Reconstruit dans le cadre du renouvellement des défenses de la ville de Paris voulu par Charles V après son retour dans la capitale en 1361, le château de Vincennes était aussi un lieu de résidence. Dans le projet du roi, jamais porté à terme à cause de sa mort en 1380, Vincennes avait d’ailleurs été pensé pour devenir la capitale administrative du royaume, à l’abri de dangereux soulèvements de population de la ville. L’immense terrain encadré par la nouvelle enceinte n’était donc pas destiné à rester vide, mais devait être occupé par d’autres bâtiments, notamment par les hôtels des grands seigneurs (Erlande-Brandenburg, Jestaz 1989, p. 18).
Vincennes, château, donjon (coté sud).
Le donjon constitue l’œuvre névralgique de ce projet ambitieux : à son intérieur le roi pouvait trouver refuge en cas de difficulté et, de son haut, pouvait surveiller, de manière aussi symbolique que réelle, son royaume. Placée au centre d’une cour renfermée dans une enceinte entourée d’un fossé, la tour a un plan carré et est dotée aux angles de quatre tourelles. Elle se compose de cinq étages dont chacun comprend une grande salle centrale couverte par des voûtes d’ogive et des pièces de plus petite taille aménagées dans les tourelles d’angles.
A l’extérieur, les consoles placées d’un côté et d’autre des appuis des fenêtres sur la « façade » est présentent des motifs figurés (des anges, des sirènes, des hommes barbus, etc.). Au troisième étage de la tourelle sud, la console droite de la fenêtre présente ainsi un écusson (restauré ?) aux armes de France moderne (à trois fleurs de lys) (Mérindol 1987, p. 191, 217) (armoirie 1). A l’intérieur de l’édifice, les salles aménagées à tous les étages présentent également des clefs de voûte et des consoles sur lesquelles les ogives retombent ornées d’éléments sculptés : des animaux, des éléments végétaux, des personnages bibliques, les symboles des évangélistes, des figures humaines d’interprétation parfois difficile (Mérindol 1987). L’héraldique aussi marque de différents espaces de l’édifice, permettant également d’en reconnaître la fonction.
Clef de voûte aux armes du dauphin. Vincennes, château, donjon (IIe étage), grande salle.
Désormais disparue, l’armoirie royale devait apparaître d’abord sur la clef de voûte de la salle située, au rez-de-chaussée, dans la tourelle nord, probablement utilisée comme espace privé du roi (Mérindol 1987, p. 193) (armoirie 2). Seulement les deux dauphins, emblèmes de Charles V, qui encadraient l’écu sont conservés, même si mutilés. A l’instar de la composition qui est encore visible au deuxième étage, dans la chambre dite « du roi », l’écu armorié était probablement placé sur une épée dont on reconnaît encore la pointe. Il s’agit d’un complément para-héraldique plutôt rare, dont la signification demeure difficile à saisir (était-il un sybole de la justice du roi ? Ou désignait-il son rang chevaleresque ?) (Mérindol 1987, p. 213).
Au deuxième étage, la couverture de la grande salle, dénommée « grant chambre » ou « chambre du roi » dans les inventaires (Labarte 1879, num. 3279 et 3310), présente une clef de voûte armoriée, alors que les trois autres sont décorées par de simples feuillages (armoirie 3). Le relief, qui porte encore de larges traces de la polychromie d’origine, est placé en diagonale afin d’être également visible des deux entrées (Mérindol 1987, p. 197) et se situe à l’opposé de la grande cheminée. L’écu, brochant sur une épée, porte une armoirie (partiellement grattée) écartelée avec une fleur de lys au 1 et 4 et un dauphin au 2 et 3 que l’on peut aisément identifier avec l’armoirie (dans une forme simplifiée et avec les deux mammifères contournés) du dauphin, le futur Charles V.
Clef de voûte aux armes Bourbon. Vincennes, château, donjon (IIIe étage), salle.
