Le manoir de Keroullé, blotti au fond d’une anse à laquelle il a donné son nom, s’élève à environ deux kilomètres au sud-est du bourg de L’Hôpital-Camfrout, en retrait d’une boucle de la départementale 770. Malgré de nombreux remaniements à travers les siècles, il se présente encore dans un assez bel état de préservation, et l’on ne relève pas de différence majeure entre le plan de masse porté au cadastre de 1825 et l’actuel. Les bâtiments se regroupent autour d’une cour fermée assez petite. Au sud-est, une tour d’escalier polygonale à pans, dessert deux ailes disposées en équerre sur un angle légèrement fermé. La plus longue, orientée nord-nord-ouest, a été la plus retouchée : raccordée avec approximation, elle était aménagée sur une galerie pavée à trois colonnes, en partie « obstruée pour créer des pièces au rez-de-chaussée » (L’Haridon, Bègne 2012, base Gertrude) et de nombreuses ouvertures y furent percées à posteriori « que ce soit en façade est ou ouest » (ibid.). Le corps de logis orienté ouest-sud-ouest, plus petit mais moins marqué par les reprises, joint un portail à double portes piétonne et cavalière donnant sur le sud, qui relie un logis indépendant implanté vers le nord-ouest, compris comme l’ancienne métairie. Ce bâtiment, flanqué à l’angle extérieur d’une petite tourelle circulaire, a vu sa distribution très remaniée, une porte a été murée, et l’étage exhaussé. Enfin, le côté nord de la cour est fermé par la longère et les communs d’une ancienne ferme, basse et sans étage. Un moulin à marée, ruiné, complétait cet ensemble. Le tout inscrit Keroullé « dans la famille du logis manorial de la première moitié du XVIe siècle (années 1520-1530) et du tout début du XVIIe siècle » (ibid.). Plusieurs caractères, notamment dans « la qualité de la mise en œuvre des matériaux » (ibid.), le rapprochent des importants manoirs léonards de « Mézarnou et Tronjoly » (ibid.), avec une finition toutefois légèrement inférieure.
Plan de masse du manoir de Keroullé au cadastre de 1825, Quimper, AD du Finistère, 3 P 83/1/7, L’Hôpital-Camfrout. Cadastre napoléonien, section B 3.
Le décor héraldique d’origine a presque entièrement péri. On ne peut que constater la disparition des deux pierres armoriées qui devaient occuper les cavités au pan coupé de la tourelle d’escalier, l’une à l’étage, l’autre au-dessus de la porte (armoirie 1 a-b). Cette dernière a été comblée dans la décennie 2000, et l’on y a ajouté une plaque en bronze figurant un écusson losangé d’argent et de sable à la coupe d’or brochante. Ce sont les armes des Omnès, une famille de petite noblesse peut-être originaire du manoir éponyme de Keromnès en Carantec, dans l’évêché de Léon. Dans la première moitié du XVe siècle, ce fief passa aux Le Boutouiller qui, semble-t-il, relevèrent les armes de leurs prédécesseurs (Le Guennec 1979, p. 379 ; Potier de Courcy 1993, 2, p. 338 ; Torchet 2010, p. 168-169). Sans qu’on en connaisse la généalogie précise, les principales branches du lignage s’établirent en Cornouaille, où les Omnès sont attestés aux XVe et XVIe siècles en plusieurs manoirs dans les paroisses limitrophes de Hanvec, Rosnoën et L’Hôpital-Camfrout. On a postulé que les plus anciennes traces de leur présence à Keroullé remontaient aux décennies 1520-1530 : en 1536, Keroullé appartenait à « Bernard Omnès, seigneur de Keroullé, de Tibizien, Kerantrez » (L’Haridon, Bègne 2012, base Gertrude), et avant lui Jehan Omnès, majeur au moins depuis les années 1480, devait en 1524 « chefrente sur Keroullay au vicomte du Faou » (Torchet 2011, p. 151). Toutefois, la mention parmi les nobles de Hanvec lors de la Réformation de 1426 d’un Guillaume Omnès Kerourlay et son fils Guyomarc’h (Torchet 2001, p. 61, 224 ; Torchet 2011, p. 151) prouve que le manoir était déjà entre leurs mains, sans doute depuis peu de temps : la juxtaposition du nom du fief à celui du patronyme suggère que Guillaume Omnès devait avoir marié une héritière, ou être issu d’une union avec une héritière.
L’Hôpital-Camfrout, manoir de Keroullé, corps de logis et tourelle d’escalier (c) Inventaire, base Gertrude, cliché Bernard Bègne.
