Au cœur d’Hennebont, sur la rive gauche du Blavet, Notre-Dame-de-Paradis, construite comme chapelle au XVIe siècle, supplanta dès 1570 l’ancienne église Saint-Gilles dans son statut de paroissiale, et fut érigée en basilique mineure en 1913 (Duhem 1932, p. 62 ; Guilchet 1999 ; Bonnet, Rioult 2010, p. 204). Par son parti ambitieux et le soin apporté à sa mise en œuvre, le monument, puisant à un riche répertoire formel et adoptant des solutions originales, a pu être qualifié « de tout premier ordre pour le contexte breton » (Bonnet, Rioult 2010, p. 210), ce qui se justifie pour la catégorie d’édifices à laquelle il appartient. Long de quarante-deux mètres, il se compose d’un large vaisseau de quatre travées épaulé de bas-côtés du type « à nef obscure », à forte muralité, ouvrant sur un chœur plus restreint formé d’une abside à cinq pans ajourée de grandes baies, surmontées d’un niveau ramassé de fenêtres hautes. L’ensemble, pour lequel il était prévu une couverture en bois, a reçu après 1840 une voûte en plâtre « plastiquement conforme à l’esprit du projet initial » (ibid., p. 207). À l’extérieur, s’accorde aux volumes généreux de la nef une puissante tour-clocher ouverte sur un porche et flanquée de tourelles d’escalier, qui occupe toute la largeur de la façade.
Hennebont, basilique Notre-Dame-de-Paradis, tour-clocher, vue depuis l’ouest.
Les travaux débutèrent en 1513 ou 1514 (ibid., p. 204 ; Guilchet 1999) à l’initiative du corps paroissial en butte à l’autorité des abbesses de Notre-Dame-de-Joye, qui prétendaient au patronage du nouvel édifice, ce qui fut durablement source de tensions et procédures (Mallet 1986, p. 82). Le phasage du chantier est incertain. Constatant une reprise au centre de la nef et cherchant à la relier à la date offerte par une consécration survenue en 1524, on a supposé que « les deux dernières travées […] n’étaient pas construites » (ibid., p. 83), ou par une approche inversée que la chapelle était alors « composée du chœur et de deux travées » (Bonnet, Rioult 2010, p. 206). Quant à la tour, une ancienne inscription relevée en 1703 la donnait pour terminée en 1530 (ibid., p. 204), ce qui surprend eu égard à l’importance de son volume architectural. Il faudrait supposer que les travaux aient été menés avec une particulière énergie, tandis qu’on quêtait encore en 1554 « afin de continuer et d’achever la chapelle Notre-Dame-du-Paradis » (Mallet 1986, p. 82). Peu après, en 1570, celle-ci « devint le siège de la paroisse […] et le service religieux y fut définitivement transféré en 1590 » (Bonnet, Rioult 2010, p. 82) ne laissant inachevés que « les éléments de couronnement » (ibid.). Une datation dendrochronologique des bois dans les combles confirme l’installation de la charpente en 1591-1592. Ensuite, l’édifice ne connut pas de modification majeure jusqu’à une série de restaurations entreprises au milieu du XIXe siècle, puis une réfection d’envergure suite à un bombardement en 1945.
Notre-Dame-du-Paradis offre un jalon intéressant pour l’étude de l’héraldique monumentale en Bretagne, non par la richesse mais au contraire par la quasi-absence de tout décor armorié. Cette particularité rare pour un édifice de cette ambition, au cœur d’une région marquée par la prolifération des prééminences au sein de l’espace sacré, s’explique par le rôle prépondérant de la bourgeoisie hennebontaise, au détriment d’un investissement nobiliaire plus traditionnel. L’éviction de presque toutes armoiries sculptées, réduites à deux écussons sans ornement dans le porche et un relief à l’extérieur de la tour, atteste que le monument ne fut pas prévu pour accueillir des droits honorifiques antérieurs, ou distribuer des espaces privatifs aux maisons nobles alentour. Ce ne fut pas sans conséquence sur le choix du plan, visiblement inspiré de celui de la nef de la cathédrale de Vannes, menée dans la deuxième moitié du XVe siècle : on en conserva le parti général en unifiant en un bas-côté continu les chapelles latérales dévolues à des familles nobles, devenues inutiles. Les quelques prééminences qui se greffèrent ultérieurement semblent avoir consisté surtout en des inhumations sous des plates-tombes armoriées, dont il ne subsiste que trois exemplaires. Au lieu d’une profusion d’armes nobiliaires, le monument manifeste plutôt, au courant du XVIe siècle, l’ancrage d’une conscience des élites roturières urbaines, à rapprocher des exemples offerts par les ambitieux chantiers des églises Saint-Malo et Saint-Sauveur de Dinan.
Hennebont, chœur de la basilique Notre-Dame-de-Paradis d’Hennebont.
