Plouvien, chapelle Saint-Jean Balanant (façade occidentale et flanc nord)
La chapelle Saint-Jean Balanant en Plouvien ne conserve que des vestiges ténus de sa parure armoriée primitive, consistant en quelques éclats des anciennes verrières du chevet, des écus muets dans le chœur et la nef, et le souvenir de prééminences disparues au bas-côté sud.
À l’extérieur, les façades occidentales et au nord annoncent ce délabrement, en même temps qu’elles confirment l’existence originelle d’un décor héraldique disparu d’une densité pouvant être qualifiée de très rare pour un petit édifice de cette catégorie. Les parois et contreforts sont en effet creusés à différents niveaux de pas moins de dix-sept cavités destinées à recevoir des plaques ornées d’armoiries qui resteront pour certaines à jamais inconnues (armoiries 1 ?-?). Il faut restituer aux premiers biographes du monument d’avoir bienidentifié la fonction de ces encoches (Potier de Courcy 1859, p. 132 ; Pérennès 1942, p. 31) dont la nature a pu être contestée et la fonction qualifiée « d’obscure » (Leman 2018, p. 59). Il ne fait aucun doute qu’elles étaient scellées de reliefs héraldiques, dont l’arrachement pur et simple confère à Saint-Jean Balanant le triste privilège d’être l’un des monuments bretons où les destructions révolutionnaires s’incarnent avec le plus de saisissement.
L’installation de cet important décor blasonné dénote l’influence du chantier tout proche de la collégiale du Folgoët : sur des plaques incluses à toutes les parois et à de nombreux contreforts, on y distingue les contours d’écussons timbrés de heaumes cimés et leurs supports, totalement arasés mais dont un relevé de prééminences égaré donne par miracle le détail. L’ensemble, comptant près de quatre-vingts armoiries, formait un programme emblématique d’une extrême ambition, le plus vaste déployé aux parois d’un monument en Bretagne, surclassant même en nombre les fastueux portails de la cathédrale de Quimper (Sotin 2014, 1, p. 38-67). Ces programmes héraldiques d’une savante ordonnance, dont la définition a été récemment reprécisée (Broucke 2017), sont un trait majeur de la production architecturale flamboyante en Bretagne au XVe siècle, avec un pic culminant dans les années 1420-1450 dans les deux dernières décennies du duc Jean V (1399-1442) et sous ses fils François Ier (1442-1450) et Pierre II (1450-1457). Édifié plein cœur de cet intervalle, Saint-Jean Balanant peut prétendre avoir sa place en queue d’un petit groupe d’une huitaine d’édifices parmi les plus prestigieux du duché – cathédrale de Quimper, collégiale du Folgoët, églises de Locronan, Notre-Dame Quimperlé, Runan, chapelle de Kernascléden… – qui tous ont en commun d’avoir été revêtus de cet habit armorié.
À Saint-Jean, le décor fut déployé de manière à lui assurer la meilleure exposition à la vue des visiteurs empruntant le chemin qui longeait la chapelle à l’ouest et s’infléchissait à son flanc nord, suivant un tracé conservé par la route départementale. Les plaques, occupant deux assises de moyen appareil – sauf la plus élevée, sur trois assises – présentaient sensiblement les mêmes dimensions que les reliefs scellés aux parois des deux premières travées de la collégiale du Folgoët au sud : on voyait à quatre d’entre eux un écu couché sous un heaume et un listel portant devise, avec au surplus sur un cinquième un lion pour support (Sotin 2014, 2, pl. VIII-IX). Il faut donc imaginer que la plupart des plaques à Saint-Jean, malgré leurs dimensions modérées, devaient être ornées d’armoiries timbrées. Il est en outre probable qu’elles étaient sculptées dans du kersanton, matériau autorisant une taille fine, dont la teinte presque noire aurait produit un excellent effet chromatique se distinguant des maçonneries beiges et grises. Bien réparties sur l’ensemble de l’espace architectural disponible, les plaques armoriées étaient en façade au nombre de neuf, trois alignées au-dessus du portail, quatre posées une et trois au petit côté sous le rampant nord, et deux dans le contrefort de la tourelle, la plus élevée sous l’encorbellement de la terrasse et la seconde à un niveau intermédiaire. Les huit autres étaient superposées en deux rangées alternées entre le contrefort à l’angle nord-ouest, le contrefort de la longère nord, et les deux parois que divisait ce dernier.
La disparition complète de ce décor armorié n’empêche pas d’en cerner l’organisation dans les grandes lignes. On peut être à peu près assuré que le relief en éminence sur le contrefort de la tourelle de clocher, le seul à être développé sur trois assises afin de compenser les déformations de perspective induites par la hauteur, était aux armes du duc (armoirie 2). On y voyait certainement le cimier des Montforts, au lion assis sur un chapeau de tournoi rebrassé entre deux cornes.
