Construit en face des bâtiments de la Prévôté, l’Hôtel Fumé constitue un des plus remarquables édifices résidentiels érigés dans la ville de Poitiers entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe. Placé sur la rue qui montait du quartier populaire de Montierneuf au plateau et qui, dès la seconde moitié du XVe siècle, vit la construction de plusieurs grandes maisons bourgeoises, le palais abritant aujourd’hui la Faculté de Sciences Humaines et Arts de l’Université de Poitiers fut probablement fondé par les Herbert. Les documents d’archives nous apprennent en effet que dans les années 1440 François I Herbert habitait déjà un logis en face de la prévôté (Beauchet-Filleau 1965, t. 5, p. 4 ; Favreau 1995, p. 16). Si ce palais pouvait bien insister sur la même parcelle de l’Hôtel Fumé actuel, aucun trace de sa structure n’est actuellement visible.
À la mort de François Herbert l’édifice fut hérité par son gendre Pierre Fumé qui, vers 1470, avait épousé sa fille Hilaire (Beauchet-Filleau 1905, t. 3, p. 627). La rénovation de la structure commença probablement en ce moment, par une reconstruction du logis au fond de la cour, dont les étages étaient desservis par la tourelle d’escalier placée sur le coté nord. Dans l’édifice, remanié par la suite par les occupants successifs, les présences héraldiques étaient déjà significatives.
Hotel Fumé, Poitiers, cour, porte d’entrée de la tourelle d’escalier du logis.
Selon une pratique très répandue à cette époque, la porte d’entrée était marquée par un écusson (armoirie 1). Avant d’être soigneusement gratté, il portait les armes du propriétaire de l’édifice, réalisées en relief ou peintes. Le bâtiment était probablement orné d’autres éléments héraldiques dès la fin du XVe siècle mais les transformations successives et les travaux de restauration lancés après l’installation de l’Université en 1922 les ont effacés ou en rendent malaisée l’identification. À ce propos, il faut relever que le décor « pseudogothique flamboyant » orné d’un grand écusson qui apparait sur des clichés anciens sur la porte au rez-de-chaussée n’appartient pas à l’édifice original mais fut ajouté probablement au XIXe siècle et aussitôt démantelé (Crozet 1934, p. 16).
En revanche, les corps de bâtiment réalisés au cours du XVIe siècle témoignent encore d’une « mise en signes » de l’espace très raffinée. L’aspect actuel de l’hôtel doit beaucoup à François Fumé († 1532), fils de Pierre et de Hilaire Herbert. Maire de Poitiers en 1520, il lança les travaux après son mariage, célébré le 18 mai 1504, avec Marguerite Aubert, fille de Pierre et de Jeanne Pasquier (Beauchet-Filleau 1905, t. 3, p. 627). Les deux écussons encastrés dans les lucarnes donnant sur la couret protégés par des larmiers moulurés (armoiries 2a-b) ont servi à argumenter l’attribution à François de la rénovation du logis occidental fondé par son prédécesseur. Toutefois, seule l’armoirie représentée sur l’écusson de gauche est encore lisible, l’autre ayant été presque totalement éffacée par l’action des agents atmosphériques
Écusson aux armes Fumé-Aubert. Poitiers, Hôtel Fumé, lucarne du logis.
(armoirie 2b). Nous pouvons alors constater que l’armoirie sur la gauche (armoirie 2a) écartèle les armes des Fumé (d’argent à six macles – ou losanges – de sables posés 3, 2 et 1) à celles des Aubert (de gueules au haubert ou cotte de maille d’or ; Beauchet-Filleau t. 1, p. 141, d’après Thibaudeau) (Guillaume 1995, p. 29, note 6).
