Le chevet de l’église Notre-Dame de Pencran, édifiée pour l’essentiel dans le premier quart du XVIe siècle, présente un aspect hétérogène : vers 1706, l’aménagement d’une vaste sacristie dans le prolongement au nord a perturbé la lisibilité de cet espace. Si on saisit d’un coup d’œil la les grandes lignes du parti primitif, l’importance de la reprise n’a pas été entièrement comprise. L’ensemble doit être explicité afin de reconnaître l’organisation originelle et les impacts sur le décor héraldique. Celui-ci conserve huit écussons sculptés, tous martelés, dont quatre sont identifiables, trois formellement, le dernier avec un peu moins d’assurance.
Pencran, église Notre-Dame, vue du chevet et de la sacristie.
La structure du chevet plat d’origine est classique pour un édifice de cette catégorie en Bretagne : sous un grand pignon triangulaire, l’élévation, scandée par quatre contreforts droits à ressauts, restitue la division du plan à un vaisseau central épaulé de bas-côtés. La paroi s’ajoure d’une haute maîtresse-vitre à réseau de cinq lancettes trilobées surmontées d’une rangée de cœurs renversés, au tympan en plein-cintre orné d’une rose formée de soufflets, mouchettes et quadrilobes. À la pointe du pignon est percée une baie rectangulaire à meneau pour l’aération du comble, sous laquelle est une cavité destinée à recevoir une plaque disparue.
Sous les rampants latéraux, les fenêtres orientales des bas-côtés surprennent par leur dissymétrie. La plus petite, au sud, est à deux lancettes coiffées d’un soufflet et deux mouchettes. Les proportions de celle au nord, à trois lancettes surmontées d’un soufflet et six mouchettes, sont de moitié plus importantes, avec une mouluration d’encadrement différente. Ces divergences sont anormales : au cours de la deuxième moitié du XVe siècle et au début du XVIe, le souci de la symétrie a presque toujours réglé l’ordonnance en élévation des chevets plats, que ce soit en des monuments importants (Locronan, Saint-Jean-du-Doigt), des grandes églises locales (La Roche-Maurice, Goulven) ou plus lointaines (Saint-Nonna de Penmarc’h), des chapelles ambitieuses (Lambader en Plouvorn, Saint-Urfold en Bourg-Blanc) ou plus modestes (La Fontaine-Blanche en Plougastel, etc.). Procédant à un réexamen, on observe que la fenêtre, dont la clé est au même niveau que le couronnement des grands contreforts, est trop haute : pour l’abriter même en la rasant, le rampant aurait dû former un angle obtus prononcé, presque plat, tandis qu’au côté sud, la pente est continue avec le vaisseau central. Il aurait fallu en outre que la paroi fût plus élevée, donc en rupture avec les autres élévations latérales, ce qui ne cadre pas avec la réalité du monument, non plus qu’avec les proportions du contrefort d’angle à l’est. Ce dernier était redoublé d’un second contrefort au nord, disparu, ainsi qu’en témoigne le retour de la moulure du larmier sommital, intégrée au mur de la sacristie. On en conclue que les deux côtés étaient symétriques sous un rampant triangulaire continu.
Penmarc’h, église Saint-Nonna, vue comparative du chevet, fin du XVe ou début du XVIe siècle.