Une mention contenue dans un procès-verbal de 1727, la seule signalant un élément héraldique à l’extérieur du monument, évoque non sans ambiguité « au-dessus de la principale porte l’image de saint Jean baptisant nostre Seigneur et au derrière les armes de la religion » (armoirie 3) (Poitiers, AD de la Vienne, 3 H 1/465, procès-verbal d’améliorissements de la commanderie de La Feuillée et ses dépendances, 1727, rapporté par : Leman 2018, p. 100). Faut-il comprendre que les armoiries de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem étaient peintes en retrait du groupe sculpté sur l’un des écoinçons du tympan, orné d’un enduit où s’observent des traces de polychromie d’ocre rouge ? Dans cette éventualité, il aurait fallu que les couleurs en aient été ravivées peu avant, à moins qu’il s’agissait d’un repeint sans authenticité. N’auraient-elles pas plutôt orné l’une des trois plaques surmontant le porche ? C’est possible, même si ce postulat met un peu mal à l’aise, les armes de l’Ordre étant d’un emploi rare au Moyen Âge, contrairement à l’époque moderne, où des procès-verbaux de prééminences attestent qu’elles fleurirent en de nombreuses églises hospitalières. Au XVe siècle, on préférait afficher les armes du commandeur local, qui était alors Pierre de Keramborgne, personnage investi dont les armes apparaissaient à l’importante église hospitalière de Runan. On ne serait pas étonné si elles s’étaient trouvées à la grande porte de Saint-Jean Balanant associées aux armes de l’Ordre, ainsi peut-être qu’à celles de ce Perrot du Dresnay donné lors de la Réformation de 1443 comme « gouverneur de l’hospital mons.r S.ct Jehan Baptiste à Balaznant », toutefois ces conjectures relèvent entièrement de l’hypothèse.
Plus assurée était la présence des armes des seigneurs prééminenciers. Bien qu’elle n’aient pas été relevées par Jean Bouricquen, le peintre chargé en 1614 de dresser le Bref estat… des prééminences des Maillé-Carman, la présence à l’origine des armes de Kermavan est une évidence. Elles devaient se trouver en très bonne place : on les verrait avec crédibilité occuper la portion de pignon au-dessus de la fenêtre en façade sous le rampant nord, en correspondance avec la nef. Elles devaient s’y trouver pleines sous leur forme à un lion chargé sur l’épaule de la tour des Lesquélen (armoirie 4), mais aussi partagées avec une ou plusieurs alliances. Le seigneur de Kermavan étant alors Tanguy de Kermavan, époux d’Aliette ou Eliette de Quélen du Vieux-Chastel, la présence au moins d’un écu mi-parti ou accolé aux armes de sa femme (armoirie 5) est probable : on les voyait au Folgoët à droite de la grande verrière au pignon de la chapelle de la Croix au sud, taillées en bosse sous une arcature. On peut peut-être aussi imaginer des mi-partis avec Léon, Pennanec’h et du Chastel, comme aux têtes de lancette des baies géminées au chevet. Les prééminences qui s’y déploient, ainsi qu’aux façades du Folgoët, attestent que la hiérarchie féodale était respectée : il faut donc suspecter la présence en rappel, en assez bonne place, des armes de Léon (armoirie 6).
Il est aussi très probable que les Penmarc’h, qui tenaient la chapelle disparue au nord, avaient au moins une plaque armoriée sinon davantage (armoirie 7), qu’on imaginerait bien sur la face nord voire au pignon ou au revers occidental de leur chapelle, le total des dix-sept plaques n’étant peut-être pas exhaustif. Il faut remarquer que les aveux successifs de Penmarc’h ne font pas mention d’armes à l’extérieur, cependant le relief aurait pu ne pas être compris, les Penmarc’h ayant changé deux fois d’armoiries en à peine un siècle. Ils portèrent primitivement une version d’or à la fasce d’azur accompagnée de six pigeons de même, qui fut simplifiée d’or à trois pigeons, colombes ou merlettes de même, avant de se fixer tardivement vers la fin du XVIe ou le début du siècle pour des armes parlantes de gueules à la tête de cheval d’argent (Gac 1997, p. 7-13). La première mutation ayant eu lieu au courant du XVe siècle, époque de la construction, on ne peut rien résoudre. Le sire de Penmarc’h était alors le jeune Henri II de Penmarc’h, né vers 1414 (Torchet 2010, p. 251), personnage assez important pour revendiquer le droit de porter l’un des poteaux de la chaise de l’évêque de Léon lors de son investiture solennelle. Il avait épousé Aliz de Coëtivy (ibid.), cousine par sa mère Catherine du Chastel de Marguerite du Chastel, bru du seigneur de Kermavan – lui aussi porteur de la cathèdre épiscopale – et représentée au chevet dans la dernière lancette de la baie géminée au sud. On perçoit là des relations d’intérêt entre les deux maisons.
