Principal accès à l’abbaye de Saint-Mathieu, le portail à l’est de l’église a été implanté lors de la reconstruction des bâtiments monastiques entreprise par les Mauristes sous l’abbatiat de Louis de Menou (1658-1702), ainsi qu’en témoigne la date de 1672 gravée à l’arcade. Des plans attestent qu’auparavant, cet espace était occupé en retrait par un rempart médiéval qui fut mis à bas, dont l’entrée fortifiée se situait vers l’angle nord-est de l’ancienne tour à feu. Sous sa forme actuelle, le portail, restauré en 2001 non sans quelques débats, ne se présente plus dans son état d’origine, documenté par trois vues perspectives de la fin du XVIIe siècle, dont l’une insérée dans le Monasticon Gallicanum (BnF, Ms. Lat. 11821, fol. 124), et une autre connue par un fac-similé (Levot 1872, p. 393). En dépit de contradictions mineures sur les détails de l’entablement, les dessins s’accordent sur la structure générale et le fronton, orné de trois pierres armoriées, posées une et deux.
Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu, vue générale du portail (1672, remonté en 2001).
Avant 2001, seule la plaque au bas à gauche était encore en place. Très mutilée, on en distingue à peine la disposition, à un écu timbré d’une mitre et d’une crosse, accosté de deux palmes. C’étaient les armes de l’abbaye, d’hermines au chef de gueules chargé à dextre de la tête au chef de saint Mathieu et à senestre d’une hache d’argent (Paris, BnF, ms. Fr. 32156) (armoirie 1). Leur adoption doit avoir été ancienne, sur les indices du champ d’hermines, de la combinaison chromatique hermines / gueules et du chef, éléments récurrents dans l’héraldique de plusieurs cités bretonnes aux XVe-XVIe siècles (Nantes, Vannes, Morlaix, Ploërmel, Quimper…).
Symétrique, la deuxième plaque, retrouvée vers les années 1950 dans les déblais de la cheminée d’une maison, avait sans doute été récupérée comme matériau de démolition. Bien préservée, elle est sculptée des armes de l’abbé Louis de Menou (1658-1702), de gueules à une bande d’or, entre deux palmes, surmontées d’une crosse et d’une mitre (Potier 1994, t. 2, p. 262) (armoirie 2).
La troisième pierre, en kersanton, de belle facture mais endommagée, comptait jusqu’au remontage de 2001 parmi les collections du musée (armoirie 3). Elle montre les armes de Bretagne, à dix mouchetures d’hermines posées 4, 3, 2, 1, supportées par deux grands lions serrés d’un collier enchaîné à l’écu. L’écu est timbré d’une couronne à fleurons et d’un heaume à lambrequins coiffé d’un chapeau de tournoi rebrassé. Le cimier est martelé, mais on devine le lion assis entre deux cornes des Montforts. Alors que les deux autres pierres armoriées correspondent avec exactitude aux dessins du XVIIe siècle, il en va autrement pour l’écusson de Bretagne.
Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu, portail, écusson d’un duc de Bretagne (François Ier, 1442-1450 ?).
Les vues s’accordent à les reconnaître au-dessus de la porte, cependant le timbre, une couronne surmontée d’une sorte de lambrequin retroussé, et les supports, deux hermines chapées d’hermines, diffèrent, ainsi que les proportions (armoirie 4). De plus, les armes abbatiales s’insèrent parfaitement dans les maçonneries, tandis que le relief de kersanton est environné d’un joint épais rattrapé de pierres de calage, trahissant un remontage inadapté dans une cavité trop grande. Quelques éléments de composition et de style – l’accentuation du timbre au détriment des armoiries, le heaume en grand bassinet, les mouchetures d’hermines à pattes en losange, le traitement naturaliste des feuilles de chou formant les fleurons de la couronne – orientent la datation vers le milieu du XVe siècle. Le détail des lions colletés enchaînés à l’écu retient particulièrement l’attention, l’héraldique bretonne n’en comptant semble-t-il aucune autre occurrence. Le motif doit avoir été emprunté à l’emblématique des rois d’Écosse de la maison Stuart, dont les armes, depuis le règne de Robert III (1390-1406), avaient pour supports des licornes colletées de couronnes enchaînées à l’extrémité libre. La tentation est grande de reconnaître ici les armes du duc François Ier de Bretagne (1442-1450), époux en 1442 d’Isabeau Stuart, fille de Jacques Ier d’Écosse (1406-1437). Les lions enchaînés à l’écu seraient triplement signifiants : à la fois supports traditionnels des Montforts, figure principale des armes et supports d’Écosse, ils symboliseraient aussi le sacrement unissant les deux époux.
Si cette interprétation était juste, la couronne à fleurons pourrait avoir été l’une des premières, au sein de la production héraldique monumentale bretonne, à timbrer un écu d’hermines. On ne peut que conjecturer l’emplacement originel de ce relief, qui devait être scellé à l’extérieur en un lieu signalé. Peut-être se trouvait-il empreint dans l’ancienne muraille médiévale, au-dessus de la porte, ainsi que que le montre une maquette reconstituée de l’abbaye, présentée au musée voisin. Un édit du duc Jean V du 4 juillet 1409, qui déclare prendre en charge la reconstruction du rempart, donne du crédit à l’hypothèse (Urscheller 1892, p. 41). Ce serait une explication du choix un peu curieux, en 1672, d’avoir préféré sculpter au fronton du portail les armes de Bretagne plutôt que celles de France.
Auteur : Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu (portail), https://armma.saprat.fr/monument/plougonvelin-abbaye-saint-mathieu-portail/, consulté
le 21/11/2024.
Levot, Prosper, « L’abbaye de Saint-Mathieu de Fine-Terre ou de Saint-Mathieu », Bulletin de la Société académique de Brest, 8, 1872-1873 (rééd. 1985).
Urscheller, Henri, À travers la Bretagne. La pointe Saint-Mathieu…, Brest 1892.
Cloître, Marie-Claire, « L’abbaye retrouvée », dans Saint-Mathieu-de-Fine-Terre à travers les âges, actes du colloque (Brest-Plougonvelin 1994), Brest 1995, p. 271-301.
Chevillotte, Yves, « Recueil de textes sur l’abbaye de Saint-Mathieu-de-Fin-de-Terre », Bulletin de l’association Histoires et choses d’autrefois à Plougonvelin, 17, 1997, p. 24-25.
Chevillotte, Yves, « Recueil de textes sur l’abbaye de Saint-Mathieu-de-Fin-de-Terre », Bulletin de l’association Histoires et choses d’autrefois à Plougonvelin, 21, 2001, p. 12-13.
Mauguin, Michel, Broucke, Paul-François, L’armorial de l’ancienne grande paroisse de Plougonvelin, comprenant Le Conquet, Lochrist et Saint-Mathieu, Brest 2003.
Broucke, Paul-François, « Ruines abbatiales, ruines armoriées. Nouveau regard sur l’héraldique monumentale à Saint-Mathieu », dans A. Ybert (dir.), 25 ans de recherches à l’abbaye Saint-Mathieu de Fine-Terre, actes du colloque (Plougonvelin 2019), 2020, à paraître.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu (portail). Armoirie Louis de Menou (armoirie 2)