Ce pourrait être, sans certitude, la représentante d’une énigmatique maison de Keroullé, dont on ignore à peu tout, mais que l’Armorial breton de Guy Le Borgne (Le Borgne 1667, p. 151) recense en 1667 avec des armoiries d’argent à trois pommes de pin de sinople. Sans confirmation par un autre armorial ancien, sans empreinte de sceau connue, sans source d’archive, cette mention tardive passerait pour douteuse s’il n’était le témoignage d’une pierre armoriée en kersanton de réemploi, insérée en bouchage d’un fenestrou de la métairie du manoir. L’écusson, mi-parti de trois pommes de pin et une molette en abîme, et d’un chevron accompagné de trois roses ou quintefeuilles (armoirie 2), désigne Jacob Omnès et son épouse Jeanne Rivoalen alias Rivoallen alias de Rivoalen. On sait que « Jacob Omnès faisait exempter un métayer à La Villeneufve en Dirinon [mais] devait être mineur. Il a passé des actes à Daoulas dès 1470, […] fit aveu au duc avec son épouse Jouhanne Rivoallen en Pleyben en 1473(4) » et passera encore plusieurs actes jusque 1495 au moins. Il y a peu de doute que ce relief armorié ait bougé de Keroullé, même si sa provenance exacte est impossible à déterminer. Peut-être s’agissait-il du corps de logis formant la petite aile à laquelle s’adosse la tourelle d’escalier, qui donne l’impression d’être la partie la plus ancienne du manoir. Quoi qu’il en soit, cet écusson signale formellement une campagne de construction dans la deuxième moitié du XVe siècle, supposément vers les années 1460-1490.
Cavité pour un écusson de pierre bouchée par une plaque aux armes des Omnès de Keromnès, L’Hôpital-Camfrout, manoir de Keroullé, porte de la tourelle d’escalier.
Un procès-verbal de prééminences de 1689 pour l’ancienne église paroissiale Saint-Gilles, l’abbaye Notre-Dame-de-Joye et la chapelle Notre-Dame-de-Paradis, en la ville d’Hennebont dans le Morbihan, apporte une confirmation des armes des Omnès de Keroullé, en révélant leurs émaux (Vannes, AD du Morbihan, 60 H 40). Les abbesses de Notre-Dame-de-Joye revendiquaient d’importantes prééminences dans les trois édifices, et y possédaient de nombreux écussons. Le plus récurrent, figuré sur deux entraits et une statue à Saint-Gilles, au-dessus de la chaise de l’abbesse et aux vitraux de l’église abbatiale, ainsi qu’à une verrière du chœur et au porche de Notre-Dame-du-Paradis, montrait des armes d’or à trois pommes de pin d’azur et une molette de gueules en abîme (Constantin 2019, p. 12-13), attribuables à Marie Omnès, abbesse de Notre-Dame-de-Joye (1520-1545). Sa sœur – ou une proche parente – Françoise Omnès lui succéda sur la cathèdre abbatiale de 1545 à 1579 (Pérès 2008, p. 114). Elle-même était fille de Jacob Omnès et Jehanne de Rivoalen, ceux-là dont les armoiries ornent la pierre armoriée du manoir. Une sœur de Jehanne, Guillemette, avait été abbesse de Notre-Dame-de-Joye de 1488 à 1520. Les deux femmes étaient filles de Jehan de Rivoalen, seigneur de Mezléan en Gouesnou, et de Marie de Kergroadez (Torchet 2010, p. 262), dont une sœur, Armelle, fut elle aussi abbesse de 1470 à 1488 (Pérès 2008, p. 112-113), initiant la transmission familiale de cette charge sur quatre générations pendant plus d’un siècle.
Ecusson en kersanton aux armes mi-parties de Jacob Omnès et Jehanne de Rivoalen, vers les années 1460-1490, L’Hôpital-Camfrout, manoir de Keroullé.