On peut aussi compter sans grand risque d’erreur un écusson aux March’ec (armoirie 8), maîtres du bas-côté sud. À nouveau, la mention en marge de leur aveu n’en fait pas mention. Ces omissions réitérées (aveux de Penmarc’h, de Guicquelleau, Bref estat…) pourraient-elles indiquer que les écussons extérieurs n’étaient plus lisibles, leur surface ayant peut-être été simplement peinte ? Ce n’est qu’une hypothèse, mais il ne faut pas se questionner outre mesure : l’étude du décor héraldique des portails de la cathédrale de Quimper a montré que certains prééminenciers, au XVIIe ou au XVIIIe siècle, qui pouvaient y prétendre des écussons, ne les mentionnèrent pas, le souvenir ayant dû s’en perdre avec le temps (Broucke 2010).
Même en supposant un redoublement de plusieurs armoiries, sans doute resterait-il encore quelques emplacements à pourvoir. Il est possible que des seigneuries locales aient pu prétendre à des droits, manifestés par un ou plusieurs écussons, sans certitude. Il faut aussi envisager qu’aient figuré les armes de l’évêque de Léon, et pourquoi pas d’un ecclésiastique étranger au diocèse, dont l’action aurait été mise en avant. L’influent évêque de Cornouaille, Bertrand de Rosmadec, dont les armes se voient à Kernascléden en Vannetais, les avaient aussi sculptées au Folgoët (Sotin 2014, 1, p. 67), où l’écusson de Guillaume Boutier, abbé de Beaulieu et aumônier du duc occupait également une excellente place à la tour sud (ibid.).
Il faut enfin évoquer la chapelle disparue des Penmarc’h, qui s’ouvrait au nord du chœur par une grande arcade de communication qui seule en subsiste, murée. Cette aile, copiée sur la chapelle sud du Folgoët (Sotin 2014), fit place à une sacristie construite en partie avec les matériaux de démolition, parmi lesquels une ancienne porte. En 1758, il était question de la supprimer, étant jugée « inutille » et « occasionn[ant] des contestations [car] étante scittuée dans le fieff d’un seigneur voisin » (Poitiers, AD de la Vienne, 3 H 1/465, procès-verbal des améliorissements de la commanderie de La Feuillée en 1758, rapporté par : Leman 2018, p. 102). Précédemment, les aveux successifs des seigneurs puis barons de Penmarc’h apprennent, malheureusement sans détail, qu’ils y avaient des prééminences armoriées : « en la paroisse de Plouyen en l’église dédiée à mons.r sainct Jehan appellée Sainct Jehan Balaznant une chapelle armoiée des armoiries dudit sr Penmarc’h du costé de l’évangile et les escabeaux en ladite chapelle estan » (Nantes, AD de Loire Atlantique, B 1715, aveux pour la baronnie de Penmarc’h par Alain de Penmarc’h en 1556, repris par les aveux de Claude de Penmarc’h en 1572 et René de Penmarc’h en 1620 et par Vincent-Gabriel de Penmarc’h en 1682).
Un procès-verbal de visite de l’Ordre en 1727 en précise un peu la teneur, mentionnant « au haut de la vitre qui est rompüe en plusieurs endroits […] les armes de la religion en superioritté et d’autres armes en dessous » (Poitiers, AD de la Vienne, 3 H 1/465, procès-verbal des améliorissements de la commanderie de La Feuillée en 1727, rapporté par : Leman 2018, p. 100). On devine une verrière ancienne, en mauvais état d’entretien – quoique signalée « en bon estat » en 1682 (ibid., p. 92) –, ornée au plus haut des armes de Saint-de-Jérusalem (armoirie 3 b) et pour l’essentiel de l’une ou l’autre version des armes de Penmarc’h, pleines (armoiries 7 b-?) et probablement en alliance dans des mi-partis (armoiries 9 a-?). Les armes pleines étaient aussi « dans une lizierre autour de la chappelle par dedans » (ibid., p. 100) (armoiries 7 ?-?). Cette litre, déjà mentionnée en 1682 et 1708 (ibid., p. 92, 96), pourrait avoir été ancienne et répondre à la description de l’aveu de 1556. Les Penmarc’h avaient encore dans cette chapelle une « tumbe et sépulture de pierre qui […] a esté arranté par un commandeur nommé frère Pierre du Chasteignier l’a mil cincq cens » (ibid., p. 91), pour une rente de vingt sols (ibid.). La date étant proche, on se demande s’il n’aurait pas pu s’agir d’une tombe aménagée pour Alain IV de Penmarc’h, décédé à la fin de décembre 1498 quelques jours après l’érection de son fief en baronnie (Gac 1997, p. 24), mais il aurait pu également s’agir d’une autre inhumation.