Ce constat ne doit pas faire l’impasse sur l’existence d’un décor armorié qui ornait le vitrage d’origine, disparu, mais dont de maigres mentions attestent tardivement l’existence. Une pièce de procédure du XVIIIe siècle touchant aux droits des abbesses signale « que dans la maîtresse vitre en supériorité du côté de l’évangile, il y a les seuls écussons de France et de Bretagne, sans autre écusson. Il est vray que dans la vitre au-dessus il y a les armes de France et de Bretagne, et plus bas celles d’une abbesse de La Joye, mais dans les autres vitres des deux cotés de ladite église il y a les armes des bourgeois, habitans et bienfaiteurs de ce tems là, chacun laissant à la postérité une marque d’honneur pour retour et reconnoissance des dons et charités pour la construction de ceste église commune » (Vannes, AD Morbihan, fonds de l’abbaye Notre-Dame-de-Joye, cote non précisée). Cette description semble confirmer la relative discrétion de la noblesse.
Un procès-verbal de prééminences de 1689 à l’instigation de l’abbesse de Notre-Dame-de-Joye apporte des éclaircissements sur les quatre écussons décrits ci-dessus, qu’il faut situer dans l’une des deux fenêtres basses au pan droit ou au pan coupé du chœur, côté nord : dans « la vitre de la fenestre proche de levangile au dessous des armes de France et de Bretaigne partye avec celles de France sous [sont ?] deux écussons chacun dans leur soufflets orné de crosse et d’un cordon ou cercle d’or. Lesdits écussons faits en losange le fond fait de vitres ou dargent chargé de trois pommes de pain d’azur deux en cheff et une en pointe avec une molette de gueules en abisme […] » (Vannes, AD Morbihan, 60 H 41, f. 5-6).
Les écus de France (armoirie 1) et mi-parti de France et Bretagne (armoirie 2) désignent en théorie les rois Charles VIII (1483-1498) ou Louis XII (1498-1515) et leur successive épouse Anne de Bretagne (1491-1499 puis 1499-1414). Le mi-parti France / Bretagne a toutefois continué longtemps d’être utilisé, aussi ne peut-il être interprété à des fins de datation.
L’Hôpital-Camfrout, vue du manoir de Keroullé (c) Inventaire, Gertrude, Bernard Bègne.
Au-dessous, les armes à trois pommes de pin accompagnées d’une molette en abîme (armoirie 3 a-b) étaient celles d’une abbesse, dont le même document attestait la présence dans une vitre « de la longère au midy » de l’abbaye Notre-Dame-de-Joye, ainsi que sur une statue et aux entraits du chœur de l’église Saint-Gilles (ibid., f.3v-4r ; Constantin 2019, p. 11-12), parfois surmontées d’une crosse. Sur ces représentations, l’émail du champ différait : il était d’or et non d’argent, et fut ravivé pour l’occasion sur ordre exprès de l’abbesse, faisant supposer que celle-ci en avait une connaissance exacte, peut-être à l’appui d’archives. Elles appartenaient à l’une des deux abbesses Marie Omnès (1520-1545) ou Françoise Omnès (1545-1579), qui étaient étroitement apparentées, sœurs (Pérès 2008, p. 114) ou tante et nièce. Leurs armoiries ont résisté à l’identification car la branche aînée du lignage, implantée dans l’évêché de Cornouaille, passe pour en avoir porté de très différentes, un losangé d’argent et de sable à la coupe ouverte d’or brochante, qui auraient été transmises aux Le Boutouiller, ses successeurs sur la terre de Keromnès en Carantec, en Léon (Potier de Courcy 1993, 1, p. 153 ; 2, p. 338 ; Torchet 2010, p. 169). Mais le ramage des sieurs de Keroullé en L’Hôpital-Camfrout, dans l’évêché de Cornouaille, semble avoir adopté les armes des Keroullé. Nobiliaires et armoriaux attribuent à ces derniers d’argent à trois pommes de pin de sinople (Le Borgne 1667, p. 151 ; Potier de Courcy 1993, 2, p. 121), selon une version un peu douteuse. Un écusson de pierre du XVe siècle au manoir de Keroullé confirme en réalité la présence de la molette placée en abîme (« Manoir de Keroullé,L’Hôpital-Camfrout », Gertrude) : y sont sculptées les armes mi-parties de Jacob Omnès et de son épouse Jehanne Rivoalen, sieur et dame de Keroullé (Torchet 2011, p. 151), père et mère au moins de la première abbesse Omnès, peut-être également de la seconde. Jehanne Rivoalen était une proche parente – vraisemblablement la sœur – de Guillemette Rivoalen qui, de 1488 à 1520, précéda Marie Omnès sur la cathèdre des abbesses de Notre-Dame-de-Joye. Les deux femmes devaient être filles de Jehan Rivoallen et de Marie de Kergroadez (Torchet 2010, p. 210, 262) dont une sœur, Armelle de Kergroadez, avait déjà été abbesse de 1470 à 1488 (Pérès 2008, p. 112). On comprend que la charge d’abbesse de La Joye se transmit pendant plus d’un siècle par les liens du sang ou au gré des alliances, sur quatre titulatures : Armelle de Kergroadez, Guillemette de Rivoalen, Marie puis Françoise Omnès.