La baie au nord étant nécessairement identique ou très voisine de son homologue au sud, au moins pour les dimensions, la fenêtre actuelle est un remontage. Son réseau et son encadrement, de mêmes style, facture et matériaux qu’à la maîtresse-vitre et à la baie sud, indiquent que la baie est contemporaine et provient d’une autre partie du monument, étant aisé de deviner laquelle. La sacristie fut aménagée en profitant des fondations et des matériaux du bras nord de l’ancien transept, détruit à cette occasion au nord comme au sud, peut-être par souci de symétrie. La fenêtre provenait de toute évidence de l’un des deux croisillons. Le souhait d’agrandir les percements en atténuant la muralité de la nouvelle construction aurait pu motiver ce réemploi. Mais le plus probable est qu’il ait été commandé par le seigneur de Kermadec soucieux de maintenir ses prééminences antérieures. Une mention de droits honorifiques dans un aveu de 1663 apprend que le bas-côté nord du chœur formait une « chapelle prohibitifve […] dans la vistre de laquelle il y [avait] mesmes écussons que ceux de la dicte maison de Kermadec et alliances » (AD du Finistère, 61 J 5, prise de possession de Kermadec par Sébastien de Moucheron, 1663). La fenêtre substituée quatre décennies plus tard à celle venant d’être décrite est probablement « la grande vistre estant en la chapelle Croix nomée la chapelle de sainct Jan […] icelle vistre chargée des mesmes escussons […] » (ibid.). La chapelle Croix désigne ici le bras nord du transept, dont les Huon de Kermadec semblent avoir été seuls prééminenciers. Au début du XVIIIe siècle, le remontage de cette fenêtre qui accusait près de deux cents ans est un intéressant exemple de continuité dans l’affirmation des prééminences en réaction à une modification importante du bâti. On peut proposer une reconstitution schématique de l’élévation au chevet avant 1706, à considérer avec prudence, l’emplacement des fenêtres au transept – au pignon ou au mur oriental ? – et le réseau de l’ancienne baie du bas-côté sud n’étant pas connus.
Hypothèse de restitution de l’élévation du chevet et du transept avant 1706.
Les travaux de 1706 et le changement de fenêtre ont dû légèrement modifier la disposition des écussons à l’angle nord. Même si rien n’assure qu’ils étaient symétriques au nord et au sud, on relève des écus identiques au larmier supérieur des deux petits contreforts (armoiries 5a, 5c), indice d’une certaine régularité. La baie sud comptant à la retombée de l’arc un claveau armorié (armoirie 5b), il est possible que l’ancienne fenêtre au nord en ait été également pourvue. On a l’impression que l’écusson surmontant le grand contrefort au nord (armoirie 4) pourrait être un rajout dont l’installation aurait nécessité de retailler toutes les pierres adjacentes. Ce pourrait être, sous réserve, un écu repositionné en hauteur, initialement scellé plus bas.
Les trois écussons en éminence, encadrant la baie d’aération des combles, sont les seuls formellement identifiables, la restauration de cette partie du monument achevée au printemps 2021 ayant révélé leurs contours martelés. Au plus haut étaient les armes de Bretagne (armoirie 1) dans une déclinaison à sept mouchetures d’hermines posées 3, 3 et 1. Bien que burinées, les hermines ont une forme caractéristique du début du XVIe siècle, avec des queues larges à pattes multiples. Contrairement à une croyance répandue supposant que le mi-parti de France / Bretagne se substitua aux armes de Bretagne après le premier mariage d’Anne de Bretagne avec Charles VIII en 1491, l’emploi des hermines plaines continua jusqu’à l’Édit d’Union de la Bretagne en 1532. Dans le contexte du début du XVIe siècle, ces armes ne sont donc pas un élément probant de datation.
Les deux écussons au-dessous montrent au nord les armes de Rohan dans leur version ancienne à sept macles (armoirie 2) et au sud celles de Léon (armoirie 3). Les vicomtes de Rohan, successeurs des seigneurs de Léon depuis le XIVe siècle, étaient considérés comme fondateurs des églises du ressort après le prince. Leur présence à cette place n’a donc rien pour surprendre : les macles et le lion s’affichaient avec ostentation dans les monuments alentour, la liste étant longue. Par exemple, à l’église du bourg voisin de La Roche-Maurice, où les Rohan tenaient une ancienne forteresse construite par les Léon, le tympan de la maîtresse-vitre se pare exclusivement de leurs alliances, les macles parsemant le lambris, les entraits, et se multipliant jusque dans les enroulements des colonnes torses du porche.
