Hennebont, église Notre-Dame-de-Paradis (tour de clocher)
Hennebont, basilique Notre-Dame-de-Paradis, tour de clocher, (c) Monumentum.
La tour-porche de la basilique Notre-Dame-de-Paradis en Hennebont, coiffée d’une flèche culminant à soixante cinq mètres au-dessus de la cité, est l’une des plus imposantes en Bretagne pour cette catégorie d’édifice. De plan carré, elle est implantée hors œuvre en avant du vaisseau central de la nef, et est flanquée de tourelles d’escalier à flèches, aménagées au revers du pignon des bas-côtés. Elle s’ouvre sur un vaste porche voûté par une haute arcade à redents. Au-dessus prend place une vaste salle destinée aux réunions de la fabrique, un aménagement qui, « joint aux proportions monumentales de la tour, l’apparente à un véritable beffroi » (Bonnet, Rioult 2010, p. 208). Les niveaux supérieurs, bien que réalisés avec soin, proportionnellement à la base, sont un peu ramassés et leur manque d’élan confère une silhouette un peu trapue à ce clocher.
Sa chronologie n’a pas fait débat parmi les historiens de l’art : la découverte « dans le globe du pied de la croix placée sur la tour » (Le Moing 1913, p. 61 ; Mallet 1986, p. 82) d’une plaque de cuivre mentionnant le millésime de 1530 fit considérer qu’elle était alors terminée. La valeur de ce témoignage est pourtant discutable car la plaque date en réalité de 1803, en remplacement d’une autre de 1709, apposée elle-même après que le clocher eut été foudroyé (Constantin 2021). Un achèvement en 1530 supposerait que les travaux aient été menés à l’ouest avec une particulière énergie, un scénario certes possible, mais qui froisse eu égard à l’importance du volume architectural mis en œuvre. À seulement seize ans de la bénédiction de la première pierre en 1514, il serait surprenant que la flèche ait été parachevée alors qu’on quêtait encore en 1554 « afin de continuer et d’achever […] » l’édifice (Mallet 1986, p. 82), et que les charpentes ne furent posées qu’en 1591-1592. Une consécration étant survenue en 1524, il faut nécessairement qu’une part de la nef ou du chœur ait été bien avancée, faisant douter que les moyens aient pu être suffisants pour achever la tour en parallèle.
Relief aux armes de Bretagne, vers 1863, Hennebont, façade du clocher de la basilique Notre-Dame-de-Paradis.
Les éléments de décor héraldique sont tardifs. Outre les écoinçons des portes sous le porche, qui montraient les armes de l’abbesse Marie Omnès de Keroullé (1520-1545), la tour est scellée de deux reliefs armoriés. L’un, en façade, est une intéressante représentation néo-gothique des armes de Bretagne, et l’autre une plaque armoriée martelée en tuffeau associée à une représentation équestre, située au contrefort de la tourelle d’escalier nord.
La sculpture aux armes de Bretagne ne date que du XIXe siècle, mais sa qualité d’exécution pourrait la faire passer pour authentique à défaut d’un examen attentif. Scellée au-dessus du fleuron de l’archivolte du porche, elle prend appui sur une petite corniche ornée de feuilles de choux qui est le seul vestige d’une niche qui la précéda, dont témoigne une gravure de Cicéri en 1847 (Taylor, Nodier, Cailleux 1847, planche 97). Le relief fut commandé au sculpteur lorientais Lebrun par l’architecte Lambert, qui suivit les restaurations de 1852 à 1864, et une facture signale qu’il fut mis en place vers 1863 (de Vanel de Lisleroy 2021, p. 71). Il représente une hermine passante au naturel, contournée et chapée d’une cape fleurdelysée, tenant un listel écrit du mot À ma vie. Au-dessous est un écu aux armes de Bretagne (armoirie 1) brochant sur un cordon à nœuds. Cet ensemble, qui synthétise les principaux composants de l’emblématique ducale à la fin du Moyen Âge, est une transposition quasi-littérale d’un relief aux armes de la duchesse Jeanne de France († 1433) au tympan du porche sud de la cathédrale de Quimper. La composition est rigoureusement identique, seuls varient la forme de l’écu et les armoiries (Broucke 2010, p. 127-128 ; Cordier 2020). Pour évoquer davantage la figure d’Anne de Bretagne ou parce que le motif original n’avait pas été compris, une cordelière a été substituée aux mains issantes d’une nuée qui, à Quimper, tiennent l’écu de la duchesse. Ce ré-emprunt du XIXe siècle, dont l’apposition ne fut peut-être pas dénuée d’une arrière-pensée régionaliste, puise toutefois à des sources du premier tiers du XVe siècle, trop anciennes, et fausse la lecture héraldique de l’édifice, dont l’enveloppe ne semble pas avoir été ornée d’autres armes que celles de l’abbesse Omnès, et de la plaque en tuffeau au contrefort de la tourelle d’escalier au nord.