L’Hôpital-Camfrout, manoir de Keroullé, écusson aux armes de Jacob Omnès de Keroullé et de Jehanne de Rivoalen, XVe siècle, (c) Inventaire, Gertrude, Bernard Bègne.
Le long intervalle de plus d’un demi-siècle formé par les abbatiats cumulés des deux abbesses Omnès de 1520 à 1579 n’offre pas une datation précise du vitrage, mais pose tout de même deux avancées qui interpellent. En premier lieu, l’installation supposée des verrières jusque 1579 au plus tard questionne la chronologie du chantier, alors que la charpente ne fut posée que vers 1591 et que l’édifice par conséquent n’était pas encore hors d’eau. Ce nouvel élément est à l’appui d’une approche plaidant l’antériorité des travées orientales, au moins leur mise en service anticipée, peut-être sous couverture provisoire. À l’autre borne de la chronologie, on obtient confirmation que les armes mi-parties de France et de Bretagne ne constituent en aucun cas un critère valable de datation, Anne de Bretagne étant décédée plusieurs années avant la nomination de Marie Omnès. Il faut comprendre ses armes en éminence comme un substitut aux armes royales sans indication de souverain en particulier.
Tombe aux armes des Le Venier près de l’entrée occidentale, Hennebont, basilique Notre-Dame-de-Paradis.
On ne mentionnera qu’en passant les trois plates-tombes armoriées en granite aujourd’hui dans la nef, qui ne sont pas médiévales. La première, remontée près de l’entrée, aux armes des Thomas de Saint-Nudec, et une autre dans le pavage, très altérée, dont les armes représentent peut-être un petit meuble accompagné de trois croissants, sont datables vers le début du XVIIe siècle et n’entrent pas dans le cadre de cette notice. La troisième est plus ancienne, datable par le style de l’écu vers les années 1570-1580, et montre les armoiries de la famille Le Venier en Merlévenez (armoirie 4), avec une variante remontant peut-être à la première moitié ou au milieu du siècle, qui n’est pas répertoriée. Alors qu’on leur connaît des armes à une fasce accompagnée de trois têtes de loup (Potier de Courcy 1993, 2, p. 651 ; D’Hozier 1977, 2, p. 180) parfois chargée d’un croissant sur la fasce (D’Hozier 1977, 2, p. 167), le croissant est ici posé en chef, signalant peut-être une brisure.
Enfin, les éléments armoriés de la tour de clocher , ainsi que du porche où se retrouvaient les armes de Marie Omnès, méritent un examen particulier.
Auteurs : Paul-François Broucke, Pierre Laurent Constantin
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Pierre Laurent Constantin, Hennebont, église Notre-Dame-de-Paradis, https://armma.saprat.fr/monument/hennebont-eglise-notre-dame-de-paradis/, consulté
le 03/12/2024.
Bibliographie sources
Vannes, AD du Morbihan, 60 H 41, Fonds de l’abbaye Notre-Dame-de-Joye, procès-verbal de prééminences pour l’église abbatiale Notre-Dame-de-Joye, et les églises paroissiales de Saint-Gilles et Notre-Dame-de-Paradis, 1689.
Vannes, AD du Morbihan, Fonds de l’abbaye Notre-Dame-de-Joye 60 H, extrait d’un mémoire touchant aux droits et prétentions des abbesses, XVIIIe siècle.
Bibliographie études
Bonnet, Philippe, Rioult, Jean-Jacques, Bretagne gothique, Paris 2010.
Constantin, Pierre-Laurent, « Des droits d’armoiries dans les églises d’Hennebont en 1689 », Cahiers d’histoire du Vieil-Hennebont, Hennebont 2019
Duhem, Gustave, Les églises de France. Morbihan, Paris 1932.
Guilchet, Jacques, La basilique Notre-Dame-de-Paradis, Hennebont 1999.
D’Hozier, Charles, Armorial général de France. Bretagne. Édit de novembre 1696, éd. René Chassin du Guerny, Rennes 1977 (rééd.).
Mallet, Jacques, « Hennebont : remparts et Notre-Dame-du-Paradis », Congrès archéologique de France, Morbihan, 141, Paris 1986, p. 77-87.
Pérès, Alban, « Filiation des abbesses de l’abbaye Notre-Dame de La Joye d’Hennebont », Bulletin annuel de la Société d’archéologie et d’histoire du pays de Lorient, 36, 2008, p. 105-138.
Potier de Courcy, Pol, Nobiliaire et armorial de Bretagne, Mayenne 1993 (rééd.).
Torchet, Hervé, Réformation des fouages de 1426. Diocèse ou évêché de Léon, Paris 2010.
Torchet, Hervé, Montre générale de 1481, Cornouaille, Paris 2011.