Construit sur la rive droite de la Seine, à seulement quelques centaines de mètres du Louvre mais en dehors de l’enceinte de Philippe-Auguste, le manoir du Carrousel était formé par trois corps de bâtiment disposés en U et entourant une cour ouverte au sud, vers le fleuve (Van Ossel 1998, p. 135). Il fut bâti par Pierre des Essart († 1349), proche conseiller des rois de France, qui en était déjà propriétaire avant 1316 et qui le sera jusqu’au moins 1342 : à cette date il possède en effet, avec son épouse, une maison, appelée hôtel des Tuilleries, « près ou environ des tuileries Sainct-Honoré, qui sont sur la dite rivière de Seine, outre les fossés du château du Louvre » (Lazare 1844, p. 645 ; Berger 2912). Situé sur le tracé de la nouvelle enceinte de la ville construite par Charles V, l’édifice, encore documenté en 1354, fut rasé probablement entre 1357 et 1366, quand débutèrent les travaux dans le secteur (Van Ossel 1998, p. 114, 119, 138). Les fouilles réalisées en 1989-1990 dans le cadre du projet du Grand Louvre ont permis d’identifier les vestiges de cette demeure et de récupérer quelques fragments de l’ornementation de ses espaces. Il s’agit notamment de débris de verrière et de peintures murales (ibid., p. 129).
Fragment de peinture murale aux armes de France et de Bourgogne. Paris, Manoir du Carrousel (Van Ossel 1998).
Ces derniers ont été trouvés principalement dans la cave du corps de bâtiment nord, formant le logis de la résidence (ibid., p. 135). Ils étaient mélangés à d’autres matériaux composant les remblais qui avaient été versés dans cet espace afin de le combler après la destruction de la résidence. Les fragments de peinture, assez nombreux, appartiennent au décor de différents salles qu’il n’a pas été possible d’identifier (ibid.). Nous y retrouvons des visages humains, un personnage féminin sur un fond de végétation, des chevaux, des inscriptions, des éléments ornementaux géométriques ou végétaux (ibid., p. 130-131). Un nombre consistent de fragments appartient à un même ensemble dans lequel un programme héraldique était développé. Des losanges portant des armoiries se succédaient sur un fond clair, reliées l’une à l’autre par des disques rouges et encadrées par des rinceaux dans les couleurs du jaune, du brun et du rouge. Formant une frise, ces losanges alternent les armes de France (armoirie 1) à celle de Bourgogne ancien (armoirie 2). D’après ce que certains fragments laissent voir, une bordure formée par des demi-losanges également armoriées se trouvait par-dessus cette frise. Des triangles avec des mouchetures d’hermines sur fond blanc (armoirie 3) s’alternaient à d’autres avec des fleurs de lys d’or et une bande componée d’argent et gueules (armoirie 4) : nous pouvons y reconnaître sans difficulté les armes de Bretagne (armoirie 3) et d’Évreux (armoirie 4). (ibid., p. 132 ; Mérindol 2001, p. 327-328 ; Mérindol 2013, p. 57).
Fragment de peinture murale aux armes de Bretagne et d’Evreux. Paris, Manoir du Carrousel (Van Ossel 1998).
La forme légèrement incurvée de plusieurs fragments présentant ce décor laisse penser qu’ils pouvaient appartenir à un plafond et, plus précisément, aux « entrevous de plâtre peint, entre deux solives » (Van Ossel 1998, p. 132). Il n’est toutefois possible de savoir quelle pièce ou partie du manoir présentait une telle mise en signe et quelle était sa signification exacte. L’association des armoiries de France et de Bourgogne pourrait faire référence à Philippe V le Long, roi de 1316 à 1322, et à son épouse Jeanne II de Bourgogne (1308-1347) (armoiries 1-2), plutôt qu’à Jeanne (Mérindol 2013, p. 57), fille du couple royal et également duchesse de Bourgogne, après la mort de sa mère en 1330, par son mariage avec Eudes IV. Pierre des Essarts accomplit en effet son ascension sociale pendant le règne de Philippe V, exerçant les charges de receveur de la reine, d’argentier du roi et, enfin, de maître des comptes. Il restera par la suite comme conseiller et responsable des finances même sous Charles IV et Philippe VI, jusqu’à 1346, quand il sera jeté en prison accusé d’être le responsable du mauvais gouvernement de la monarchie. La présence des supposées armoiries de Bretagne et d’Évreux donne d’autres éléments à soutien de cette chronologie : si l’hermine plain a été adopté pour les armes de Bretagne (armoirie 3) à partir de 1316, l’armoirie plaine d’Évreux (armoirie 4) fut utilisée jusqu’à 1328 quand Philippe III, devenu roi de Navarre, adopta un écartelé Navarre-Évreux (voir à ce propos la notice sur les carreaux de pavement du château de Brie-Comte-Robert) (Van Ossel 1998, p. 138). Il est donc possible que la réalisation de ce décor s’inscrive dans la période d’ascension de Pierre des Essarts entre 1316 et 1322 et manifeste la volonté du commanditaire de s’inscrire parmi l’haute aristocratie de l’époque, s’appelant notamment à ses rapports avec le roi et ses familiers.
Ce décor, tout comme la taille du bâti et la qualité des appareillages, témoigne est donc le signe d’une résidence occupée par un personnage d’haut rang (Pierre des Essarts fut anobli en 1320), intéressé à s’installer en proximité des résidences royales, comme il sera de plus en plus le cas à partir de la deuxième moitié du XIVe siècle avec la réalisation des programmes urbanistiques et édilitaires de Charles V, d’abord, et de Charles VI, ensuite. Il est en revanche difficile de déterminer dans quelle salle ce décor apparaissait. Si les fragments de peinture ont été trouvés dans la cave du logis, nous ne manquerons pas d’indiquer qu’une vaste pièce rectangulaire, repartie par des piliers, se trouvait dans l’aile occidentale du manoir : datant de la première moitié du XIVe siècle, elle pouvait servir de grande salle ou de galerie sous arcade (Van Ossel 1998, p. 114).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Paris, Manoir du Carrousel (hôtel des Tuileries), https://armma.saprat.fr/monument/paris-manoir-du-carrousel-hotel-des-tuileries/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
Berger, Sabine, « Le manoir des Tuileries de Pierre des Essarts », dans P. Fournié et alii (dir.), La Demeure médiévale à Paris, catalogue de l’exposition (Paris 2012-2013), Paris 2012, p. 153-154.
Lazare, Félix, Lazare, Louis, Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, Paris 1844.
Mérindol, Christian de, La maison des chevaliers de Pont-Saint-Esprit, t. 2., Les décors peints : corpus des décors monumentaux peints et armoriés du Moyen âge en France, Pont-Saint-Esprit 2001.
Mérindol, Christian de, Images du royaume de France au Moyen Âge. Décors monumentaux peints et armoriés, art et histoire, Pont-Saint-Esprit 2013.
Paul Van Ossel (dir.), Les jardins du Carrousel (Paris). De la campagne à la ville : la formation d’un espace urbain, Paris 1998.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Paris, Manoir du Carrousel (hôtel des Tuileries). Armoirie roi de France (armoirie 1)