Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu (prééminences disparues des Du Chastel)
Il est acquis que les vicomtes de Léon furent fondateurs de l’abbaye Saint-Mathieu vers la fin du XIe siècle. Ils étaient considérés comme tels en 1442 lors d’une procédure au cours de laquelle, à dessein de prouver leur relation privilégiée à l’abbaye, on produisit de son chartrier un volume composé en 1343, collationnant trois pièces des XIIe-XIIIe siècles paraissant le confirmer (Guillotel 1994, p. 140-141). Si le statut de fondateur ne semble jamais leur avoir été disputé, on reconnaissait un rang à peine moins éminent aux Du Chastel, ce que résume explicitement le Compendium… de Dom Le Tort : « Si les seigneurs du Chastel ne sont point les fondateurs de ce monastère, du moins en peuvent-ils être considérés comme les principaux bienfaiteurs (…) » (Levot 1872, p. 374-375).
Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu, synthèse des prééminences disparues des Du Chastel.
Le souvenir de leurs prééminences peut être restitué en bonne part, à l’appui de trois mentions d’archives inédites. Un aveu de Louise de Penancoat de Keroual en 1686 détaille les droits honorifiques de la baronnie de Trémazan dans la sénéchaussée de Saint-Renan et Brest, peut-être sur la foi d’un relevé antérieur comme souvent en pareil cas (Nantes, AdLA, B 1059, f. 287-288). Après la vente de la seigneurie au financier Antoine Crozat en 1714, un procès-verbal de prise de possession de ces droits honorifiques, assorti d’une descente d’expertise dans les édifices concernés, fut diligentée en 1715, empruntant de larges extraits au document précédent. Enfin, une copie d’un dessin de la fin du XVIIe siècle, extrait du fonds des Blancs Manteaux, donne à connaître dix-sept écussons organisés en une planche, malheureusement sans indication d’emplacement, dont quatorze aux armes des Du Chastel, pleines et en alliance (Broucke 2020) (voir illustrations).
Il ressort qu’avant la fin de l’Ancien Régime, les prééminences des Du Chastel dans l’église abbatiale s’étalaient sans concurrence dans la baie d’axe et la claire-voie au sud, aujourd’hui disparues (photo 3) et dans les deux fenêtres du collatéral sud du chœur, comptant treize écus pleins, dix-neuf en alliance et deux anciens priants, pour un total de trente-quatre droits d’armes.
La maîtresse-vitre disparue arborait dix-sept écussons, au plus haut celui du roi (armoirie 1), puis au tympan dix des armes pleines du Chastel (armoirie 2 a-j), enfin six en alliance, probablement dans des mi-partis pour l’essentiel d’entre eux (armoirie 3 a-f). Elle ne peut pas être datée avec précision, cependant la multiplication d’écus aux pleines armes trahit une composition médiévale, du XIVe ou du début du XVe siècle au plus tard. Au-delà, le goût allait à des généalogies armoriées mettant principalement en œuvre des armes d’alliance. L’aveu de 1686 et l’enquête de 1715 témoignent que dans les autres monuments où les Du Chastel avaient leurs prééminences, les vitres ne comptaient qu’une ou deux occurrences de leurs armes pleines, mais jusqu’à douze mi-partis ou écartelés. Les armes du roi furent certainement ajoutées lors d’une réfection tardive, ainsi peut-être que les six écussons d’alliance au bas du tympan. Ces derniers renseignent sur le réseau de la verrière, en laissant deviner qu’ils occupaient une file de trilobes redoublant les têtes des six lancettes, une disposition annoncée aux fenêtres latérales, qui ont conservé leurs réseaux. Les deux au sud montraient les armes des Du Chastel, sans partage, consistant à la première travée en un écu plein dans l’ajour sommital (armoirie 4) et un en alliance dans les cinq autres ajours (armoirie 5 a-e), et dans la deuxième travée en deux alliances dans les trilobes inférieurs (armoirie 6 a-b). Dans cette verrière, l’aveu de 1686 mentionne qu’ils avaient « droit en outre de les poser au pied de la plus haute formerie de pierre qui était en verre blanc », ce que rappelait l’enquête de 1715. À cet emplacement, au bas des deux lancettes, il ne pouvait s’agir que des priants d’un couple de donateurs. Malgré les incertitudes quant aux réseaux et aux armes d’alliance, il est possible de proposer une tentative de reconstitution schématique de l’ensemble (voir illustrations).
Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu, essai de reconstitution schématique des prééminences du Chastel dans les fenêtres du chœur au sud.
Les deux fenêtres du collatéral sud, détruites (photo 5) étaient également chargées des seules armes des Du Chastel. Pleines, dans la première vitre, elles occupaient le plus haut ajour et la première lancette (armoirie 7 a-b), en alliance elles étaient à la deuxième lancette (armoirie 8), et aux cinq ajours du tympan de la seconde vitre (armoirie 9 a-e) (voir illustrations).
La concentration des signes exclusive au côté sud, la maîtresse-vitre mise à part, interpelle. Ce pourrait être l’indice d’une répartition sur le modèle des vitraux du chœur de la cathédrale de Quimper, installés dans la décennie 1410, déployant au nord une iconographie uniquement religieuse ou ecclésiale, tandis que les priants et armes de seigneurs laïcs, se pressaient au sud. À Saint-Mathieu, aucun lignage n’aurait pu localement rivaliser avec les Du Chastel : il n’y eut peut être pas d’armoirie aux fenêtres au nord, ou trop peu pour former un ensemble de prééminences ambitieux. Seuls les vicomtes de Léon ou leurs descendants auraient pu y prétendre, mais leur statut de fondateur leur aurait garanti au moins une place éminente dans la maîtresse-vitre, dont il sont absents. Ce n’est toutefois pas impossible : à l’ajour le plus haut, les armes du roi pourraient s’interpréter comme succession de celles des ducs de Bretagne, eux même détenteurs par rachat de la vicomté de Léon au XIVe siècle. Les armes ducales en réemploi dans le portail mauriste signalent l’intérêt des Montforts pour Saint-Mathieu au XVe siècle, justifiant qu’ils eussent pu aussi avoir leurs armes en verrerie.
La copie de la planche issue du fonds des Blancs Manteaux, sensiblement contemporaine des actes de 1686 et 1715, est organisée de manière artificielle et ne localise pas les écus au sein du monument (illustrations 1-2). Cependant, elle donne une bonne idée de ce que pouvaient être les écussons d’alliance aux fenêtres. Quatorze sur dix-sept étaient aux Du Chastel, dont treize en alliance, six se rapportant au Moyen Âge. Quatre appartenaient à des descendants des du Chastel vivant après le milieu du XVIe siècle, deux à des cadets, un autre n’est pas attribuable avec certitude. Un seul ne leur appartenait pas mais paraît avoir été confondu et inclus à la liste par erreur. Le tout formait une généalogie armoriée discontinue sur près de quatre siècles, précise depuis le milieu du XVe jusqu’à la fin du XVIIe siècle.
