Ignorant tout d’un éventuel édifice antérieur, la première mention de l’église Saint-Pierre de Tonquédec remonte au 17 août 1447 : sur la requête de Rolland V de Coëtmen, vicomte de Tonquédec, une bulle pontificale exécutée par Jean de Poeuc, évêque de Tréguier (1442-1453) l’érigea en collégiale, desservie par quatre chanoines (Couffon 1940, p. 43-[524] ; Gertrude 2011). Cette date correspond vraisemblablement au point de départ de la nouvelle construction, qui approchait de son terme deux décennies plus tard. Sur la foi de considérations héraldiques et stylistiques solides et à l’unanimité des spécialistes du vitrail, la maîtresse-vitre au chevet, en assez bon état de préservation, remonte à la fin des années 1460 ou vers 1470, signalant très probablement une campagne de vitrage sur un monument en voie d’achèvement (Couffon 1926, p. 74 ; Couffon 1935, p. 123-128 ; Gatouillat, Hérold 2005, p. 102-103 ; Cordier 2014).
Tonquédec, église collégiale Saint-Pierre, vue de la maîtresse-vitre (c) Jean-Yves Cordier, lavieb-aile.com.
La qualité de cette fenêtre, la richesse de son cycle iconographique, ses liens étroits avec d’autres vitraux du département, la mention d’anciennes prééminences précocement documentées par un acte de 1486 (Geslin de Bourgogne, Barthélémy 1879, p. 248-253), ont généré une impressionnante bibliographie, en focalisant toute l’attention au détriment du bâti. Dès 1849, Anatole de Barthélémy et Charles Guimart évacuaient « l’église [qui] n’offre de curieux que sa maîtresse-vitre » (de Barthélémy, Guimart 1849, p. 35).
Longue d’environ quarante mètres, dépourvue de transept, elle présente une nef de sept travées épaulée de bas-côtés, précédée d’une tour de clocher et terminée par un chevet plat, un plan très simple qui met en valeur les proportions généreuses et aérées de l’élévation. Le clocher jusqu’à sa plate-forme ayant été reconstruit en 1773 d’après un millésime porté en façade, la nef fut reprise à partir de 1835 sur les plans de l’architecte Lageat (Couffon 1940, p. 43-[524]) ; Gertrude 2011). Bien que la restauration fut lourde, on en exagéra largement les effets : est-ce en raison d’une déception induite par le rendu mécanique de la file de pignons des bas-côtés, de la perspective manquée par l’ajout d’une grande sacristie au sud ou de la flèche au style hors de propos ? Quoi qu’il en soit, on affirme dans la suite de René Couffon « qu’à l’exception du chevet du XVe siècle et du clocher […], l’édifice actuel a été presque entièrement reconstruit, [ne] réemployant que les portes anciennes du XVe siècle » (Couffon 1940, p. 43-[524]). Dans la hâte d’admirer la maîtresse-vitre, il semble qu’on ne se soit pas aperçu que les grandes arcades, au nord comme au sud, de la tour au chevet, et dans l’intégralité de leur élévation, datent du XVe siècle.
Tonquédec, église collégiale Saint-Pierre, vue générale intérieure depuis l’entrée occidentale.
L’empreinte d’écussons en bannière gravés sur six piliers en atteste formellement pour les trois travées orientales. Pour les autres arcades, on ne relève aucune différence dans les dimensions ou les formes, de manière qu’elles sont de toute évidence contemporaines et élevées d’un même jet. Un coup d’œil aux grêles piliers octogonaux, à leur appareillage et à la mouluration de leurs petits chapiteaux à bagues révèle qu’ils sont identiques à ceux du chœur de l’église de Saint-Jean-du-Doigt, ambitieux monument de dévotion sur la côte occidentale du diocèse, qui passe pour avoir été fondé par le duc Jean V en 1440 et achevé au début du siècle suivant (Bonnet, Rioult 2010, p. 399-406). Les comparaisons s’étendent aux arcades, d’un profil différent mais qui relèvent d’un même esprit en montant presque au faîte du mur. On conclut à l’intervention d’un même atelier, aux compétences et à la renommée localement éprouvés, vers les années 1450 – début 1460, ce qui rehausse l’intérêt du monument.
Revenant aux écussons gravés aux supports des trois dernières travées orientales, leur distribution sur la face externe tournée vers le bas-côté n’est pas due au hasard : ces trois travées correspondaient au chœur canonial, qui prenait place dans le vaisseau central et était fermé par un chancel sur trois côtés entre les grandes arcades et dans l’axe de la nef. On en perçoit encore nettement les traces d’arrachement aux piliers séparant les quatrième et cinquième travées, dont certaines, haut placées, font suspecter en outre la présence d’un jubé disparu. Les écus, à forme en bannière, sont gravés sur la pleine hauteur d’une assise à un peu plus de deux mètres du sol. Tous ont été martelés, mais on devine sans mal sur plusieurs d’entre eux les neuf annelets des Coëtmen (armoiries 1 a-f). À l’extérieur, les mêmes armes sont sculptées à l’identique aux contreforts aux angles du chevet, celles à l’angle sud étant bien préservées.
