Pencran, église Notre-Dame (bas-côté nord du chœur, transept disparu)
Au sein de l’église Notre-Dame de Pencran, réédifiée dans la première moitié du XVIe siècle, la chapelle ouvrant sur le bas-côté nord du chœur relevait de la seigneurie de Kermadec, de même que le bras nord de l’ancien transept, détruit lors de l’aménagement de la sacristie en 1705. Une mention de prééminences de 1663 ne donne plus qu’un aperçu succinct du décor héraldique, largement disparu, dont il subsiste tout de même un intéressant enfeu abritant une tombe, tous deux armoriés.
Sur un site qui aurait été occupé dès l’époque gallo-romaine, le fief de Kermadec est mentionné pour la première fois au XIIIe siècle aux mains d’une famille Saladin ou Salahadin, connue pour avoir produit au début du XIVe un recteur renommé de l’Université de Paris devenu évêque de Nantes. L’héritage familial tombant en quenouille, sa sœur le porta vers 1307 à une branche d’une maison réputée issue d’un cadet des vicomtes de Léon, les Huon, qui combinèrent aux leurs les armes des Saladin. La seigneurie prospérant, Pierre Huon de Kermadec y construisit au début du XVIe siècle un beau manoir à corps de logis en équerre sur cour fermée, implanté à moins d’un kilomètre du bourg. En 1663, la seigneurie passa aux Kersulguen, déjà maîtres du château voisin du Chef-du-Bois. Le manoir connut alors un long déclin, dont il ne fut tiré qu’après son rachat en 1986 et sa remise en état rigoureuse par un descendant des Huon de Kermadec, de ce nom (Le Guennec 1981, p. 453 ; Mérimée 1992, Croguennec 2020).
Les Huon de Kermadec n’étaient dans l’église que prééminenciers en troisième sous les vicomtes de Rohan, fondateurs et supérieurs, et derrière les seigneurs du Chef-du-Bois, dont les armoiries sont aux meilleures places au chœur, à la charpente du vaisseau central, et à l’extérieur au porche sud et au clocher. Les Huon avaient à la maîtresse-vitre un seul écusson « à l’un des soufflets du costé de l’évangille » (AD du Finistère, 61 J 5, prise de possession de Kermadec par Sébastien de Moucheron, 1663), un emplacement qui rend compte de leur investissement au nord et sous-tend que l’ordre des écus au sein la verrière devait refléter la répartition des droits honorifiques dans l’édifice.
La mention de prééminences de 1663 ne donne comme « prohibitifve » aux Kermadec que la « chapelle costière joignant le cœur dudit costé de l’évangille » (ibid.) où ils avaient « enfeux enlevés, bancz et accoudoirs » (ibid.). Il semble toutefois à peu près certain que leur exclusivité s’étendait à la « chapelle Croix nomée la chapelle de sainct Jan » (ibid.), c’est-à-dire le bras nord du transept avant sa destruction en 1705. Il ne paraît pas qu’ils aient eu à en souffrir le partage, leurs « lisières estants tant au dehorcs qu’au dedans desdictes chapelles » (ibid.). La lisière désigne souvent une litre peinte mais s’applique aussi à des reliefs en bosse : on peut suspecter, comme il a été vu ailleurs, que l’écusson surmontant le petit contrefort du bas-côté nord, autrefois à l’angle du chevet, était aux Kermadec. À l’intérieur, il subsiste sur le pilier engagé au mur du chevet, à la deuxième arcade séparant le chœur du bas-côté nord, un écu gravé sur toute la hauteur d’un bloc. Bien qu’il ait été bûché (armoirie 1), on peut l’attribuer sans grand risque d’erreur aux seigneurs de Kermadec, seuls prééminenciers dans cette zone. La façon de l’avoir gravé en creux suggère qu’il n’était peut-être pas prévu d’origine, contrairement aux écussons en relief du Chef-du-Bois, et qu’il aurait pu être ajouté après coup.