Plaque en tuffeau armoriée martelée et vestige de gargouille au contrefort de la tourelle d’escalier nord, Hennebont, Notre-Dame-de-Paradis, (c) Pierre Laurent Constantin, Service du patrimoine de la ville d’Hennebont.
À une hauteur correspondant au niveau du chapiteau de la grande arcade du porche, cet élément est scellé sous un larmier qui le sépare d’une gargouille cassée dont ne reste que l’arrière-train. Le peu qui se distingue de la surface entièrement martelée, la forme d’une couronne ou d’une tête couronnée au-dessous de ce qui est peut-être un listel déployé, ne porterait pas à grand commentaire, sans une mention au sein d’un mémoire du XVIIIe siècle : « La construction de l’édifice commencé en 1513 fut parachevée en 1534 sous le règne de Henry second, dont la figure équestre taillée en pierre avec les armes de France et de Bretagne placée en dehors d’un des piliers de la tour du côté de l’évangile laisse un monument parlant de cette vérité » (Vannes, AD du Morbihan, extrait d’un mémoire du XVIIIe siècle sur les droits des abbesses).
Ce témoignage plonge l’analyse dans l’embarras. En premier lieu, on ne sait comment résoudre la contradiction flagrante entre l’identification d’Henri II, roi de 1547 à 1559, et l’affirmation d’un achèvement en 1534. La mention des « armes de France et de Bretagne » (armoirie 2), portées longtemps encore après le décès d’Anne de Bretagne, n’est d’aucune aide, et on ne sait même pas si la description fait référence à des écussons accolés, ou à une alliance par un mi-parti ou un écartelé. Sans certitude pour les armoiries, quel crédit accorder au millésime de 1534 ? S’il était avéré, le souverain en représentation équestre serait plutôt François Ier (1515-1547). Faut-il au contraire décliner la date et privilégier l’attribution à Henri II, mais avec quelle conséquence pour la chronologie ? La figure équestre « taillée en pierre » questionne : aurait-il pu s’agir de la gargouille disparue, qui aurait été montée d’un cavalier couronné ? Les gargouilles ou acrotères de ce type sont rarissimes et on n’en relève pas d’exemple développant une représentation princière. L’hypothèse est toutefois moins farfelue qu’il paraît, cette statue étant la seule de l’édifice à avoir été endommagée, vraisemblablement de propos délibéré. Si comme tout le laisse à penser, elle a été martelée à la Révolution en même temps que la plaque armoriée, peut-être était-ce à cause d’éléments signifiants qui l’y reliaient. Dans l’éventualité, la présence à cet emplacement d’une gargouille montée pouvait aussi bien résulter d’une simple coïncidence.
Tentative de reconstitution hypothétique du relief armorié surmonté d’une gargouille montée, (c) Pierre Laurent Constantin, Service du patrimoine de la ville d’Hennebont.
L’identification d’Henri II pourrait trouver là une explication liée au destin tragique de ce souverain : une tradition ou une légende aurait elle pu s’établir, qui aurait assimilé le cavalier incertain d’une gargouille en forme de cheval au véritable roi Henri II terrassé en tournoi sur son destrier ? Les armoiries royales au-dessous auraient pu donner résonance à un tel conte forgé puis répété jusqu’à s’entremêler aux dates fournies par des comptes authentiques.