Planche d’écussons « En l’église de Saint-Mathieu » extraite du fonds des Blancs Manteaux, vers la fin du XVIIe siècle, copie vers le milieu du XXe siècle
La majeure partie des écussons de la planche sont médiévaux ou se réfèrent à des personnes ayant vécu au Moyen Âge. Le premier écu est aux pleines armes des Du Chastel (armoirie 10). Au second écu, elles sont mi-parties de Scépeaux, pour l’alliance de Marie de Rieux, héritière de Trémazan, fille de Guy de Rieux et de Anne du Chastel,
épouse de Guy de Scépeaux en 1587 (armoirie 11). Au troisième, elles sont mi-parties de Penancoat, pour Louise de Penancoat de Keroual, acheteuse de la baronnie de Trémazan en 1684 (armoirie 12). Au quatrième, elles sont mi-parties d’argent à trois chevrons de gueules (armoirie 13), pour Olivier Ier du Chastel († 1455), époux de Jeanne de Pluc (d’hermines à trois chevrons de gueules), ou Tanguy Ier du Chastel († 1352), époux de Typhaine de Plusquellec (chevronné d’argent et de gueules de six pièces). Au cinquième, elles sont mi-parties de Poulmic, pour Olivier II du Chastel, époux de Marie de Poulmic (armoirie 14). Au sixième, elles sont mi-parties de sable au lion d’argent, une alliance inconnue (armoirie 15). Ces armes pourraient appartenir plutôt aux Kermavan, du Pont ou du Juch. Au septième, elles sont mi-parties du Juch, pour l’alliance en secondes noces de Tanguy III du Chastel et Marie du Juch en 1501 (armoirie 16). Au huitième, elles sont mi-parties de Léon, en rappel de la lointaine alliance de Bernard du Chastel et Anne ou Ame de Léon vers le milieu du XIIIe siècle (armoirie 17). Au neuvième, elles sont mi-parties du Pont, pour l’alliance de Tanguy III du Chastel avec Louise du Pont en 1492, ou de Guillaume II († 1455) avec Marie du Pont (armoirie 18). Au dixième, elles sont mi-parties d’azur au léopard lionné d’or, pour Tanguy du Chastel (1370-1449 ou 1458), cadet, sénéchal de Beaucaire (armoirie 19).
Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu, transcription de la planche d’écussons issue du fonds des Blancs Manteaux.
Au onzième, elles sont mi-parties de Kernazret ou Kerazret, pour l’alliance de Guillaume du Chastel, fils cadet de Tanguy du Chastel et Marie du Juch, et de Marie de Kerazret (armoirie 20). Au douzième, elles sont mi-parties de Malestroit, pour Tanguy II du Chastel et Typhaine Raguenel, dame de Malestroit (armoirie 21). Au treizième, l’écu porte un fascé d’or et de gueules de six pièces et est timbré d’une crosse (armoirie 22), qu’il est difficile d’attribuer. Il pourrait s’agir des armes d’un Kerlec’h abbé de Saint-Mathieu, dont on aurait omis le lambel en brisure. Il pourrait aussi s’agir des armes de l’un des cinq évêques produits par la famille du Chastel.
Le quatorzième écu porte les armes de Jeanne de Scépeaux († 1620), héritière de Trémazan, fille de Guy de Rieux et Anne du Chastel, épouse de Henri de Gondy (armoirie 23). Au quinzième, sont les armes de Yvon de Langalla, noble de la deuxième moitié du XVe siècle, ou celles très proches de François de Kerlec’h, époux en 1595 de Suzanne de Langalla (armoirie 24). Au seizième sont les armes de Marguerite-Françoise de Gondy († 1670), héritière de Trémazan, fille de Henri de Gondy et Jeanne de Scépeaux, épouse de Louis de Cossé, duc de Brissac (armoirie 25). Enfin, le dernier écu, d’azur au chef d’or, surmonté d’une crosse, ne peut être identifié avec certitude (armoirie 26). Il pourrait appartenir à un abbé non identifié de Saint-Mathieu, ou à un évêque de Léon. Deux d’entre eux, Jean Validire (1427-1432) et Thomas James (1478-1482), ont eu des armes associant un chef et une combinaison d’émaux azur/or ou or/azur.
Les Du Chastel avaient encore leurs armoiries au haut de la tour à feu, enfin une inscription latine inscrite sur une plaque de cuivre du XIVe siècle scellée au-dessus de la porte du cloître rappelait le souvenir d’une importante donation (Broucke 2020).
Auteur : Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu (prééminences disparues des Du Chastel), https://armma.saprat.fr/monument/plougonvelin-abbaye-saint-mathieu-preeminences-disparues-des-du-chastel/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Nantes, AdLA, B 1059, fos 287-288, aveu par Louise de Penancoat de Keroual pour la baronnie de Trémazan, avec mention de prééminences dans l’abbaye de Saint-Mathieu, 1684.
Saint-Renan, Musée du Ponant, fonds du docteur Dujardin, copie manuscrite d’un procès-verbal de prise de possession des prééminences de la baronnie de Trémazan en 1715, n. d
Bibliographie études
Levot, Prosper, « L’abbaye de Saint-Mathieu de Fine-Terre ou de Saint-Mathieu », Bulletin de la Société académique de Brest, t. VIII, 1872-1873, rééd. 1985.
