Le Louvre médiéval, progressivement rasé entre 1528 et 1660 (Histoire du Louvre, vol. I, 2016), ne conserve que de rares vestiges témoignant de l’exubérance héraldique et, plus généralement, ornementale décrite par les sources. Même si les informations qu’ils transmettent doivent être utilisées avec précaution (Bresc-Bautier, Faucherre, Le Pogam, 2016, p. 49), les textes littéraires et les registres comptables de Charles V attestent en effet d’apparats armoriés placés à différents endroits de la résidence, disparus sans laisser aucune trace. Ces décors héraldiques semblent s’être concentrés dans le logis nord, qui abritait des pièces destinées à des fonctions à la fois privatives et représentatives, où se déroulaient même certains actes de la vie publique du roi (Salamagne, 2013).
Le premier étage du logis, où se trouvait l’« appartement » du roi, était accessible par le biais de la célèbre « grand vis » érigée, hors d’œuvre et accolée au logis nord, en 1365 par Raymond du Temple (Bresc-Bautier, Faucherre, Le Pogam 2016, p. 82-85). Sa taille et son décor mettaient notamment en exergue la fonction cérémonielle de la structure (ibid., p. 84). L’extérieur de la cage d’escalier était orné par dix grandes statues placées dans des niches représentant le roi, la reine, leurs enfants et les autres héritiers présomptifs du royaume, disposés dans l’ordre inverse de la succession (ibid., p. 96). Le programme culminait dans un fronton (« chanteau » ?) orné d’un relief aux armes de France (semées de fleurs de lys), soutenues par deux anges. Surmontées d’un heaume couronné, elles étaient timbrées d’un cimier à la fleur de lys (Leroux de Lincy 1852, p. 673) (armoirie 1a). Elles étaient placées en proximité d’un ensemble de statues formé par l’image de la Vierge et par celle de saint Jean, sans doute accompagnées par un Christ en croix. L’ensemble semble avoir été complété en 1365 par deux culs de lampe, sculptés par Jean de Saint-Romain, portant l’image d’un bœuf et d’une aigle, symboles des évangélistes Luc et Jean, tenant un phylactère (Berty 1885, t. I, p. 187, n. 46; Mérindol 1986, p. 211, 221 ).
Dans le respect d’une tradition d’images déjà consolidée, même au Louvre, les portes comme les plafonds et les cheminées semblent avoir été un lieu privilégié d’exposition des emblèmes royaux. Le tympan de la porte ouverte entre la salle neuve du roi et sa chambre (s’agissait-il de la chambre de retrait ?) était ainsi orné d’un écu sculpté aux armes de France, soutenu par deux anges (« un escu de France adestré de deux angelos »), œuvre qui fut payée à Colin le Charron, tailleur de pierre, en 1365 (Berty 1885, I, p. 187, n. 45; Mérindol 1986, p. 211) (armoirie 1b). Dans la partie du complexe architectural aménagée par Charles V, la charpente de la nouvelle chambre du roi présentait des poutres et des solives décorées de fleurs de lis d’étain doré (Sauval 1724, t. II, p. 279) : un motif qui, à ces dates, étaient déjà entré dans le vocabulaire de l’ornementation, mais qui ici, même par le choix des couleurs, prend une valeur emblématique évidente (la mise en place de ces éléments semble dater de 1365-1368, mais les document ne donnent aucune information à propos de leur ornementation : Leroux de Lincy 1852, p. 767, num. 118, 771). « Des devises, et des armes du roi et de la reine » (armoiries 1c-?, 2a-?) étaient également représentées sur les vitres de la chambre, en association à des « images de saints et de saintes » (ibid.; Deschamps, Thibaut 1963, p. 239 ; Henwood 1980, p. 137 ; Whiteley 1992 ; Mérindol 2001, p. 329, num. 263 ; Id. 2013, p. 113). Attenante à cette salle, la chambre de parade (ou chambre de parement), pièce qui acquis de plus en plus d’importance dans les rituels politiques de la couronne (Bresc-Bautier, Faucherre, Le Pogam 2016, p. 92), avait était dotée en 1365 d’une grande cheminée chargée d’images, vraisemblablement sculptées, « de douze grosses bêtes, et des treize grands Prophetes, qui tenoient chacun un rouleau », culminant dans un écu aux armes de France, couronné et soutenu par deux anges (Sauval 1724, t. II, p. 279) (armoirie 1d). L’association de l’armoirie de France à l’image des prophètes semble se rattacher au glissement des thèmes christologiques vers la symbolique royale propre des derniers Capétiens et des premiers Valois (Mérindol 1986, p. 211, 218).
Les salles formant l’appartement de la reine, elles aussi réalisées dans la deuxième moitié des années 1360, étaient situées, suivant un ordre hiérarchique bien établi donnant la prééminence aux espaces occupés par le roi, au premier étage du logis nord, au-dessous de celles destinées au monarque (Bresc-Bautier, Faucherre, Le Pogam 2016, p. 91). L’apparat héraldique et emblématique de ces pièces devait être également très riche. Dans la chambre de la reine, les poutres et les solives du plafond étaient couvertes de fleurs de lys d’or, tandis que les vitres des fenêtres étaient ornés d’images de saints, mais aussi des devises et des armoiries du couple royal (Sauval 1724, t. II, p. 279 ; Mérindol 2013) (armoiries 1e-?, 2b-?). Le portail de la chapelle de la reine présentait notamment un programme sculpté d’envergure, réalisé par Jean de Saint Romain : la Vierge y était entourée par neuf anges, dont certains portaient « les armes de France, écartelées de Bourbon » (Sauval 1724, t. II, p. 282) (armoiries 3-?). Si la description est fidèle, le relief aurait donc proposé une variante de l’armoirie partie France-Bourbon que la reine semble avoir couramment utilisée (comme nous pouvons le voir dans la chapelle du château de Vincennes ou dans son tombeau, que Louis Boudan releva pour François Roger de Gaignières : Collecta).
Il n’est pas clair, en revanche, où se trouvait la porte dotée d’un fronton ornée d’un écu aux armes de la reine sculpté par Drouet de Dampmartin en 1365 et décrit comme une « huisserie à voulsure empointée et un chanteau auquel a un archet ; et dedans iceluy archet un escu des armes de la Royne, devers la rue d’Osteruche » (Berty 1885, I, p. 187, num. 47) (armoirie 2c). Puisque la rue d’Autruche longeait le Louvre sur le côté est, il est vraisemblable que cet élément héraldique se trouvait dans une salle du logis oriental. L’emplacement d’un autre élément sculpté armorié, retrouvé récemment en fouilles avec d’autres fragments datés de l’époque de Charles V, demeure également mystérieux (Baron 1996, p.240). Il s’agit d’un fragment architectural sculpté (Louvre, sculptures, RF 4176) orné d’un ange portant un écu écartelé qui semblerait porter au « 1 et 4, bandé (six pièces) de … et de …, au 2 et 3 de … aux oiseaux, chargé sur le tout d’un écu » (Bresc-Bautier, Faucherre, Le Pogam 2016, p. 94 et p. 116, note 397) (armoirie 4). L’état de conservation de la pièce est trop mauvais pour proposer une lecture fiable de l’armoirie qui, en tout cas, nous semble plutôt porter au 1 un animal passant (un lion ?) et au 3 un barré (de six pièces ?) à la bordure.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Paris, Palais du Louvre (donjon et logis), https://armma.saprat.fr/monument/paris-palais-du-louvre-donjon-et-logis/, consulté
le 02/12/2025.
Bibliographie études
Baron Françoise, Musée du Louvre, département des sculptures. Sculpture française, vol. I. Moyen Âge, Paris 1996.
Berty Adolphe, Topographie historique du Vieux Paris, t. 1. Région du Louvre et des Tuileries, Paris 1885.
Bresc-Bautier Geneviève, Faucherre Nicolas, Le Pogam Pierre-Yves, « Le Louvre au Moyen Âge », dans G. Bresc-Bautier, G. Fonkenell (dir.), Histoire du Louvre, vol. I. Des origines à l’heure napoléonienne, Paris 2016, p. 49-117.
Brut Catherine, « L’artisanat de la terre cuite à Paris. Carreaux et pavements parisiens », Revue archéologique de Picardie, 3-4, 2004, p. 27-38.
Deschamps Paul, Thibout Marc, La peinture murale en France au début de l’époque gothique, Paris 1963.
Henwood Philippe, « Raymond du Temple maître d’œuvre des rois Charles V et Charles VI », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, 105, 1980, p. 55-74.
Le Roux de Lincy Antoine, « Comptes des dépenses faites par Charles V dans le château du Louvre des années 1364 à 1368 », Revue archéologique, 8, 2, 1852, p. 670-691, 760-772.
Mérindol Christian de, « Essai sur l’emblématique et la thématique de la monarchie française à la fin du Moyen Âge d’après le témoignage du château de Vincennes », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1986 (1987), p. 187-227.
Mérindol Christian de, La maison des chevaliers de Pont-Saint-Esprit, t. 2. Les décors peints : corpus des décors monumentaux peints et armoriés du Moyen âge en France, Pont-Saint-Esprit 2001.
Mérindol Christian de, « Emblématique et carreaux de pavement à l’époque médiévale », Revue française d’héraldique et de sigillographie, 76, 2006, p. 29-52.
Mérindol Christian de, Images du royaume de France au Moyen Âge. Décors monumentaux peints et armoriés, art et histoire, Pont-Saint-Esprit 2013.
Salamagne Alain, « Lecture d’une symbolique seigneuriale : le Louvre de Charles V », dans P. Boucheron, J.-Ph. Genet, Marquer la ville. Signes, traces, empreintes du pouvoir (XIIIe-XVIe siècle), Paris 2013, p. 61-81.
Sauval Henry, Histoire et recherches des Antiquités de la ville de Paris, t. 2, Paris 1724.
Whiteley Mary, « Le Louvre de Charles V : disposition et fonctions d’une résidence royale », Revue de l’art, 97, 1992, p. 64-67.
Armoiries répertoriées dans ce monument
Paris, Palais du Louvre (donjon et logis). Armoirie roi de France (armoirie 1a)
(D’azur semé de fleurs de lys d’or).
Attribution : Charles V roi ; Roi de France
Cimier : Une fleurs de lys, timbrant un heaume couronné.
Tenants / Supports : Deux anges
Position : Extérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Cage d’escalier
Emplacement précis : Mur
Support armorié : Fronton
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue