Saint-Jouin-de-Marnes, abbaye (cloître et bâtiments monastiques)
Comme l’église abbatiale, le cloître de l’abbaye de Saint-Jouin-de-Marnes fut totalement reconstruit dans la seconde moitié du XVe siècle sous l’abbatiat de Pierre d’Amboise. Entré comme moine, celui-ci en devint l’abbé en 1467, à la mort de son prédécesseur Pierre de Féletz (Villard 1966, p. 1381). Tout en collectionnant une longue série de bénéfices – tels le prieuré de Rouvres, l’abbaye Saint-Laon de Touhars, celle de Lyre, le prieuré de Parthenay-le-Vieux (ibid.), celui de Saint-Cosme près de Tours (Souchal 1976, p. 520) –, Pierre eut une affection particulière pour son abbaye poitevine, dont le pape Sixte IV lui conféra la commende en 1481, au moment de son élection comme évêque de Poitiers (Vallière 2008, p. 181). C’est en effet dans ce monastère, où il se fit consacrer le 20 janvier 1482, et dans son château de Dissay, situé à quelques kilomètres au nord de Poitiers, que Pierre d’Amboise résida de préférence (ibid.).
Saint-Jouin-de-Marnes, cloître de l’abbaye, galerie sud.
En 1476 il décida ainsi de remettre à neuf les bâtiments conventuels qui versaient dans un état de ruine (Crozet 1942, p. 168, doc. 600) : le dortoir, le réfectoire et le cloître (ibid., p. 184 ; Gallia christiana 1720, col. 1276). De ces structures, construites en partie aux frais de l’abbé et en partie par le biais d’une taxe établie sur les bénéfices de l’abbaye (ibid.), seule la gallérie méridionale du cloître a malheureusement survécu, les autres bâtiments ayant été démolis par Auguste Servien, abbé commendataire au début du XVIIe siècle (Rhein 1910, p. 118), puis réédifiés dans le style classique. Finalement vendus comme biens nationaux, ils ont été démolis par la suite (ibid.).
Saint-Jouin-de-Marnes, cloître de l’abbaye, galerie sud, armoirie d’Amboise tenue par deux hommes sauvages et une figure féminine.
L’aile sud du cloître se compose de huit travées couvertes de voûtes reposant sur des croisées d’ogive qui retombent sur des chapiteaux ornés de feuilles. Du côté du jardin, toutes les travées sont ajourées par des arcades en plein style flamboyant. Toutes les clefs de voûtes de la gallérie sont ornées par des écussons armoriés, en partie bûchés et presque illisibles. La série constitue un ensemble unitaire qui date sûrement de la reconstruction de 1467, exception faite pour les deux derniers écussons (armoiries 5, 6) réalisés à l’occasion des restaurations de la structure, peut-être sur la base de sculptures anciennes détériorées et perdues depuis (un écu armorié aux armes de Pierre d’Amboise est en effet documenté sur la clef de voûte de la dernière travée : Paris, BnF, ms. Lat. 5449, fol. 19r, armoirie 7). Le chef orienté vers l’est, en direction du transept de l’église (seul celui de la dernière travée est orienté vers l’ouest), les écussons armoriés sont pour la plupart soutenus par des tenants, en forme d’anges (armoirie 5), d’animaux (armoiries 1a-b, 4), de griffons (armoirie 2), d’hommes sauvages et de figures féminines (armoirie 3b).
Le cœur de la composition était probablement constitué par les armes d’Amboise qui occupent les travées centrales de la gallérie. L’une est simplement insérée dans un cadre polylobé (armoirie 3a), l’autre est mise en valeur par son cortège de tenants (armoirie 3b) : deux hommes sauvages des deux cotés, une jeune femme habillée d’une longue robe derrière l’écu, qui présente encore des traces de polychromie (jaune sur le fond, rouge sur les trois pals). Les armes de l’abbé bâtisseur se retrouvent sur le mur du fond de la galerie, à l’entrée du transept. Un écusson aux armes d’Amboise est représenté dans le tympan de la porte en accolade flamboyante qui donne accès à l’église (armoirie 3c) :surmonté d’une mitre de laquelle descendent les deux fanons et accompagné d’une crosse, il présente une forme allongée qui, dans la région, semble se diffuser entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe. Il est probable que la grande porte, mal adaptée à la hauteur de la gallérie, soit le fruit d’une intervention légèrement successive. Dans un premier temps, la présence de l’abbé sur cette paroi devait se limiter à l’armoirie encastrée juste au-dessous du sommet de l’arcade (armoirie 3d), dont l’emplacement resterait difficile à expliquer autrement. Une dernière armoirie de l’abbé devait charger l’écusson sculpté sur la clef de voûte de la dernière travée est de la gallérie, qui a été laissé dépourvu de toute figuration lors des restaurations du cloître (armoirie 6). Dans le cartulaire de l’abbaye copié par Gagnières, nous retrouvons en effet le dessin d’une armoirie aux armes écartelées de Pierre d’Amboise : insérées dans un cadre fleuri qui rappelle de près celui que l’on voit encore de nos jours, elles auraient été « sur pierre » et placées « au dessus de la porte qui conduit au cloistre du costé dela cour » (Paris, BnF, ms. Lat. 5449, fol. 19r) (armoirie 7). Nous noterons que, si le relevé est correct, nous aurons ici une version inédite de l’armorie de l’abbé et évêque, proposant les armes de Sancerre en franc canton des armes de Bueil, au lieu que isolées dans le troisième quart, comme on le trouve d’habitude (Dissay, église Saint-Pierre-et-Saint-Paul).
Saint-Jouin-de-Marnes, cloître de l’abbaye, galerie sud, portail du transept nord, avec écusson aux armes de l’abbé Pierre d’Amboise.
Les armes d’Amboise – toujours représentées dans la forme simple du palé familial et non dans celle de l’écartelé avec un écusson en abîme, utilisée par Pierre – n’ étaient en tout cas pas représentées sur toutes les voûtes de la galerie, comme cela a souvent été écrit (Villard 1966, p. 1382 ; Souchal 1976, p. 520). Si, à la fin du XIXe siècle, Belisaire Ledain affirmait que les armes du fondateur étaient visibles sur plusieurs écussons sculptés des voûtes (Ledain 1894, p. 6), il est plausible qu’elles étaient accompagnées par d’autres armoiries, représentées sur les écussons qui ont été bûchés, probablement à la Révolution. En observant avec attention le premier écusson (armoirie 1a), on y distingue clairement trois fleurs de lys, disposées deux et un. Il est malheureusement impossible de déterminer ce qui était représente sur les autres écussons bûchés : une aigle se trouvait peut-être sur la clef de voûte de la sixième travée (armoirie 4) et l’armoirie du roi de France sur celle de la troisième travée (armoirie 1b), que l’on dirait soutenue par deux cerfs, devise royale (les pattes des tenants ont deux sabots). Les signes les plus strictement liés à la royauté auraient donc attiré l’attention des marteaux des révolutionnaires, qui ont en revanche épargné les pals des Amboise.
Malheureusement, l’impossibilité de déterminer l’identité des autres armoiries représentées et la perte d’amples parties de l’ancien cloître, probablement mises en signe de la même façon, empêchent d’avoir une vision complète de ce cycle héraldique qui semble réalisé à la gloire de l’abbé Pierre d’Amboise et, probablement, du roi. Nous sommes en tout cas informés du fait que les armes de Pierre d’Amboise étaient représentées, cette fois en peinture, dans le réfectoire de l’abbaye, dans la forme classique de l’écartelé que l’on trouve couramment dans plusieurs édifices de son diocese (Dissay, église Saint-Pierre-et-Paul ; Vouneuil-sur-Vienne, prieuré de Savigny) (« elles sont peintes dans le refectoire avec cette difference qu’au 2e il y a Bueil et au 3e Champagne-Sancerre » : Paris, BnF, ms. Lat. 5449, fol. 19r) (armoirie 8). Au-dessus de la porte d’accès du logis abbatial était en revanche sculptée une armoirie d’abbé (armoirie 9), que nous n’avons pas pu identifier pour l’instant : cimé d’une mitre dotée de fanons et posée sur une crosse, elle était également figurée dans la nef de l’église abbatiale (ibid.). Au-dessus de la porte de l’escalier qui conduisait aux appartements de l’abbé situés dans le même logis, se trouvait un autre écu en pierre, sur lequel étaient sculptées les armes de l’abbé Arthur de Cossé-Brissac († 1587) (armoirie 10) (ibid.), qui fut aussi évêque de Coutances et abbé du Mont-Saint-Michel (1570-1587). L’armoirie, qui avait été erronément attribuée à Aymard Gouffier, abbé de Saint-Jouin de Marnes mort en 1528 (ibid.), n’était pas seulement accompagnée des enseignes de fonction du prélat, mais était aussi curieusement entouré d’un collier de l’Ordre de Saint-Michel qui devait faire probablement reference à la charge d’abbé du célèbre Mont qu’Artur exerça jusqu’à sa mort (dans la famille Cossé-Brissac, un autre Artus, grand panetier de France mort en 1582, avait effectivement reçu le collier de l’ordre).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Saint-Jouin-de-Marnes, abbaye (cloître et bâtiments monastiques), https://armma.saprat.fr/monument/saint-jouin-de-marnes-cloitreet-batiments-monastiques/, consulté
le 31/03/2025.