On s’étonne un peu de la sobriété d’exécution de ces trois écus aux armes de la souveraine et du plus puissant seigneur de la province, dénués du moindre ornement extérieur, sans couronne, sans listel, sans support. Leur mise en exergue est toutefois assurée par l’emploi d’un matériau de qualité supérieure – du kersanton – et le surdimensionnement des proportions, adaptées à la hauteur, la mise en place ayant nécessité de retailler les blocs voisins, d’un module inférieur.
Détail des écussons en kersanton (Bretagne, Léon, Rohan) à la pointe du pignon du chevet, Pencran, église Notre-Dame.
La plaque installée initalement dans la cavité sous la fenêtre du comble a vraisemblablement été arrachée à la Révolution, en même temps qu’on martelait les armoiries au-dessus. Peut-être était-elle armoriée, à moins qu’il ne s’agissait d’une dédicace.
L’écusson surmontant le contrefort central au nord, possiblement déplacé depuis l’ancienne fenêtre au nord comme signalé plus haut, a lui aussi été bûché, toutefois la palpation et un examen attentif à lumière rasante y font discerner, non sans difficulté, un chevron accompagné de trois trèfles (armoirie 4). Ce ne peuvent être pratiquement que les armoiries des Goulhezre, qui portaient d’or au chevron d’azur accompagné de trois trèfles de gueules. Ce lignage de petite noblesse originaire du Porzay, signalé assez tôt à Ploeven, Saint-Nic et Crozon (Torchet 2003, p. 188 ; Torchet 2010, p. 111), possessionné plus tard à Châteaulin et Sizun (Potier de Courcy 1993, 2, p. 466), parvint à passer la Réformation de 1668. Une branche détachée, très mal documentée, était installée au XVe siècle dans la paroisse de Dirinon, voisine de Pencran, où un Riou Gourhezre comparaissait en 1481 en brigandine et vouge (Torchet 2010, p. 111). Le trésor de l’église de Dirinon conserve un reliquaire en argent dans son étui, datable vers le milieu ou le troisième quart du XVe siècle, armorié de quatre écussons dont l’un aux armes des Goulhezre, ce qui trahit une certaine aisance. On ignore le pourquoi de leurs armes à l’église de Pencran : peut-être les Goulhezre tenaient-ils un petit fief dans la paroisse, peu avant de disparaître localement sans presque laisser de trace.
Les quatre autres écussons, au larmier du petit contrefort au nord (armoirie 5a), à la retombée du cintre de la fenêtre au sud (armoirie 5b), au-dessus (armoirie 5c) et sur le petit contrefort au sud (armoirie 5d), sont muets. Il est probable que l’un au moins ou plusieurs de ceux au sud arboraient les armes des seigneurs du Chef-du-Bois. Ils semblent avoir détenu la plus large part des prééminences sous les vicomtes de Rohan : leurs armes sont en très bonne place au-dessus de la porte occidentale, sur la tour, dans le porche, au chœuret aux poinçons du lambris, et devaient orner d’autres espaces. Enfin, l’écusson du petit contrefort au nord relevait peut-être des Huon de Kermadec, qui possédaient prohibitivement la chapelle au bas-côté nord du chœur.
Auteur : Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Pencran, église Notre-Dame (chevet), https://armma.saprat.fr/monument/pencran-eglise-notre-dame-chevet/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Quimper, AD du Finistère, 61 J 5, acte de prise de possession de la seigneurie de Kermadec en Pencran par Sébastien de Moucheron, 20-22 novembre 1663.
Bibliographie études
de Ponthaud, Marie-Suzanne, Finistère, Pencran, église Notre-Dame. Étude préalable à la restauration générale, 2013.
Potier de Courcy, Pol, Nobiliaire et armorial de Bretagne, Mayenne rééd. 1993.
Torchet, Hervé, Réformation des fouages de 1426. Diocèse ou évêché de Cornouaille, Paris 2003.
Torchet, Hervé, Montre générale de 1481. Cornouaille, Paris 2011.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Pencran, église Notre-Dame (chevet). Armoirie de Bretagne (armoirie 1).