Pencran, église Notre-Dame
L’église Notre-Dame de Pencran, une ancienne trève de Ploudiry, n’est ni la plus vaste ni la plus célèbre parmi les enclos paroissiaux de la vallée de l’Élorn en Finistère, mais son intérêt est apprécié de longue date. De construction soignée, elle est connue pour son porche finement sculpté, pour un calvaire et un retable, tous trois d’une grande qualité d’exécution et parfaitement datés, ainsi que pour une cloche du XIVe siècle, la plus ancienne en Finistère.
Renvoyant à la bibliographie pour une description approfondie (Lécureux 1915, p. 139-156 ; Lécureux 1919, p. 110-117 ; Perennès 1938, p. 51-63 ; Le Guennec 1981, p. 450-452 ; Couffon, Le Bars 1988, p. 224-226 ; Cordier 2016 ; Cordier 2021), l’édifice, du type à nef obscure, adopte un plan à vaisseau épaulé de collatéraux, de trois travées côté nef, et de deux travées plus profondes côté chœur, terminé par un chevet plat. La première travée du bas-côté nord est fermée d’origine sur une pièce basse, à la seconde au sud est greffé le porche, et la dernière au nord donne accès à une vaste sacristie rectangulaire. En élévation, les grandes arcades à pénétration directe reposent sur des piliers cylindriques, sauf à la jonction de la nef et du chœur, où des massifs engagés de demi-piliers encadraient un ancien jubé disparu. Scandé par quatre contreforts droits, le chevet triangulaire, tronqué vers la sacristie, est percé d’une maîtresse-vitre encadrée par deux baies d’inégale hauteur. L’existence d’un ancien transept à deux croisillons saillants accroché à la première travée du chœur a été mise en évidence (Le Ber 2011, p. 3-4 ; de Ponthaud 2013, p. 7-9) et il en demeure au nord quelques vestiges au revers occidental de la sacristie. Le clocher, aligné sur la façade, est percé d’une porte surmontée d’une baie flamboyante, et la paroi supérieure, nue, est encadrée de deux solides pinacles. Tout auprès s’élève un ossuaire. Au mur d’enclos s’intègre un grand calvaire au nord, ainsi qu’un second calvaire, de moindre intérêt, au sud.
Si l’on doit rester à peu près muet sur tout ce qu’il advint jusqu’aux environs de 1500, et circonspect quant aux propositions d’interprétation du parcellaire supposant l’implantation à proximité d’une hypothétique motte féodale (Meder 2018, p. 10), le dossier documentaire, copieux pour le XVIe siècle, s’appuie sur une véritable petite collection d’inscriptions épigraphiques. Hormis la cloche de 1365, en réemploi, le plus ancien millésime est porté au retable de la Déploration, de 1517, posé sur un culot près de la maîtresse-vitre. S’ensuit le calvaire au nord, de 1521. La dédicace qui ornait le porche sud a disparu, mais son texte a été relevé plusieurs fois, indiquant la date de 1553, parfois transcrite en 1552 ou 1557. Une statue au bas-côté sud « fut faicte […] l’an 1555 », et le fronton de l’ossuaire porte le chiffre de 1594. Une pierre à la base de la flèche témoigne de sa reprise en 1696, et un long bandeau apprend que la sacristie fut édifiée en 1706. Les comptes détaillent les restaurations postérieures, dont une nouvelle réfection de la flèche en 1718.
De ce tournis de dates, Lucien Lécureux, qui par deux articles se posa en biographe du monument, déduisit que l’église, succédant à un édifice antérieur, aurait été réédifiée en commençant en 1553 par le porche, puis aurait été menée rapidement à terme. On aurait conservé le calvaire récemment assemblé au nord et réemployé le retable, ainsi que d’anciennes crossettes armoriées qui auraient provenu de l’ancienne façade (Lécureux 1915, p. 139-140 ; Lécureux 1919, Pencran, p. 110). En somme, l’église aurait succédé à son mobilier et à ses aménagements extérieurs, ce qui de toute évidence contrarie la logique.
Sans en tenir rigueur à son auteur d’ordinaire plus attentif, cette chronologie, suivie pendant un siècle dans les ornières de l’habitude (Pérennès 1938, p. 53 ; coll. 1968, p. 88 ; de Mauny 1977, p. 250 ; Couffon, Le Bars 1988, p. 224 ; Bonnet 2002, p. 347 ; Fray 2017, p. 4), doit être considérée comme absolument erronée. Un examen plus attentif atteste que la construction du porche, au rebours d’un lancement du chantier, marqua au contraire une phase d’achèvement. Les formes témoignent que l’édifice fut lancé environ un demi-siècle plus tôt : il s’agit là d’un écart important, induisant une révision complète du scénario envisagé jusqu’ici.