Le tout est à nouveau soutenu par deux dauphins qui mordent la garde de l’épée avec leurs dents. Des fleurs de lys d’or sur un fond d’azur, allusion évidente à l’armoirie du roi, décorent la nervure centrale des nervures soutenant les voûtes. Au même étage, dans la tour nord-est, se trouvait une pièce, directement desservie par un couloir donnant sur l’escalier, qui avait probablement la fonction de chapelle (Whiteley 1990, p. 84-85). La clef de voûte présente deux anges en relief soutenant un écu à trois fleurs de lys (un semé selon Mérindol 1987, p. 197) (armoirie 4) : leurs corps courbés pour s’adapter à la forme circulaire du support, ainsi que leurs ailes repliées, mettent davantage en valeur l’armoirie du roi. Le décor sculpté et peint était par ailleurs complété par le mobilier, que nous connaissons d’après les inventaires, chargé parfois d’éléments emblématiques. Ainsi, nous apprenons, par exemple, que le sol de cette chapelle pouvait être couvert à l’occasion par un tapis « où il y a lyons d’or qui tiennent chacun un rouleau où il y a écrit Karolus Dei gratia Francorum Rex et K L couronnez » (Labarte 1879, num. 2602, cité par Mérindol 1987, p. 197) et/ou par un deuxième qui « a I S couronnez sur le champ vert, et escussons aux armes monseigneur d’Anjou » (Labarte 1879, num. 2603).
Dans la grande salle du troisième étage, mentionnée comme « la haulte chambre » ou « la chambre haulte du roy » (Labarte 2635 et 3141), les éléments héraldiques sont encore une fois placés dans les voûtes, et plus précisément dans leurs clefs. Insérées à l’opposé de la diagonale qui traverse la salle de sud-ouest à nord-est, nous trouvons ainsi les armes de France moderne – encadrées par deux oiseaux, probablement deux cigognes (Mérindol 1987, p. 199), qui soutiennent l’écu par leurs becs (armoirie 5) – et celles de Bourbon, figurées à l’intérieur d’un écu soutenu par un ange (armoirie 6). Cette armoirie fait clairement allusion à Jeanne († 1378), qui avait épousé le futur Charles V en 1350 (les deux autres clefs de voûte sont en revanche ornées par un simple feuillage). Cette salle, mise en signe avec les armoiries associées du roi et de la reine, était probablement un espace privé du souverain, complété par une chapelle et une étude (Mérindol 1987, p. 198). Des dauphins, emblème du roi, étaient d’ailleurs représentés sur la clef de voûte de la petite pièce située dans la tourelle nord-est (ibid., p. 200).
cloche de Charles V. Vincennes, chapelle du château (jadis donjon).
L’héraldique pourrait donc marquer l’avancement des travaux de construction du donjon. Si la présence de l’armoirie écartelée du dauphin laisse croire que le rez-de-chaussée et les deux premiers étages de l’édifice avaient été terminés avant le sacre de Charles V, qui eut lieu le 19 mai 1364 (armoiries 2, 3), le troisième étage, mettant en avant le couple royal (armoiries 5-6), pourrait dater d’après ce terme chronologique. L’hypothèse semble confirmée par la présence, à l’extérieur, de la susmentionné armoirie royale sous la forme moderne à trois fleurs de lys (armoirie 1). Les armes du roi, dans la forme moderne à trois fleurs de lys, apparaissaient aussi tout en haut du donjon, sur la cloche datée de 1369 aujourd’hui conservée dans le chœur de la chapelle et jadis déposée dans la Tour du village (armoirie 7). La cloche, portant une longue inscription, avait été en effet fondue par Charles V et installée dans une guérite construite sur la terrasse du donjon (Erlande-Brandenburg, Jestaz 1989, p. 12, 33). D’autres fleurs de lys sont intercalées, avec des croix, entre les mots formant la longue inscription. La présence de l’armoirie du souverain, selon la pratique habituelle pour ce genre d’objet, désigne non seulement l’auteur de la commande mais également attribue au bronze une fonction officielle, émanation du pouvoir.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Vincennes, château (donjon), https://armma.saprat.fr/monument/vincennes-chateau-donjon/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
Labarte, Jules, Inventaire du mobilier de Charles V, roi de France, Paris 1879.
Mérindol Christian de, « Essai sur l’emblématique et la thématique de la monarchie française à la fin du Moyen Âge d’après le témoignage du château de Vincennes », Bulletin de la Société nationale des Antiquaire de France, 1987, p. 187-227.
Whiteley Mary, « Les pièces privées de l’appartement du roi au château de Vincennes », Bulletin monumental, 148, 1, 1990, p. 83-85
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Vincennes, Château (donjon). Armoirie roi de France (armoirie 1)
Vincennes, Château (donjon). Armoirie Charles V dauphin ( ?) (armoirie 3)
Ecartelé, au 1 et 4 d'(azur) à une ( ?) fleurs de lys d'(or), au 2 et 3 d'(or) au dauphin contournés d'(azur, crêté, barbé, loré, peautré et oreillé de gueules), posé sur une épée.