L’autre explication possible est plus prosaïque : la figure équestre était peut-être simplement sculptée en bas-relief sur la plaque en tuffeau, et les armoiries mises en exergue sur un médaillon. En retenant la date de 1534, le souverain représenté aurait pu être François Ier. On conserve de lui plusieurs portraits équestres dont une célèbre miniature de Jean Clouet conservée au Louvre et datée vers 1535, qui atteste des développements d’un type de portrait dérivant des modèles antiques, révélés par les guerres d’Italie. Cependant, il faut remarquer le caractère tout à fait exceptionnel du genre équestre laïc au sein de la production statuaire en Bretagne. On ne connaît formellement que deux autres représentations équestres princières pour le Moyen Âge et le XVIe siècle confondus : l’une, au porche de la cathédrale de Quimper, dont il reste des vestiges dans la cour du Musée départemental du Finistère à Quimper, figurait probablement le duc Jean V (1399-1442). L’autre, une statue équestre d’Henri II « sur le modèle de celle qui avait été mise en place au château de Blois en l’honneur de Louis XII » (Croix 2006, p. 696), ornait la façade de l’ancienne Chambre des comptes de Bretagne à Nantes, construite de 1515 à 1553 (ibid.). Elle fut entièrement détruite et réédifiée dans les années 1760 (Rousteau-Chambon 2001, p. 86), mais on en conserve une vue et quelques descriptions qui attestent de l’importance de cette construction, considérée au XVIIe siècle comme « l’une des trois raretés de Nantes » (Croix 2006, p. 618, 696). Toute entière construite de tuffeau, elle dut faire assez forte impression au moment de son achèvement, en particulier la statue équestre d’Henri, dont une dédicace latine apprenait qu’elle avait été offerte probablement vers 1552-1553 par la Communitas civitatum Armoricae (la communauté des villes de Bretagne) (ibid., p. 696-697).
Lambert Doomer, lavis représentant l’ancienne Chambre des comptes de Nantes, XVIIe siècle, (c) Nantes, Musée Dobrée.
En évacuant de la réflexion la date encombrante de 1534, il est très possible que les bourgeois d’Hennebont, fiers de l’association de leur cité au financement de cette statue, aient pu vouloir en installer une représentation au contrefort de leur église en construction. Le contexte local était alors en pleine tension avec l’abbesse de Notre-Dame-de-Joye à propos du patronage de l’édifice, qui donna lieu à « de longues procédures judiciaires en 1537 [et] 1576 » (Mallet 1986, p. 82). Au courant de la décennie 1550, la pose ostensible de l’effigie et des armoiries du souverain, tournées vers une place en train de devenir la plus importante hors de la ville close, se serait alors apparentée à un acte fort d’émancipation, et à une bravade à l’abbesse, en plaçant le nouveau monument sous la protection de l’autorité royale.
Auteurs : Paul-François Broucke, Pierre Laurent Constantin
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Pierre Laurent Constantin, Hennebont, église Notre-Dame-de-Paradis (tour de clocher), https://armma.saprat.fr/monument/hennebont-eglise-notre-dame-de-paradis-tour-de-clocher/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Vannes, AD du Morbihan, Fonds de l’abbaye Notre-Dame-de-Joye 60 H, extrait d’un mémoire touchant aux droits et prétentions des abbesses, XVIIIe siècle.
Bibliographie études
Bonnet, Philippe, Rioult, Jean-Jacques, Bretagne gothique, Paris 2010.
Broucke, Paul-François, Les prééminences héraldiques de la cathédrale de Quimper au XVe siècle : nouvelles perspectives, mémoire de master 1, dir. Yves Gallet, Université de Bretagne Occidentale, 2010.
Constantin, Pierre Laurent, La plaque de dédicace de Notre-Dame-de-Paradis – 3 minutes dans les collections de la ville, 2021, URL : https://www.youtube.com/watch?v=wa7Oy_Cvqqo (cons. le 06 avril 2021).