Bibliographie sources
Gallia christiana in provincias ecclesiasticas distributa, t. 2, Parisiis 1720.
Paris, BnF, ms. Lat. 5449, Chartularium monasterii sancti Jovini de Marnis, ordinis sancti Benedicti, in dioecesi Pictaviensi.
Bibliographie études
B. Ledain, « Notice historique et archéologique sur l’abbaye de Saint-Jouin-de-Marnes », dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 2e s., 6, 1883, p. 49-136.
B. Ledain, «St-Jouin-les-Marnes », dans J. Robuchon, Paysages et monuments du Poitou, Paris 1894, p. 1-7.
J. Berthelé, « L’église de Saint-Jouin-de-Marnes », dans Bulletin monumental, 1885, p. 263-272, 393-401.
A. Rhein, « Saint-Jouin-de-Marnes », dans Guide Archéologique du congrès d’Angers et de Saumur en 1910 (Congrès archéologiques de France, 77e session. Anger et Saumur, I), Paris-Caen 1910, p. 108-119.
R. Crozet, Textes et documents relatifs à l’histoire des arts en Poitou (Moyen âge – Début de la Renaissance), Poitiers 1942.
R. Crozet, « Les sujets sculptés aux voûtes de l’église abbatiale de Saint-Jouin-de-Marnes », dans Bulletin monumental, 1960, p. 261-272.
F. Villard, « Pierre d’Amboise. Evêque de Poitiers (1481-1505) », dans Mélanges offerts à René Crozet, éd. par P. Gallais, Y.-J. Riou, Poitiers 1966, t. 2, p. 1381-1387.
G. Souchal, « Le mécénat de la famille d’Amboise », dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 4e s., 13, 1976, p. 485-526, 567-612.
M.-Th. Camus, « Saint-Jouin-de-Marnes. Réflexion sur les chantiers romans de l’abbatiale », dans Congrès Archéologique de France. Monuments des Deux-Sèvres, Paris 2004, p. 247-261.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Saint-Jouin-de-Marnes, abbaye (cloître et bâtiments monastiques). Armoirie roi de France (armoirie 1a)
Écartelé : aux 1 et 4, palé d’or et de gueules de six pièces (Amboise) ; aux 2 et 3, d’azur à un croissant d’argent accompagné de huit croisettes en orle d’or (Bueil), au franc canton d’azur à une bande d’argent côtoyée de deux cotices potencées et contre-potencées d’or (Sancerre) ; sur le tout, d’or à un dauphin d’azur (Dauphiné d’Auvergne).
Attribution : Amboise, Pierre d'
Timbre : Une crosse épiscopale/d'abbé ; Une mitre avec fanons
Position : Extérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Cloître
Emplacement précis : travée VIIIème ; Voûte
Support armorié : Clef de voûte
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
(Écartelé : aux 1 et 4, palé d’or et de gueules de six pièces (Amboise) ; au 2 d’azur à un croissant d’argent accompagné de huit croisettes en orle d’or (Bueil) ; au 3, d’azur à une bande d’argent côtoyée de deux cotices potencées et contre-potencées d’or (Sancerre) ; sur le tout, d’or à un dauphin d’azur (Dauphiné d’Auvergne).
Attribution : Amboise, Pierre d'
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Réfectoire
Emplacement précis : Inconnu
Support armorié : Inconnu
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