On relevait « auxdictes chapelles » les marques habituelles de prééminence : des « tumbes basses » ainsi que des « bancz et accoudoirs », dont l’un était placé au devant de « la grande vistre estant » au bras nord du transept, sans pouvoir déterminer si elle donnait jour au pignon ou au mur oriental. Elle était « chargée des mesmes escussons de ladicte maison de Guermadec et alliances » (ibid.), ce qui signifie qu’une généalogie héraldique des Huon de Kermadec se développait sans doute aux ajours du tympan, sur des écus pleins (armoirie 2) et mi-partis (armoiries 3 a-?). L’examen des éléments armoriés au chevet a montré que cette fenêtre, ou au moins son réseau, a survécu à la suppression du transept : lors de l’aménagement de la sacristie dans le prolongement du chevet au nord, il semble que la baie du bas-côté nord au chevet devait présenter initialement des proportions sensiblement symétriques de celles de son homologue au sud. On lui en substitua une autre de moitié plus grande, presque certainement « icelle grande vistre » du transept nord. La volonté des sieurs de Kermadec de sauvegarder leurs anciennes prééminences est sans doute cause de ce remontage, peut-être motivé aussi par le souhait de donner plus de lumière à la chapelle. Le style du réseau étant sensiblement contemporain de celui de la maîtresse-vitre, la verrière originelle devait dater des années 1510-1530. Cette époque étant celle de l’aménagement de l’enfeu du bas-côté nord par Pierre Huon de Kermadec, le constructeur du manoir, on a envie d’imaginer qu’il fut aussi l’instigateur de la verrière, qui aurait décliné les armes de ses parents et ancêtres au XVe siècle. On se gardera toutefois de formuler aucune hypothèse, la vitre ayant pu être augmentée, réparée ou remplacée avant sa dépose en 1705.
Le seul élément conservé est l’enfeu à la paroi de la deuxième travée de la chapelle nord du chœur, coincé entre l’angle du chevet et la porte de la sacristie, celle-ci provenant certainement de l’ancien transept. Les conditions de sa fondation par Pierre Huon, seigneur de Kermadec, sont bien connues grâce au témoignage d’une délibération de la fabrique en date du 4 février 1526, à laquelle est annexée un deuxième acte du 20 octobre de la même année, statuant sur l’établissement d’un droit de tombe surélevée. Ces deux documents, de présent incommunicables, renseignent sur l’état d’achèvement de l’édifice, à même de recevoir des inhumations dans la décennie 1520, et apportent un renfort chronologique aux hypothèses émises quant à la tombe d’apparat des Rohan dans le chœur.
De facture soignée, l’enfeu est taillé tout de kersanton : sur un soubassement de gros blocs, dont l’un est armorié, une épaisse tombe en légère saillie s’abrite sous une arcade en anse de panier. Sa mouluration torique est portée par un couple de colonnettes à chapiteaux prismatiques feuillagés, et les voussures et l’archivolte orné d’un écu reposent sur deux culots armoriés, sous l’un desquels s’encastre un petit bénitier. Le biseau au rebord de la tombe, continu avec le piètement sous la base de la colonnette à l’ouest, et le renfoncement du côté du mur oriental, ménageant peut-être un espace pour une crédence disparue ou l’extrémité d’un autel, semblent attester que la tombe est installée d’origine, et que l’ensemble n’a subi aucune modification.
Les écussons furent martelés à la Révolution, mais deux d’entre eux, au coffre du tombeau et au culot droit, moins abîmés, restent lisibles. L’écu inscrit à l’amorce du fleuron, bûché avec soin (armoirie 4), présente une forme très inhabituelle, creusée de deux échancrures en arc de cercle aux cantons du chef, dont on ne relève pas d’autre exemple dans les environs. Il doit s’agir d’une retaille tardive, dont la raison reste obscure (motivée peut-être par l’installation d’un élément de mobilier ?), car on ne verrait pas bien autrement comment s’y agenceraient harmonieusement les figures. Sans l’écarter tout à fait, on croit moins à l’hypothèse d’un écu en targe à bords découpés : si les théoriciens du blason aiment à dresser des compilations de formes d’écus à travers les siècles (Neubecker 1995, p. 76-77), il s’agit d’exercices normatifs assez décalés de la réalité de terrain. Aux retombées de l’arcade, l’écusson du culot de gauche est totalement bûché (armoirie 5) même si des formes estompées attestent qu’il fut sculpté. Peut-être était-il identique, comme cela était souvent le cas, à son homologue de droite.
Ce dernier, malgré un piquetage partiel de la surface, montre un écartelé où les annelets et les croisettes recroisettées des Huon, aux quartiers 2 et 3, alternent avec trois oiseaux surmontés d’un lambel aux 1 et 4 (armoirie 6). Ces armoiries font écho à celles gravées au soubassement de la tombe, un mi-parti de trois oiseaux et d’un lion, le tout surmonté d’un lambel (armoirie 7) : dans les deux cas, on relève la répétition des trois oiseaux ainsi que la brisure de juveigneurie. Mais on est à la peine pour identifier ces deux alliances. La piste la plus probable serait qu’il s’agisse, des armes de Louise du Roual – alias Roualle ou Rouazle – épouse en secondes noces de Pierre Huon, dont l’union datait de 1505. Tous deux étaient veufs d’un premier mariage : lui avec Catherine de Gouzabatz, qui lui donna au moins un fils, Henri, continuateur de la lignée, et elle avec Gilles de Lesmaes – alias Lesmais –, dont elle eut plusieurs enfants (ibid.). Pierre et Louise procréèrent au moins un fils, Hamon, qui fut partagé par son demi-frère aîné en 1534 après la mort de leur père, survenue avant septembre 1531. Entretemps, Louise du Roual étant décédée, Pierre Huon avait contracté une troisième alliance avec Marie du Louët, de la maison de Lesquivit en Dirinon, qui semble être restée stérile (Le Gentil de Rosmorduc 1896 ; Lorant 2005, p. 193-209).