Bien que l’absence de documents explicites n’autorise pas à remettre en cause l’attribution des travaux à François Fumé, il faudra néanmoins souligner que dans la chapelle fondée par François à Notre-Dame-la-Grande en 1515, les armes pleines des Fumé – visibles sur les piliers d’entrée et sur la clef pendante au centre de la voûte – sont associées à un écartelé Fumé-Herbert (sur le côté extérieur des piliers d’entrée). Si François pouvait exposer un écu aux armes écartelées de ses parents dans le but d’anoblir son lignage –~les Herbert comptaient parmi les familles éminentes de la bourgeoisie poitevine~– il faudrait comprendre pourquoi, dans sa propre demeure, il aurait préféré écarteler l’armoirie Fumé avec celle de son épouse, Marguerite Aubert. Ne serait-il pas plus sensé d’attribuer l’usage de cette armoirie à Nicolas, le fils du couple ? Il aurait ainsi pu utiliser l’écartelé aux armes de ses parents pour s’anoblir montrant les illustres origines de son lignage. Si cette lecture s’avérait correcte, il faudrait avancer la chronologie des travaux de réfection de l’édifice après la mort de François en 1532 (Beauchet-Filleau 1905, III, p. 627). Une autre hypothèse est pourtant envisageable : comme le proposait P. Raveau (Raveau 1922, p. 90), il est possible qu’à la mort de Pierre Fumé († 1484) et Hilaire Herbert la propriété indivise de l’hôtel soit passé aux deux fils du couple, François et Michelle, qui auraient ainsi fait représenter sur les lucarnes leurs armes écartelées à celles de leurs époux respectifs, Marguerite Aubert et Bertrand Rat.
Visiblement ajoutée dans un deuxième temps au logis principal, puisqu’elle masque une fenêtre de la tour d’escalier, la galerie en pans de bois construite sur le coté nord de la cour date également du début du XVIe siècle.
Hotel Fumé, Poitiers, galerie, détail d’un pilier ornée d’un écusson gratté et d’une cordière.
C’est sur cette structure, hiérarchiquement dominante et probablement destinée à des fonctions publiques, que les éléments héraldiques sont les plus nombreux. Disposés de façon symétrique sur le dais des colonnes enrobées de petits pinacles montés en spirale – dont une est ornée d’une cordelière –, ces armoiries introduisent idéalement le visiteur dans la partie couverte et, ensuite, l’accompagnent vers la porte d’entrée du logis. Si les écussons aux deux extrémités sont parfaitement spéculaires (armoiries 3, 6), les deux au centre (armoiries 4, 5) sont en revanche légèrement déplacés, probablement afin de tenir compte de l’angle de vision des personnes entrant dans la cour. Il est aujourd’hui impossible de déterminer quelles armoiries y étaient représentées : les deux au centre ont très probablement porté les armes du propriétaire (armoiries 5, 5): les deux latéraux (armoiries 3, 6) pourraient avoir été chargés des armes du roi (à gauche) et de la reine (à droite ; voir la présence de la cordelière).
Dans la partie interne de la galerie, parmi les consoles qui soutiennent le plancher du premier étage, deux sont ornées d’un ange tenant un écusson (armoiries 7, 8).
Ange tenant un écusson. Poitiers, Hôtel Fumé, galerie.
Même dans ce cas, les écussons ont malheureusement été grattés et rien ne reste des armoiries qui y étaient représentées.
Enfin, les élements héraldiques ne manquaient pas de marquer le corps oriental du monument, avec sa façade si singulière (sur l’actuelle rue Descartes) et avec ses murs arrondis évoquant les tours d’un château. Si la datation de cet édifice est incertaine – les dates proposé sont soit vers 1504-1514 (Crozet 1934, p. 15 ; Sanfaçon 2012, p. 301), soit vers 1520 (Guillaume 1995, p. 28), – tous s’accordent à l’attribuer aux soins de François Fumé. Ni les documents d’archives, ni les ornements héraldiques viennent pourtant soutenir cette hypothèse, l’écusson aux armes des Fumé qui semblerait avoir été jadis sculpté sur la cheminée dans la salle du doyen (Crozet 1934, p. 21) (armoirie 9) étant malheureusement perdu. D’autres écussons, si bien grattés qu’ils ne conservent plus aucune trace des armoiries qui y étaient représentées, ornent encore la façade de l’immeuble. Du coté donnant sur la rue, un grand écu est sculpté sur le portail principal, encastré à l’intérieur de l’accolade qui encadre la porte en plein cintre (armoirie 11). Il est surmonté, dans le cordon sculpté en saillie qui marque le niveau du premier étage, par une armoirie de plus petite taille soutenue par deux anges (armoirie 12).