La différence d’émaux constatée avec le blasonnement de Guy Le Borgne sur les armes de Keroullé est plus conforme avec la réalité d’un petit groupe héraldique local centré autour de la famille Hirgarz. Cette maison ancienne, originaire de « Crozon et vassale des sires de Poulmic, ses voisins » (Torchet 2001, p. 194), blasonnait d’or à trois pommes de pin d’azur (ibid. ; Le Borgne, p. 113 ; Potier de Courcy 1993, 2, p. 31), des armes reprises telles quelles ou avec diverses brisures par plusieurs familles alentour. Outre les Keroullé, qui brisaient d’une molette de gueules, peut-être l’indice d’un lien très ancien avec les Lanros, un puissant lignage originaire d’Ergué-Armel qui portait d’or à la molette de gueules, les Glazren, en Crozon, avaient les pommes de pin pleines (Torchet 2001, p. 188 ; Torchet 2011, p. 109). Une branche des mêmes, ou une famille homonyme, en Landerneau, brisait d’une bordure engrêlée de gueules (Le Borgne 1667, p. 94). Peut-être existait-il encore un lien avec les Guimarc’h ou Guyomarc’h de Kergos en Clohars-Fouesnant et les Kercoc’h en Peumerit, qui portaient respectivement d’azur au chevron d’or accompagné de trois pommes de pin de même et d’azur à trois noix d’or (Torchet 2001, p. 191, 200). Les armes des Trégain en Briec, Cast et Châteaulin, d’or à trois pommes de pin de gueules (Potier de Courcy 1993, 2, p. 612), et des Penguern en Lopérec, Dinéault, Plomodiern et Rosnoën (ibid., p. 365), de même brisé d’une fleur de lys de gueules en abîme, paraissent plutôt relever de celles des Tréziguidy, d’or à trois pommes de pin de gueules (ibid., p. 619), mais un lien entre Tréziguidy et Hirgarz n’est pas à exclure.
Hennebont, basilique Notre-Dame-de-Paradis, portes du porche surmontées des armes effacées de Marie Omnès, abbesse de Notre-Dame-de-Joye (1520-1545), fille de Jacob Omnès et Jehanne de Rivoalen, sieur et dame de Keroullé.
Ces réflexions font revoir la chronologie du manoir, des armes et des seigneurs de Keroullé. Vers le début du XVe siècle, un Omnès d’une branche cornouaillaise dut épouser une héritière de Keroullé, qui portait les armoiries d’une branche cadette issue ou vassale des Hirgarz en Crozon, la molette de gueules en brisure suggérant, sous réserve, une possible alliance, plus ancienne, avec les Lanros. Deux ou trois générations plus tard, dans la deuxième moitié du XVe siècle, Jacob Omnès et Jehanne de Rivoalen entreprirent vraisemblablement des constructions à Keroullé, peut-être l’ancien corps de logis en retrait de la tourelle d’escaler. Enfin, un écusson à leurs armes, en kersanton, datable vers les années 1470-1490, fut réemployé en bouchage dans les maçonneries de la métairie, à une époque indéterminée.
Auteur : Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, L’Hôpital-Camfrout, manoir de Keroullé, https://armma.saprat.fr/monument/lhopital-camfrout-manoir-de-keroulle/, consulté
le 23/11/2024.
Bibliographie sources
Brest, AD Finistère, 3 P 83/1/7, L’Hôpital-Camfrout. Cadastre napoléonien, section B 3 de l’Est, échelle 1 / 2500e, 1825.
Vannes, AD du Morbihan, 60 H 40, Fonds de l’abbaye Notre-Dame-de-Joye, procès-verbal de prééminences pour l’église abbatiale Notre-Dame-de-Joye, et les églises paroissiales de Saint-Gilles et Notre-Dame-de-Paradis, 1689.
Bibliographie études
Constantin, Pierre-Laurent, « Des droits d’armoiries dans les églises d’Hennebont en 1689 », Cahiers d’histoire du Vieil-Hennebont, Hennebont 2019.
Pérès, Alban, « Filiation des abbesses de l’abbaye Notre-Dame de La Joye d’Hennebont », Bulletin annuel de la Société d’archéologie et d’histoire du pays de Lorient, 36, 2008, p. 105-138.
Potier de Courcy, Pol, Nobiliaire et armorial de Bretagne, Mayenne 1993 (rééd.).
Torchet, Hervé, Réformation des fouages de 1426. Diocèse ou évêché de Cornouaille, Paris 2001.
Torchet, Hervé, Réformation des fouages de 1426. Diocèse ou évêché de Léon, Paris 2010.
Torchet, Hervé, Montre générale de 1481, Cornouaille, Paris 2011.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
L’Hôpital-Camfrout, manoir de Keroullé. Armoirie Jacob Omnès de Keroullé-Jeanne de Rivoalen (armoirie 2).
Mi-parti, au 1 : d'(or) à trois pommes de pin d'(azur), et une molette de (gueules) en abîme (Omnès de Keroullé) ; au 2 : d'(argent) au chevron de (gueules) accompagné de trois roses alias quintefeuilles de (même) (de Rivoalen).
Attribution : Omnès de Keroullé Jacob ; Rivoalen Jeanne de
Position : Extérieur
Étage : Inconnu
Pièce / Partie de l'édifice : Inconnue
Emplacement précis : Inconnu
Support armorié : Pierre sculptée
Structure actuelle de conservation : Déplacée dans le même monument