L’origine de la confusion procède d’une lecture trop confiante de l’inscription disparue, faussement limpide, du porche : « Le 15e jour de mars l’an 1553 fut fonde ceste chapelle au no(m) de Dieu et de sa mère et de madame sai(n)cte Apoline… ». Elle n’a de valeur que pour dater cette seule partie du monument, les recherches récentes montrant que l’épigraphie ne doit être interprété qu’avec la plus extrême prudence. En comparaison, à la chapelle de Kernascléden, une mention analogue signale que le monument fut dédicacé par l’évêque en 1453, mais les travaux avaient été lancés environ un quart de siècle plus tôt et les voûtes ne furent posées qu’en 1464 (Sotin 2010). Au Folgoët, la collégiale fut dédicacée en 1419 et le porche occidental fut scellé d’une plaque signalant la fondation d’un collège de chanoines en 1424, mais cela sans aucune conclusion à tirer sur l’avancement du chantier, qui battait alors son plein.
Dans le même esprit, l’inscription sur le calvaire au nord – au moys de may mil VC vingt ung furent ceste croix et masse foundées par […] procureurs de la chapelle de céans – (Castel 1980, p. 176-177), doit être reconsidérée. Elle peut tout à fait se rapporter à un édifice en cours de construction et non nécessairement à une église achevée ou antérieure, qui aurait été détruite par après (Lécureux p. 140). En borne basse, il aurait fallu faire plus de cas de la statue d’Apolline dans le bas-côté sud, datant de 1555, dont Lécureux lui-même, par une proposition explicitant les deux premières lignes de l’inscription du socle – « ceste imaige fut faicte et en ceste chapelle nichée » – (Lécureux 1915, p. 151), démontra qu’elle fut installée au sein d’un monument déjà achevé.
Reste le retable de 1517. Certes, il « pourrait provenir d’ailleurs » (ibid., p. 140), mais parfaitement ajusté à l’angle de la maîtresse-vitre et du premier pilier engagé au nord, il donne plutôt l’impression d’avoir été prévu d’origine. On observe qu’au côté nord, où il est installé, seul un écu a été sculpté sur un bloc de la paroi, tandis qu’au sud est scellé un culot armorié destiné à recevoir une statue. La mise en place du retable semble donc avoir été prévue d’origine : il pourrait s’agir d’une commande pour la fin du chantier des parties orientales. Point n’est besoin du reste de pousser l’hypothèse en argumentant autour de ce retable pour reconnaître au chevet des formes anciennes. Supposer que le chœur, en 1517, aurait déjà été construit, revient à fixer l’origine des travaux quelques années en amont, vers le courant des années 1500, à la rigueur la décennie 1490, mais pas plus haut.
La perception de l’édifice s’éclaire par comparaison avec des monuments réalisés dans le dernier quart du XVe siècle et les premières années du XVIe. Les trois vaisseaux de la nef à collatéraux, le chevet plat, la double arcade du chœur, le petit massif recevant les supports engagés relèvent de la même esthétique, mais un peu modernisée, qu’à la chapelle de Kerdévot en Ergué-Gabéric, dont la « couverture devait être mise en place autour de 1500 » (Bonnet, Rioult 2010, p. 213). À Kerdévot comme à l’église Notre-Dame de Grâces, lancée en 1507, on retrouve des arcades à pénétration directe et des piliers ronds au tracé très ressemblant. On note aussi à Grâces l’implantation de la sacristie à l’angle de la façade, une solution qui se retrouve dans des monuments des premières décennies du XVIe.
Les réseaux des fenêtres trahissent la mode de cette époque, en témoigne la maîtresse-vitre à la rose rose d’inspiration encore rayonnante. Outre le détail des ajours en cœurs renversés visible dans quelques édifices des environs de 1500, par exemple à la chapelle de Penvern en Scaër, les réseaux de Pencran sont encore à soufflets et mouchettes, alors que les compositions à flammes ondoyantes devinrent au courant de la décennie 1530 la norme dans les monuments du secteur, par exemple à l’abbaye de Daoulas ou encore aux églises de La Martyre ou La Roche-Maurice. Sans entrer dans les détails, les rapprochements avec l’église de La Roche-Maurice sont si appuyés qu’on peut conclure au travail d’un même maître d’œuvre pour le choix du plan, la réalisation des grandes arcades et l’implantation des piles recevant le jubé. La maîtresse-vitre, au tracé plus moderne qu’à Pencran, fut posée en 1539, en achèvement d’un édifice lancé au moins une vingtaine d’années plus tôt.
