Rattaché à l’église homonyme, le doyenné Saint-Hilaire de Poitiers s’élève sur un lot de terrain délimité par les rues actuelles du Doyenné, de la Tranchée, Le Cesve et Saint-Hilaire, étant cette dernière un axe routier très ancien modifié au fil du temps. Si au Moyen Âge l’église collégiale Saint-Hilaire-le-Grand fut un centre important de pèlerinage et une étape incontournable sur le chemin de Saint-Jacques, après le départ des moines en 1790, le monastère tomba en ruine et fut vendu en plusieurs lots. L’église fut alors à moitié détruite, le cloître démoli et de nombreux autres bâtiments annexes disparurent ou furent transformés, tout en perdant leur destination d’usage d’origine (Jeanneau 2002, p. 2). Parmi les quelques vestiges de l’ancien complexe collégial demeure le doyenné du chapitre de Saint-Hilaire, formé par les édifices érigés à la Renaissance par Geoffroy d’Estissac, doyen à partir du 29 juin 1504 (Ginot 1934-1935, p. 455).
G. D’Estissac (1470 environ-30 mai 1543), connu pour avoir été le protecteur de François Rabelais, fut membre d’une noble famille originaire du Périgord, dont les membres furent parmi les « responsables » de la diffusion du renouvellement artistique de la première moitié du XVIe siècle en Poitou. Couramment connue avec le nom d’Estissac, la famille de Geoffroy portait en origine le nom de Madaillan (Beauchet-Filleau 1905, p. 313). En 1444 Amaury d’Estissac épousa Marguerite de Harcourt mais, n’ayant le couple pas eu d’enfants, en 1458 il décida de designer Jean de Madaillan, fils de sa sœur, son seul héritier (Le Paige 1777, p. 466), sous la condition qu’il assume le nom et les armes des d’Estissac (palé d’argent et d’azur de 6 pièces; la famille s’éteindra dans celle des la Rochefoucauld, à la fin du XVIe siècle).
L’hôtel d’Estissac représente donc la première vraie architecture de la Renaissance de Poitiers, une œuvre de transition dans le procès de réception du langage inspiré à l’antiquité. L’ensemble apparaît aujourd’hui altéré à cause des extensions réalisées à partir du début du XIXe siècle et imputables aux changements d’usage du complexe. Occupé jusqu’au 2011 par les bureaux et les salles des courses de l’IUFM, le doyenné a été finalement cédé par le Département de la Vienne pour être restauré et divisé en unités d’habitations.
Poitiers, doyenné saint-Hilaire, portail extérieur (rue du Doyenné).
L’ancienne résidence se compose essentiellement de trois corps de bâtiment : un grand logis en style Renaissance complété d’une petite aile située au sud, un pavillon contenant l’escalier et un édifice avec porche à l’extrémité nord, équipé d’espaces de service développés sur son côté ouest. À l’extrémité nord se trouve un vestibule dans lequel s’ouvrent trois portails : deux sont tournés vers l’extérieur de la structure, tandis qu’un troisième, de plus petites dimensions, donne accès au logis. Ce passage conduit directement à la tour rectangulaire qui contient l’escalier et qui range la distribution intérieure du bâtiment. Érigé sur des préexistences de l’âge romain, le grand pignon de l’aile sud s’appuyait, sur le côté du jardin suspendu, aux galeries qui dominaient l’ancienne rue de la Psalette. En retraite par rapport à la rue de la Tranchée, l’élévation est du corps de logis donnait sur un ancien jardin qui est aujourd’hui entouré par des édifices administratifs bâtis à la fin du XIXe siècle.
Un examen in situ de l’édifice et l’analyse de la documentation iconographique et archivistique a permis de reconnaître deux phases de construction du doyenné, qui correspondent à un changement stylistique et du projet. Geoffroy D’Estissac aurait commencé l’œuvre avec un premier maître plus « traditionnel », pour la confier dans un deuxième temps à un architecte formé au goût du nouvel art, peut-être provenant du chantier du château perdu de Bonnivet, brusquement interrompu en 1525 (Guillaume 1981, p. 949).
Poitiers, doyenné saint-Hilaire, logis principal, portail nord orné de reliefs aux armes de Geoffroy d’Estissac.
Le complexe est parsemé de motifs héraldiques et emblématiques qui renvoient à la figure du commanditaire. Comme d’habitude, ces représentations débutaient sur le portail d’entrée à la propriété : envahi de motifs ornementaux propres à la Renaissance, il est constitué d’un arc en anse de panier avec entablement, encadré de lésènes composites supportées de consoles dotées de chapiteaux ioniques. Au-dessus des lésènes se trouve un entablement orné et bordé de deux pinacles, couronné de deux volutes formées de cornes d’abondance et de profils masculins. L’armoirie d’Estissac devait être représentée entre les deux petits pilastres (Ginot 1934-1935, p. 455) qui, depuis 1891, encadrent en revanche une plaque carrée avec l’inscription « École Normale Primaire, ancien doyenné de la collégiale de Saint-Hilaire-Le-Grand » (armoirie 1).
Les enseignes personnelles de Geoffroy d’Estissac encadrent également le portail septentrional du vestibule d’entrée, en le qualifiant ainsi comme accès principale de la résidence. Deux armoiries d’Estissac, surmontées d’une mitre (armoirie 2a) à gauche et d’une crosse à droite (armoirie 2b), décorent le mur au-dessus du portail. Les deux emblèmes sont soutenus par deux putti. Dans le premier cas, le tentant mets les pieds sur un phylactère inscrit en lettres gothiques minuscules, aujourd’hui illisibles à cause de la dégradation de la pierre : il s’agissait vraisemblablement de la devise du commanditaire. La mitre épiscopale qui surmonte l’écusson de la porte nord du vestibule (armoirie 2a) offre aussi un point de repère important pour déterminer la chronologie de l’édifice, en fixant le début du chantier de construction après 1518, quand Geoffroy reçut en bénéfice l’évêché de Maillezais.