Parmi les alliances chronologiquement proches des Huon de Kermadec, les du Rouazle étant seuls à porter trois oiseaux – ils blasonnaient de trois corbeaux, corneilles ou merlettes –, on ne voit pas comment attribuer les deux écussons autrement que par une filiation à Louise du Rouazle. L’exercice est toutefois malaisé. En premier lieu, on ne comprend pas pourquoi, sur l’écartelé, les armes présumées du Rouazle sont aux quartier d’honneur, et celles des Huon déjetées aux 2 et 3. C’est d’autant pmoins compréhensible que les trois oiseaux sont brisés d’un lambel, désignant une branche cadette, alors que les armes des Huon sont pleines. En outre, l’emploi de l’écartelé était réservé d’ordinaire pour promouvoir une alliance avec une héritière : l’écartelé symétrique avec les armes masculines aux 1 et 4 signifiait que « la lignée désignée était la descendance patrilinéaire d’une alliance homogame avec une héritière » (Nassiet 1991, p. 193). Ici, les armes féminines sont aux quartiers d’honneur, ce qui désignerait plutôt une alliance hypergamique. Faudrait-il supposer que Louise aurait été susceptible de percevoir un héritage ou un revenu important ? Le souvenir d’un acte d’octobre 1505 suggère bien qu’elle toucha un douaire après la mort de son premier époux, mais ce n’aurait en aucun cas offert une justification suffisante. Plus intéressante est l’hypothèse d’une crise de succession au sein de la maison du Rouazle, qui aurait pu, sous réserve, susciter une stratégie d’alliance avec les Huon de Kermadec, avant d’achopper dans la suite, conduisant à l’abandon d’un éphémère écartelé Rouazle / Huon et un retour aux armes pleines. La généalogie du Rouazle comporte trop de lacunes et ce qu’on en connaît est trop embrouillé pour espérer creuser la piste.
Mais on sait qu’il y eut plusieurs branches et au moins deux successions complexes d’héritières, dont l’une vers le début du XVe siècle se fit au bénéfice des Le Normant qui, quelques décennies dans la suite, relevèrent les nom et armes du Rouazle, ce dont il reste témoignage au manoir du Roual. La deuxième succession offre une curieuse coïncidence : l’année même du (re)mariage de Pierre et Louise, en 1505, Catherine héritière du Rouazle épousa Alain du Louët sur le schéma d’une alliance hypergamique matrilinéaire, leur descendance relevant les nom et armes du Rouazle. Il est à noter qu’Alain du Louët est un parent de Marie du Louët, l’épouse en troisième noce de Pierre Huon. Louise aurait-elle pu être l’héritière en second après Catherine ? Ou plutôt serait-elle le surgeon d’une branche cadette du Rouazle, comme le lambel pourrait en être l’indicateur ? Voire les deux éventualités seraient-elles cumulables ? Sans réponse à ces questions, on a l’impression que l’héritage de la famille du Rouazle a dû être l’enjeu d’une série d’alliances dont les seigneurs de Kermadec ont pu espérer tirer profit. Malgré tout, on reste surpris de voir au sein de la chapelle familiale leurs propres armes en seconde position sur un écu d’alliance, et on se perd en conjectures sur les circonstances qui ont pu les amener à s’attribuer la meilleure place.
L’écusson au soubassement de la tombe pose encore plus de questions : d’abord, on échoue à attribuer les armes au lion du second quartier. Ensuite, pourquoi le lambel qui sur l’écartelé ne brisait que les seules armes aux trois oiseaux, s’étend-il ici sur tout l’écu ? Dans l’éventualité qu’il s’agisse des armes de Louise, et que son père ait été un cadet, la brisure ne devrait barrer que le premier quartier. Si c’étaient vraiment les armes de Louise, pourquoi seraient-elles mi-parties de ses parents ou ancêtres et non de son époux ? Peut-être parce que ce dernier se remaria dans la suite. Mais alors, le raisonnement retombant dans une boucle sans fin, pourquoi renonçant là à afficher les armes des Huon, les a-t-on ailleurs figurées en seconde place ? Ces questions restent pour l’instant sans réponse. Les deux écus sur l’élégante pierre tombale, n’apportent aucun élément supplémentaire : sculptés de part et d’autre d’une croix fleuronnée et perronnée sous un dais, ils sont lisses et vierges, ayant probablement été peints à l’origine (armoiries 8 a-b).