Anges tenant un écusson. Poitiers, Hotel Fumé, façade.
Du coté donnant sur la cour, un dernier écusson pend du sommet du portail de la galerie mettant en communication la cour interne avec la rue (armoirie 10). Sa présence sur un dessin de Raymond Bourdier réalisé bien avant le début des travaux de restauration du palais (Robuchon 1890, p. 148), prouve son caractère authentique.
D’après certains chercheurs (Raveau 1922, p. 99), l’armoirie de Pierre Rat, maire de Poitiers en 1539, « surmontait … la porte du logis » à l’époque de la visite à Poitiers de l’empereur Charles V, mais il n’a pas été possible de déterminer la source sur laquelle se fonde cette information. De même, il est impossible de vérifier les dires d’Henry Beauchet-Filleau au sujet de l’armoirie sur la porte d’entrée, qui aurait était ornée d’un « blason écartelé Aubert, Herbert, Fumé, Rat » (Beauchet-Filleau 1905, III, p. 627). Était-ce alors, pour Pierre Rat, un moyen de retracer la généalogie des propriétaires de l’immeuble et, par conséquent, d’afficher sa descendance des familles de l’élite poitevine ? Ou, plutôt, devons-imaginer, avec P. Raveau, que cet écusson réunissait la mémoire des quatre propriétaires de l’immeuble dans la première moitié du XVIe siècle, également responsables de l’achèvement du monument (Raveau 1922, p. 90) ?
Licorne. Poitiers, Hotel Fumé, Poitiers, toit de la tour du logis.
Les deux interprétations semblent pareillement improbables et, à vrai dire, nous croyons que, si cette armoirie a vraiment existé, elle a probablement été réalisée au XIXe ou XXe siècle. D’ailleurs, une chronique datée de la seconde moitié du XVIe siècle (celle de Denis Généroux) affirme que François Aubert, seigneur d’Avanton, habitait à Poitiers « une maison vis-à-vis de la Prévôté, solidement bâtie en pierre de taille et dont la porte, flanquée de deux espèces de grosses tours, était ornée des armes des Aubert et des Fumé » (Raveau 1922, p. 91). Le portail principal du monument aurait donc porté la même armoirie visible sur les lucarnes du logis occidental, à attribuer soit à François, soit à Nicolas Fumé. En revanche, ce fut très probablement Pierre Rat († 1563), fils de Bertrand Rat et de Michelle Fumé, qui fit installer sur le toit de la tour d’escalier la licorne, animal qui constituait le meuble de son armoire. D’après certaines sources, sous le conseil de l’empereur Charles V, Pierre aurait demandé et obtenu du roi François Ier l’autorisation à remplacer les rats de l’armoirie parlante familiale avec ce bien plus noble animal (Cooper 2006, p. 29).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Poitiers, Hôtel Fumé, https://armma.saprat.fr/monument/hotel-fume-poitiers/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
J. Robuchon, Paysages et monuments du Poitou photographiés, I. Poitiers (Vienne), Paris 1890.
H. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 1, Poitiers 1891.
H. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 3, Poitiers 1905.
P. Raveau, « Quelques mots sur l’hôtel Fumé », dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 3, 6, 1922, p. 88-101.
R. Crozet, « La faculté à l’hôtel Fumé », dans La Grand’Goule, 32, 1934, p. 12-22.
J. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. V, Fontenay-le-Comte 1965.
D. Hernier-Manson, « Quelques édifices de l’époque flamboyante à Poitiers », dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 4, 1968, p. 499-524.
R. Favreau, « Histoire », dans A. Brillaud et alii, Hôtel Fumé. La restauration de 1995, Poitiers 1995, p. 10-19.
J. Guillaume, « Le bâtiment », dans A. Brillaud et alii, Hôtel Fumé. La restauration de 1995, Poitiers 1995, p. 20-29.
R. Cooper, « L’histoire en fête : les humanistes promoteurs de la gloire du Poitou », dans Les grands jours de Rabelais en Poitou, Genève 2006, p. 13-30.
R. Sanfaçon, « Les portails du château de la Roche-Gençay et l’architecture flamboyante en Poitou », dans Revue historique du Centre-Ouest, 11, 2, 2012, p. 293-308.