Poitiers, doyenné saint-Hilaire, lucarne du logis orné des armes de Geoffroy d’Estissac.
Toujours à l’extérieur du palais, les armoiries de Geoffroy d’Estissac ornent aussi la façade orientale, celle qui donne sur la rue de la Tranchée. Très étendue, cette dernière est ornée de reliefs d’inspiration classique, tels que les médaillons avec profils humains qui décorent les garde-corps du donjon central et qui encadrent le portail. Les armes du propriétaire sont sculptées au niveau de fenêtres du troisième et quatrième étage de la tour d’escalier (armoirie 2c-e) – cette dernière posée sur une crosse – et sur les deux lucarnes plus au sud du corps du logis. Ces dernières sont également caractérisées par la présence de ses insignes de fonction (armoiries 2f-g) : les unes sont timbrées par la mitre, les autres sont posés sur une crosse.
Si on passe à l’intérieur du logis, les armes d’Estissac, cette fois dépourvues des insignes épiscopaux, sont reconnaissables sur la porte qui, du vestibule d’entrée, donne accès au perron (armoirie 2h). Comme dans tous les cas susmentionnées, elles sont ici insérées dans un écu en forme de chanfrein, typique de la Renaissance italienne. La position et la mise en signe héraldique de cet espace laissent croire que le vestibule jouait un rôle important pendant les cérémonies du chapitre ou qui il servait comme espace d’accueil des audiences publiques. Les armes du commanditaire émaillent aussi l’escalier rampe-sur-rampe, placé dans un pavillon en forme de tour et doté de deux volées par étage, qui rappelle le modèle de celui réalisé dans le château de Bury, édifié entre 1513 et 1515 : cette ressemblance permet de supposer qu’au moins le corps de logis fût terminé avant les années 1520 L’intrados de l’escalier en correspondance des paliers est dépourvu de décor, mais il est caractérisé par la présence d’arcs surbaissés sur leur clef où sont placés quatre autres écus aux armes d’Estissac (armoiries 2i-l, 3).
Poitiers, doyenné saint-Hilaire, escalier du logis principal.
Au niveau du deuxième étage, l’escalier aboutit au palier bordé d’une balustrade avec pilastres et balustres, où se trouve le départ de l’escalier à vis qui conduit vers les deux cages superposées. Au rez-de-chaussée, en revanche, une grande porte encadrée de pilastres donne sur la galerie en style Renaissance, qui se trouve d’en face à la première volée de l’escalier.
La galerie est formée de deux ailes en équerre : l’une, disposée est/ouest, reliant l’escalier à l’ancien réfectoire de l’abbaye ; l’autre, disposée nord/sud, qui desservait l’ancienne cuisine, la buanderie et le bûcher. D’après les sources textuelles, il émerge que l’aile est/ouest était à l’origine constituée de deux niveaux de circulation superposés. Seulement l’inferieur est aujourd’hui reconnaissable, même s’il a été très altéré. Il présente un stylobate avec corniche moulurée sur laquelle s’élèvent deux colonnes en forme de balustres, dépourvues de décor, et trois petits pilastres avec faces ornées de losanges ou de médaillons ornés des armes de Geoffroy d’Estissac – toujours inscrites dans des écus en forme de chanfrein (armoiries 2m-o) –, et qui renforcent à leur tour des chapiteaux ioniques à volutes simplifiées.
Poitiers, doyenné saint-Hilaire, détail d’un pilastre aux armes d’Estissac dans la galerie au rez-de-chaussée.
Ces colonnes et pilastres s’alternent en suivant un rythme A-B-A-B et reproduisent le profil des balustrades de l’escalier : un élément qui pourrait confirmer la contemporanéité des ces deux parties de l’édifice.
On ignore, par contre, la manière dans laquelle le mur nord de la galerie avait été traité. On peut avancer l’hypothèse que la paroi originelle de cette galerie était moins épaisse. Le passage aurait donc été largement ouvert dans la partie la plus basse permettant ainsi, à partir de l’entrée dans la cour d’honneur, d’apercevoir en transparence le petit jardin fermé. Le 26 juillet 1690 le compte rendu de l’état du complexe rédigé par l’architecte Jacques Servant (Archives dép. de la Vienne, G 650) mets en effet en exergue que, au premier étage, la galerie était réalisée à pan-de-bois. Cependant, il est aujourd’hui pour nous impossible de nous figurer cette structure qui a été agrandie et dénaturée par la suite, en créant un espace unique avec la galerie moderne.
L’ensemble héraldique du doyenné est donc complété par l’armoirie encastrée, du côté de la cour interne, au-dessus d’une porte de l’aile méridionale. L’écu, partiellement bûche, porte les armes des Frotier (d’argent au pal de gueules accosté de dix losanges du même). Accompagné par une mitre et un pastoral, il doit être attribué à Jean Frotier († 1698), accueilli comme doyen de Saint-Hilaire en 1673 (Beauchet-Filleau 1905, p. 615).
Auteur : Camilla Ceccotti
Pour citer cet article
Camilla Ceccotti, Poitiers, doyenné Saint-Hilaire, https://armma.saprat.fr/monument/doyenne-saint-hilaire-poitiers/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Poitiers, Archives départementales de la Vienne, Poitiers, G 650.
Bibliographie études
A.-R. Le Paige, Dictionnaire topographique, historique, généalogique et bibliographique de la province et du diocèse du Maine, Le Mans 1777.
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