Vue d’un pilier orné d’un écusson en bannière aux armes de Coëtmen, Tonquédec, église Saint-Pierre, quatrième support au sud.
Sous cette forme, l’apposition d’écussons gravés aux piliers est très inaccoutumée. Si l’on recense en Bretagne depuis le début du XIVe siècle jusqu’au courant du XVIe suffisamment de cas d’armoiries sculptées aux chapiteaux pour que le phénomène, sans être courant, ne soit pas rare, en revanche les supports eux-mêmes n’étaient qu’exceptionnellement empreints d’armoiries prises dans la pierre. Avant Tonquédec, on ne relève presque aucun exemple d’armoiries sculptées aux piliers, a fortiori répétées sur plusieurs d’entre eux. Lorsque cet élément architectonique recevait un décor exclusivement héraldique, à une fréquence qu’il est aujourd’hui impossible d’estimer, cela se limitait apparemment à des peintures, et à des périodes plus anciennes, dont on n’a pas d’exemple avéré après le XIVe siècle. Ainsi en témoignent par exemple une mention en 1486 « d’anticques paintures […] ès deuz pilliers de pierre » dans le chœur de l’abbaye de Beauport (Geslin de Bourgogne, de Barthélémy 1879, p. 248), ou des écus peints probablement vers les années 1340-1360 à un pilier de la nef de la cathédrale de Tréguier (Broucke 2020, p. 35-49). Les armoiries gravées ou sculptées sur les piliers ou colonnes semblent relever d’une esthétique plus tardive, de la toute fin du XVe, des XVIe et XVIIe siècles, qui resta assez marginale. L’église paroissiale de Plouezoc’h en Finistère, aux piliers marqués des armes des seigneurs de Goesbriand, en fournit une illustration.
Apposés selon une formule relativement rare, les écussons sculptés aux piliers du chœur devaient contribuer à accroître efficacement l’effet visuel produit par l’accumulation des armes et intersignes des vicomtes de Tonquédec. Ceux-ci ornaient la maîtresse-vitre où n’étaient présentées que les alliances les plus flatteuses du lignage ainsi que les portraits des donateurs directs, Rolland V, son fils Jean II et leurs épouses. Probablement des armoiries étaient-elles encore répétées au jubé, au chancel et peut-être sur une litre peinte. Cette mise en signe appuyée est évidemment conséquence du statut de collégiale et de la présence de chanoines dans le chœur canonial, symboliquement pavoisé aux armes du seigneur. On y mit en œuvre des solutions classiques mais raffinées afin d’affirmer l’apparat emblématique des vicomtes de Tonquédec. Il n’y a rien d’étonnant à ce que dans la suite, Jean II de Coëtmen élit le chœur de sa collégiale comme lieu de sépulture, par testament en 1496 (Couffon 1926, p. 73). Sans doute son tombeau était-il armorié, comme ceux de certains de ses successeurs qui aménagèrent un caveau sous le chœur (Gaultier de Kermoal 1865, p. 193).
Détail des armes martelées de Coëtmen, Tonquédec, église collégiale Saint-Pierre, quatrième support au sud.
On remarque enfin que des écussons, probablement aux armes de Coëtmen, timbraient deux portes réemployées lors de la reconstruction des bas-côtés après 1835. L’une d’elles au sud, en granite, encadrée de voussures d’épaisseurs alternées, est surmontée d’une archivolte frappée d’un écu triangulaire qui a été retaillé (armoirie 2) et porte la date de 1835 ou 1836. La seconde, au nord, de dimensions plus modestes, est également coiffée d’un écu illisible (armoirie 3). Compte tenu de leur position, il est possible que ces portes aient été réimplantées là où elles se trouvaient déjà précédemment.
Auteur : Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Tonquédec, église collégiale Saint-Pierre, https://armma.saprat.fr/monument/tonquedec-eglise-collegiale-saint-pierre/, consulté
le 16/10/2024.
Bonnet, Philippe, Rioult, Jean-Jacques, Bretagne gothique, Paris 2010.
Broucke, Paul-François, « Les macles et la croix gringolée. À propos d’un décor armorié du XIVe siècle peint dans la nef de la cathédrale de Tréguier », dans Ch. Davy et alii, Peintures monumentales de Bretagne, actes du colloque (Rennes 2016), Rennes 2021, p. 35-50.
Couffon, René, « Quelques notes sur les seigneurs de Coëtmen et leurs prééminences », Bulletins et mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, 58, Saint-Brieuc 1926, p. 41-125.
Couffon, René, « Les verrières anciennes des Côtes-du-Nord », Bulletins et mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, 67, 1935, p. 123-128.
Couffon, René, « Répertoire des églises et chapelles de Saint-Brieuc et Tréguier (suite et fin) », Bulletins et mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, 72, 1940, p. 1-246.
Gatouillat, Françoise, Hérold, Michel, Corpus vitrearum. Les vitraux de Bretagne, Rennes 2005.
Gaultier de Kermoal, « Le château de Tonquédec », Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, 18, 1865, p. 460-503.
Geslin de Bourgogne, Jules-Henri, Barthélémy, Anatole de, Anciens évêchés de Bretagne. Histoire et monuments, 6, Bretagne féodale et militaire, Saint-Brieuc 1879, p. 248-253.