L’homogénéité du parti et la disparition de l’ancien transept rendent l’appréhension de la marche du chantier difficile. L’examen minutieux de la charpente du vaisseau central et de vestiges aux collatéraux a révélé que le couverture aurait été posée en deux phases successives rapprochées, avec une probable antériorité pour les parties orientales incluant le chœur et le transept (Le Ber 2011, p. 4, 8, 11-13), un constat qui irait en faveur d’un démarrage des travaux par l’est, et s’accommoderait de quelques archaïsmes au chevet. Pour le reste, on ne relève pas de rupture nette, sauf à la jonction de la tour et des colonnades de la nef, séparées d’une saignée dans les maçonneries. On remarque également que la plinthe du bras nord du transept, conservée au seul contrefort à l’angle occidental et remontée en réemploi dans le bas-côté nord de la nef reconstruit au XVIIIe siècle, présente un cavet alors qu’elle en biseau droit partout ailleurs, ce qui pourrait s’interpréter, sous réserve, comme l’indice d’un petit décalage dans les travaux.
On ne prend pas de risque en restituant dans les grandes lignes le scénario suivant : la reconstruction de l’église a dû démarrer dans la décennie 1500, probablement par les parties orientales et selon un plan d’ensemble prédéfini qui semble avoir été suivi sans accroc, par tranches successives rapprochées et non vraiment différenciées. Malgré le léger décalage dans leur construction, la nef et la tour fonctionnent ensemble et ont dû être construites presque en même temps, l’une réglant l’autre, mais le transept a pu être traité séparément. Les travaux étaient déjà assez avancés en 1517 pour que l’on songe à se procurer un retable qui n’avait pas été prévu en amont. La couverture du chœur devait alors être posée ou sur le point de l’être, tandis qu’on parachevait la nef et le premier niveau de la tour juste avant de les couvrir à leur tour. Quatre ans plus tard, on construisait le mur du placître et l’aménageait au nord d’un superbe calvaire. À ce sujet, il n’y a pas lieu d’imaginer le scénario compliqué d’un montage initial au sud suivi d’un repentir et d’un remontage au nord (de Ponthaud, dans : Meder 2018, p. 17) : l’intégration d’un calvaire au mur du placître s’observe localement au début du XVIe siècle, par exemple à l’église de La Roche-Maurice ou à la chapelle de Locmaria-Lann à Plabennec. Certaines observations faisant suspecter que la tour était en construction dans le courant de la décennie 1530, les travaux ont du s’achever dans la décennie 1540, juste avant l’adjonction du porche sud comme terminée en 1553. On pratiquait en tous cas des inhumations dans l’église en 1548 (Lécureux 1915, p. 140) et un enfeu était même aménagé dès 1526.
Convenablement redéfinie, l’église de Pencran, datant intégralement de la première moitié du XVIe siècle, construite sans génie mais avec soin et s’inscrivant bien dans l’art de son temps, est dans son secteur un monument plus important qu’il paraît. Encore empreinte des formes vieillies d’avant 1500, elle annonce l’essor des grands enclos de la vallée de l’Élorn : il s’agit d’un intéressant monument de transition.
Le décor héraldique conservé est ténu, toute la vitrerie ancienne ayant disparu et la plupart des écussons ayant été martelé. On parvient tout de même à reconstituer la trame de l’organisation programmatique. Sous les armes de Bretagne, le statut de fondateur était tenu par les Rohan comme successeurs des seigneurs de Léon. Leur présence semble toutefois avoir été discrète quant aux nombre des signes, la noblesse locale paraissant s’être taillée une assez large part. Les seigneurs de la terre et du château voisin du Chef-du-Bois – ou Penhoat en Breton – , qui avaient le plus grand nombre d’écussons aux extérieurs et dans le chœur, étaient indiscutablement après les Rohan les premiers prééminenciers. Au rang suivant, les Huon de Kermadec, un autre manoir de la paroisse, avaient la chapelle du bas-côté nord du chœur avec un enfeu, ainsi que le bras nord du transept. D’autres familles de moindre importance pourraient avoir détenu quelques droits plus mineurs, mais on ne peut avancer que le nom des Goulhezre, encore qu’avec prudence.
Parmi les vestiges conservés, on remarque dans le chœur, qui mérite un examen dédié, une pièce remarquable, dont on ne conserve que très peu d’exemples en Bretagne : une tombe d’apparat sans inhumation en marqueur du statut de fondateur, aux armes de Rohan et Léon, en très bel état de préservation et datable avec précision. Outre la charpente, les autres éléments se concentrent au chevet où sont scellés huit écussons, dans la chapelle des Kermadec au bas-côté nord du chœur et au transept disparu, ainsi qu’aux extérieurs, au porche sud, à la façade et à la sacristie
Enfin, on ne relève dans la nef qu’un seul écusson, vierge (armoirie 1), sur un bénitier en granit inséré dès l’origine – donc vers le début du XVIe siècle – au second pilier de la nef au sud, à proximité du porche. Compte-tenu de la prééminence des seigneurs du Chef-du-Bois ou Penhoat, l’écu pourrait avoir été orné de leurs armes, sans certitude.