Guillotel, Hubert, « Les vicomtes de Léon sont-ils les fondateurs de l’abbaye de Saint-Mathieu ? », Saint-Mathieu-de-Fine-Terre à travers les âges, actes du colloque (Brest-Plougonvelin 1994), Brest 1995, p. 131-151.
Besselièvre, Jean Yves, Creac’h, Mathieu (dir.), Le château-fort de Trémazan. Architecture, légende, histoire, Brest, 1999.
Coativy, Yves (dir.), Le Trémazan des Du Chastel, du château fort à la ruine, actes du colloque de Brest (Brest 2004), Brest 2006.
Fabre, Martine, « La symbolique des Du Chastel d’après les sceaux et les armoriaux », Coativy Yves (dir.), Le Trémazan des Du Chastel, du château fort à la ruine, actes du colloque (Brest 2004), Brest 2006, p. 142-159.
Broucke, Paul-François, « Ruines abbatiales, ruines armoriées. Nouveau regard sur l’héraldique monumentale à Saint-Mathieu », Saint-Mathieu, vingt-cinq ans de recherches, actes du colloque de Plougonvelin (Plougonvelin 2019), 2020, à paraître.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu (anciennes prééminences Du Chastel). Armoirie roi de France (armoirie 1)
(D’azur à trois fleurs de lys d’or ?).
Attribution : Roi de France
Position : Intérieur
Étage : 1er étage
Pièce / Partie de l'édifice : Claire-voie ; Chœur
Emplacement précis : Chœur
Support armorié : Verrière
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Technique : Vitrail
Période : 1501-1525 ; 1526-1550 ; 1551-1600 ; 1601-1700
Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu (anciennes prééminences du Chastel). Armoirie du Chastel – Kerazret (armoirie 20)
Mi-parti, au 1 : fascé d’or et de gueules (du Chastel) ; au 2 : fascé d’or et de gueules de six pièces, à deux guivres ondoyantes en pal et adossées d’azur brochantes (de Kerazret).
Attribution : Du Chastel Tanguy - cadet -
Position : Intérieur
Étage : Inconnu
Pièce / Partie de l'édifice : Inconnue
Emplacement précis : Inconnu
Support armorié : Inconnu
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu (anciennes prééminences du Chastel). Armoirie Scépeaux – du Chastel – Rieux (armoirie 23)
Mi-parti, au 1 : vairé d’argent et de gueules (de Scépeaux) ; au 2 : écartelé, aux 1 et 4 : fascé d’or et de gueules de six pièces (du Chastel), aux 2 et 3 : d’azur à cinq besants d’or en sautoir (de Rieux).
Attribution : Scépeaux Jeanne de
Position : Intérieur
Étage : Inconnu
Emplacement précis : Inconnu
Support armorié : Inconnu
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu (anciennes prééminences du Chastel). Armoirie de Langalla ou de Kerlec’h (armoirie 24)
Écartelé, aux 1 et 4 : losangé d’argent et de sable, à la bande d’argent chargée de trois mouchetures d’hermines de sable (de Langalla) ; aux 2 et 3 : fascé d’or et de gueules de six pièces.
Attribution : Langalla Yvon de ; de Kerlec'h François
Position : Intérieur
Étage : Inconnu
Emplacement précis : Inconnu
Support armorié : Inconnu
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu (anciennes prééminences du Chastel). Armoirie Cossé – Gondy – du Chastel (armoirie 25)
Écartelé, aux 1 et 4 : de sable à trois fasces d’or denchées par le bas (de Cossé) ; aux 2 et 3 : d’or à deux masses d’armes de sables passées en sautoir et liées par la pointe (de Gondy) ; sur le tout : fascé d’or et de gueules de six pièces (du Chastel).
Attribution : de Gondy Marguerite-Françoise
Position : Intérieur
Étage : Inconnu
Emplacement précis : Inconnu
Support armorié : Inconnu
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue