Désaxée par rapport à la tour de Charles V († 1380), la chapelle, dédiée à la Trinité et à la Vierge, avait été construite dans le prolongement de la résidencedu XIIIe siècle avec laquelle elle était en communication. Les travaux, lancés avant 1379 quand un collège de chanoines y est fondé (Chapelot 1996, p. 102), ont été continués par Charles VI à partir de mars 1381. Toutefois, le chantier n’avança pas très rapidement, même si le roi, en mai 1389, avait proclamé son intention d’achever la construction de l’édifice, qu’il avait unit à perpétuité avec l’ancienne chapelle Saint-Martin. En 1400, Jean Amiot, payeur des œuvres du roi, repris le chantier qui s’arrêta toutefois à nouveau, au sommet des grandes baies. Il faudra attendre le règne de François Ier et celui d’Henri II, son successeur, pour voir l’édifice terminé. Si l’emblématique de ce dernier se déploie dans tout son ampleur notamment dans les peintures qui recouvrent les voûtes de la chapelle, d’autres éléments héraldiques, datant ceux-ci de la première phase de construction de l’édifice, se retrouvent dans les parties les plus anciennes de l’édifices. Ils font ainsi parti d’un programme assez cohérent de mise en signe par le pouvoir du château de Vincennes, élu à symbole de l’autorité royale dès son origine.
Vincennes, château, Sainte-Chapelle, oratoire du roi.
Depuis l’entrée de la chapelle le regard est capté par les reliefs héraldiques figurant sur les portes d’entrée des deux oratoires disposés de part et d’autre du chœur. Celui de gauche, occupant la place plus honorable à la dextre de l’autel, était réservé, da manière assez exceptionnelle, à la reine, comme semble l’indiquer l’écu parti aux armes Bourbon-France ancienne qui figure dans son tympan (armoirie 1). L’écu armorié, avec France à senestre en direction de l’autel, est soutenu par deux anges et timbré d’une couronne tenue par un troisième ange. Le relief semblerait donc indiquer que le chantier de construction de la chapelle avait bien avancé avant la mort de Jeanne de Bourbon, épouse de Charles V, en février 1378 ou, au moins, avant le décès du roi en 1380. Si les anges semblent bien dater de la fin du XIVe siècle, quelques doutes a été avancés sur la chronologie de l’écu armorié qui pourrait remonter aux restaurations réalisées au XIXe siècle (Erlande-Brandenburg 1972, p. 318 repris par Mérindol 1987, p. 204). Signalé déjà par Guillermy (Erlande-Brandenburg 1972, p. 318, note 1), l’écusson semble avoir été de même sculpté sur la base d’éléments encore visible. La présence de cette armoirie, donc, est tout à fait plausible dans le programme originaire et permet d’échelonner l’avancement du chantier de construction (ibid.).
Le chantier interrompu par la mort du roi en 1380 repris vraisemblablement au début des années 1390. Des documents comptables datant de 1395-1396 attribuent le chantier à Raymond du Temple et prouvent que, à cette époque, étaient achevés l’abside et la dernière travée de la chapelle, avec les deux oratoires (Sandron 2001, p. 97). La susdite porte armoriée donne en effet accès à une petite salle voûtée, elle aussi ornée d’éléments héraldiques. Elle avait une fonction de vestibule par rapport à la chapelle et à la sacristie attenante.
Vincennes, château, Sainte-Chapelle, oratoire de la reine.
Les armes d’Isabeau de Bavière († 1435), femme de Charles VI, sont sculptées (avec la partition inversée) sur la clef de voûte de cet espace, soutenues par un ange (armoirie 2). Cet élément ne confirme pas seulement la fonction de cette partie de la chapelle, mais aussi donne un repère chronologique important pour sa construction puisque le mariage d’Isabeau avec le roi date de 1385. La pointe de l’écu, dirigée vers le nord, semble conduire vers l’entrée de la salle du trésor adjacente (Mérindol 1987, p. 204). Le somptueux portail donnant accès à cette pièce complète d’ailleurs le programme iconographique du vestibule, dont la voûte retombe sur quatre consoles sculptées avec les symboles des évangélistes. Le tympan, encadré par une arcade moulurée soutenues par deux anges musiciens, est orné par les figures de la Vierge et de Dieu Père trônant, disposées d’un côté et d’autre des armes du roi de France (armoirie 3) : une mise à l’honneur qui semble exalter à la fois la nature divine du pouvoir du souverain et la révélation céleste des armes de France – désormais représentées dans la forme à trois lys fixée par Charles VI à l’honneur de la Trinité, à laquelle la chapelle est consacrée (Baudoin 1992, p. 178) – que la légende créée au milieu du XIVe siècle prétendait avoir été offertes par un ange à Clovis pour lui assurer la victoire sur l’ennemi. Deux anges tiennent un phylactère, sans doute jadis portant une inscription perdue, et semblent le présenter à Dieu.
Armoirie du roi de France entre la Vierge et Dieu père. Vincennes, château. Sainte-Chapelle, vestibule d’accès à la chapelle de la reine.
Si l’inversion des Armes de France (à senestre) et de Bavière (à dextre) dans l’armoirie d’Isabeau de Bavière sculptée sur la clef de voûte de ce vestibule peut surprendre, elle ne semble ni anodine, ni fruit du hasard ou d’une erreur du sculpteur. En effet la même armoirie partie se répète dans les écus sculptés sur les clefs de voûte des deux travées de l’oratoire de la reine attenant (armoiries 4, 5). Les deux armoiries, sculptées avec la pointe de l’écu tournée vers l’est (donc, vraisemblablement, en direction de l’autel), sont également tenues par un ange placé derrière l’écu : bien visible sur la clef de la première travée (armoirie 4), cette composition est en revanche très abîmée et presque illisible sur celle de la deuxième (armoirie 5).
Sur l’autre côté du bâtiment (côté sud), la chapelle du roi est introduite de manière assez surprenante par un portail aux armes d’Isabeau de Bavière (armoirie 6). Le relief, qui réplique la composition que l’on vient de voir sur la porte de l’oratoire de la reine, a été sans doute réalisé dans le cadre de la restauration de l’édifice au XIXe siècle (Erlande-Brandenburg 1972, p. 318 repris par Mérindol 1987, p. 204) et a pris probablement la place d’un relief aux armes de France. C’est en effet cette armoirie qui apparaît sur les voûtes de l’oratoire adjacent. L’accès à la chapelle se réalise par le biais d’un vestibule, d’où part aussi un escalier en vis, formé par deux travées couvertes d’ogives. La clef de voûte de la première porte un ange tenant un écu semé de fleurs de lys (armoirie 7), alors que la deuxième est ornée d’un ange portant un écu aux armes écartelées du Dauphin (armoirie 8).
Armoirie du roi de France, tenue par un ange. Vincennes, château, Sainte-Chapelle, chapelle du roi.
L’armoirie du roi de France, dans la forme ancienne d’un semé de fleurs de lys, est en revanche représentée dans les clefs de voûte des deux travées constituant la véritable chapelle (armoiries 9-10). Dans le deux cas, l’armoirie royale est soutenue par un ange, placé derrière l’écu. L’état de conservation non homogène complique l’analyse formelle de ces séries héraldiques, d’autant plus que ces éléments sculptés semblent avoir fait l’objet d’une réfection, totale ou partielle, au moment de la restauration de l’édifice au XIXe siècle (la clef de voûte de la première travée de la chapelle du roi semble avoir été retravaillée à cette époque : armoirie 9). Répliquant la même iconographie et inséré dans le même type de cadre à quatre lobes, les clefs de voûtes armoriées de la Sainte-Chapelle semblent toutefois avoir produites par le même atelier, vraisemblablement au sein du même chantier (pour la cloche armoriée datée de 1369 voir la notice consacrée au donjon).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Vincennes, château (Sainte-Chapelle), https://armma.saprat.fr/monument/vincennes-chateau-chapelle/, consulté
le 03/12/2024.
Bibliographie études
Baudoin, Jacques, La sculpture flamboyante en Normandie et Ile-de-France, Nonette 1992.
Chapelot, Jean, « Le Vincennes des quatre premiers Valois : continuités et ruptures dans un grand programme architectural », dans J. Chapelot, E. Lalou (dir.), Vincennes aux origines de l’état moderne, actes du colloque (Vincennes 1994), Paris 1996, p. 53-114.
Erlande-Brandenburg, Alain et Jestaz, Bertrand, Le Château de Vincennes, Paris 1989.
Erlande-Brandenburg, Alain, « Aspects du mécénat de Charles V. La sculpture décorative », Bulletin Monumental, 130, 4, 1972, p. 303-345.
Fossa, Fançois de, Le château de Vincennes, Paris 1913.
Heinrichs-Schreiber, Ulrike, Vincennes und die höfische Skulptur. Die Bildhauerkunst in Paris 1360-1420, Berlin 1997.
Labarte, Jules, Inventaire du mobilier de Charles V, roi de France, Paris 1879.
Mérindol Christian de, « Essai sur l’emblématique et la thématique de la monarchie française à la fin du Moyen Âge d’après le témoignage du château de Vincennes », Bulletin de la Société nationale des Antiquaire de France, 1987, p. 187-227.
Poncet de la Grave, Mémoires intéressans l’histoire de France, t. 1, Paris 1788.
Sandron, Dany, « Architecture religieuse. Le roi et les églises », dans F. Pleybert (dir.), Paris et Charles V : arts et architecture, Paris 2001, p. 91-104.
Whiteley Mary, « Les pièces privées de l’appartement du roi au château de Vincennes », Bulletin monumental, 148, 1, 1990, p. 83-85.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Vincennes, Château (Sainte-Chapelle). Armoirie Jeanne de Bourbon (armoirie 1)
Mi-parti : au premier d'(azur) semé de fleurs de lys d'(or), au bâton de (gueules) (Bourbon), au deuxième d'(azur) semé de fleurs de lys d'(or) (France).