1527, sa sœur Anne, fraîchement veuve de Pierre II de Rohan-Gié tué à Pavie en 1525, sut éviter le naufrage d’une crise de succession en transmettant l’aînesse à son jeune fils René, né en 1516. Bénéficiant des plus hauts soutiens, notamment de la sœur du roi, celui-ci devint dans la suite l’un des plus grands du royaume. Mais pour l’heure, vers la fin des années 1520, étant encore mineur et éloigné à la cour, l’arrière-contrôle de ses fiefs bas-bretons et les questions annexes liées aux prééminences auraient pu se relâcher. Au contraire : des consignes furent certainement passées pour affirmer la légitimité du jeune successeur car de cette époque datent certaines des plus belles marques héraldiques des Rohan en Finistère. C’est dans ce contexte, ou très peu avant sous Jacques de Rohan s’efforçant de continuer les œuvres de son père, ou très peu après alors que René, jeune homme, s’apprêtait à marier Isabeau d’Albret infante de Navarre, qu’il faut placer l’installation de la tombe au mitan du chœur de l’église de Pencran. On comprend qu’elle n’était pas prévue pour recevoir une inhumation, mais avait uniquement une fonction d’apparat : ce monument, posé sur les prétentions des nobles de la paroisse, était destiné à marquer le statut des vicomtes de Rohan comme fondateurs et seigneurs supérieurs. Il est à remarquer que l’on ne peut être totalement assuré de son état d’origine : peut-être était-ce un tombeau élevé qui aurait été ultérieurement réaménagé en ne conservant que la dalle afin d’en réduire l’encombrement, un point qui reste à éclaircir.

Généalogie simplifiée des vicomtes de Rohan au début du XVIe siècle.

Un rapide tour des églises voisines rend justice aux Rohan de leur soin à afficher leurs prééminences avec faste. À La Roche-Maurice, la maîtresse-vitre est chargée exclusivement de quatorze écussons formant une généalogie continue du lignage, les macles parsèment le lambris et s’accrochent aux colonnes torses du portail. À La Martyre, René Ier de Rohan prie dans les verrières du chevet Beaumanoir, une litre maclée court le long des parois et l’on entre par le portail sous deux grands écus timbrés de Rohan et de Léon. Au chœur disparu de l’abbatiale de Daoulas, alors qu’un ancien vicomte de Léon dormait dans son tombeau, juste au-dessus la maîtresse-vitre se chargeait d’un florilège de quarante écussons dominés par les armes de Rohan sous celle de France et de Bretagne. En ces monuments, et en beaucoup d’autres qu’il serait trop long d’énumérer, la fenêtre d’axe et le chœur, espaces les plus hautement honorifiques, sont la zone-clé où les Rohan concentrèrent leur faste. À un jeu d’outils symboliques comptant déjà toutes les déclinaisons possibles en vitrail, en peinture de litres et en sculpture ornementale, s’ajoute donc à Pencran l’installation d’une tombe-simulacre marquant le statut de fondateur. 

Situation de la tombe dans le monument en cours de restauration avec coffrage de protection provisoire, été 2021, Pencran, église Notre-Dame.

Au détour des archives, on rencontre quelques exemples de ce type particulier de monument honorifique. Avec parfois des difficultés à les identifier – il faut pouvoir démontrer l’absence d’inhumation et leur mise en place généralement tardive –, elles ne semblent pas avoir été bien nombreuses, n’étant d’usage que par la haute et la haute moyenne noblesse. La tombe du chœur de Pencran est en Bretagne l’une des seules identifiées de ce type, et peut-être la seule intacte dans son installation d’origine. Dans ces conditions, en tenant compte de son excellent état de préservation et d’un contexte clarifié pointant une datation vers la fin de la décennie 1520, cette tombe peut être considérée sans emphase comme une curiosité très rare. Après le porche et le calvaire, elle figure à l’égal du retable et de la cloche du XIVe siècle parmi les principaux points d’intérêt du monument.

 

Auteur : Paul-François Broucke

Pour citer cet article

Paul-François Broucke, Pencran, église Notre-Dame (tombe d’apparat), https://armma.saprat.fr/monument/pencran-eglise-notre-dame-tombe-dapparat/, consulté le 21/11/2024.

 

Bibliographie sources

Archives privées, délibération de la fabrique de Pencran à propos de la fondation d’un enfeu pour Pierre Huon seigneur de Kermadec, 4 février 1526, annexée d’un acte du 20 octobre de la même année à propos d’un droit de tombe surélevée.

Archives privées, bulletin paroissial de la commune de Pencran, 1982.

Bibliographie études

Allier, Adolphe, Histoire de Morlaix par Joseph Daumesnil, ancien maire, annotée par M. Aymar de Blois, continuée et publiée par M. A. Allier, bibliothécaire de la ville, Morlaix 1879 (extraits en ligne sur www.infobretagne).

Kernévez, Patrick, Morvan, Frédéric, « Généalogie des Hervé de Léon (vers 1180-1363) », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 131, 2002, p. 279-312.

Le Guennec, Louis, Le Finistère monumental, 1, Morlaix et sa région, Quimper 1979.

Meder, Laurent, Commune de Pencran. Restauration de l’église paroissiale Notre-Dame. Avant-projet détaillé, 2018.

Photographies du monument

Armoiries répertoriées dans ce monument

Pencran, église Notre-Dame (tombe d’apparat). Armoirie de Rohan (armoirie 1).

De (gueules) à neuf macles d'(or), posés 3, 3 et 3.

  • Attribution : Rohan famille
  • Position : Intérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Chœur
  • Emplacement précis : travée IIème
  • Support armorié : Monument funéraire ; Plate-tombe
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Relief en pierre
  • Période : 1501-1525 ; 1526-1550
  • Dans le monument : Pencran, église Notre-Dame (tombe d'apparat)

Pencran, église Notre-Dame (tombe d’apparat). Armoirie de Léon (armoirie 2).

D'(or) au lion morné de (sable).

  • Attribution : Léon famille de
  • Position : Intérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Chœur
  • Emplacement précis : travée IIème
  • Support armorié : Monument funéraire ; Plate-tombe
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Relief en pierre
  • Période : 1501-1525 ; 1526-1550
  • Dans le monument : Pencran, église Notre-Dame (tombe d'apparat)

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